Bruxelles, le 28 septembre 2001



COMMUNIQUE DE PRESSE LIGUE DES DROITS DE L'HOMME

Le comité P dénonce ses plaignants

La Ligue des droits de l'Homme a été sollicitée par Monsieur Daoud qui lui a fait état des circonstances suivantes. Selon son récit, Monsieur Daoud fut interpellé par des policiers à la gare du Midi, le 15 juillet dernier. Etant dépourvu de documents d'identité, il a pris la fuite. Il fut cependant rattrapé et, accusé de vol parce qu'il avait été surpris à demander une personne de lui offrir une carte téléphonique usagée, il fut emmené à un poste de police. Là, il fut menotté, déshabillé, et frappé. Son genou droit a été brisé. Emmené à l'hôpital Saint-Pierre pour recevoir des soins vers 20 heures 30, il est remis plus tard dans la soirée aux mêmes policiers, qui lui assènent à nouveau des coups. Monsieur Daoud perd alors connaissance, et il est emmené inconscient, de nouveau, à l'hôpital Saint-Pierre. Il ne sortira de l'hôpital que le 30 juillet. A ce jour, Monsieur Daoud a subi trois opérations chirurgicales à la jambe, et il est encore dans l'attente d'une quatrième opération.

Monsieur Daoud décide de porter plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d'instruction contre les policiers l'ayant agressé.

Il reçoit du président du comité P un courrier lui demandant "de bien vouloir me contacter pour planifier votre audition, ainsi que celle d'éventuels témoins, dans le cadre du dossier avec constitution de partie civile dont mention supra".

Monsieur Daoud répond de bonne foi à cette convocation. IL ignore que des policiers l'attendent au comité P. Monsieur Daoud est arrêté immédiatement après son audition. L'Office des étrangers, en effet, avait été prévenu de l'audition de Monsieur Daoud. La déposition de celui-ci note : "Vous m'informez que vous avez pris contact avec l'Office des étrangers et qu'en attendant de plus amples informations quant à ma situation de séjour je vais être pris en charge par un service de la police fédérale le temps d'effectuer cette vérification". Monsieur Daoud est aujourd'hui enfermé au centre fermé de Vottem. Il risque l'expulsion à tout moment.

La Ligue des droits de l'Homme s'étonne, avec les parlementaires dont l'interpellation est annexée à ce communiqué, de ces pratiques indignes d'un Etat démocratique. Elle rappelle que, lorsque fut portée à la connaissance de l'opinion publique la manière frauduleuse dont, les 30 septembre et 1er octobre 1999, des demandeurs d'asile Roms de Slovaquie avaient été convoqués aux polices de Gand et de Tirlemont, à la demande de l'Office des étrangers, sous prétexte de "compléter la demande d'asile" ("vervolledigen uw asielaanvraag") - alors qu'il s'agissait en fait de préparer une expulsion collective -, le Ministre A. Duquesne avait solennellement condamné cette déloyauté devant le Sénat, en estimant que ce type de ruse était de nature à nuire à la confiance du public dans l'administration. Les choses ici non seulement se répètent, mais sont plus graves encore, pour deux motifs: c'est pour se plaindre de traitements inhumains et dégradants subis entre les mains de policiers que M. Daoud s'est rendu au comité P à la demande même de celui-ci; et c'est à l'initiative d'un fonctionnaire du comité P que l'Office des étrangers a été averti de l'audition de M. Daoud, ce qui lui a permis de demander l'arrestation de l'intéressé.

La Ligue des droits de l’Homme rappelle également l’article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (entrée en vigueur le 26 juin 1987 et ratifiée par la Belgique) qui dispose que : " Tout Etat partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit Etat qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite. "

Son article 14 garanti encore le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé, et l’on ne peut que s’interroger sur le respect de cette disposition lorsque le plaignant est expulsé du territoire…

Il faut être très clair sur les conséquences d'un tel épisode: si aucune sanction ne tombe, si cette violation manifeste de la déontologie à laquelle sont tenus les membres du comité P devait demeurer impunie et ne pas susciter la condamnation la plus ferme de la part du ministre compétent - condamnation qui doit rappeler à la fois le comité P à la définition de sa mission et l'Office des étrangers aux exigences de l'Etat de droit -, il faudra en déduire que les personnes en situation illégale en Belgique ne sont plus protégées contre les abus dont ils peuvent être victimes de la part des forces de l'ordre.

-----------------------------------------------------------------------

Vincent DECROLY Jean CORNIL Alain PIETERS

Député Sénateur Député wallon

Palais de la Nation Palais de la Nation En Hors-Château, 48

1008 Bruxelles 1009 Bruxelles 4000 Liège

Monsieur Armand DEDECKER,

Président du Sénat

Monsieur Herman DE CROO,

Président de la Chambre

Monsieur Antoine DUQUESNE,

Ministre de l’Intérieur

Bruxelles, le 20 septembre 2001

Conc. : protection des plaignants et témoins auditionnés par le Comité P

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Ministre,

Le Comité de contrôle des services de police a été institué par les deux assemblées parlementaires fédérales pour enquêter sur des plaintes déposées par des personnes qui s’estiment victimes de traitements anormaux.

A l’heure où la réforme des polices se met progressivement en œuvre, il est donc capital que cette institution renforce sa capacité d’assurer ses fonctions d’enquête, dans un esprit d’équité et de loyauté vis-à-vis des usagers du service public policier qui s’adressent à elle. Cette capacité est en partie tributaire de la confiance que ces usagers peuvent placer en elle.

Il nous paraît que sur ce plan, d’évidents progrès restent à accomplir au vu de la situation décrite en annexe, reflet de pratiques de victimisation secondaire caractérisées. Comment qualifier autrement, en effet, le mécanisme pervers par lequel un plaignant se voit, lors de son audition, réappréhendé par le service qu’il a dénoncé, avec l’aval manifeste voire la complicité active de Monsieur FONTAINE, l’enquêteur du Comité P censé instruire sa requête en toute impartialité ?

Nous nous inquiétons particulièrement de la persistance de pratiques de ce type en dépit, par exemple, de la recommandation n°(97)13 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense (adoptée le 10/9/1997). Le Conseil de l’Europe n’y reconnaît-il pas la nécessité de " reconnaître davantage les droits et besoins des témoins, y compris le droit de ne pas faire l’objet de pression d’aucune sorte, ni d’encourir de risque à l’encontre de leur personne ", " de protéger les témoins contre de telles pressions, en mettant à leur disposition des mesures spécifiques de protection de nature à garantir efficacement leur sécurité " ? Ne précise-t-il pas que " les actes d’intimidation des témoins devraient être punissables, soit en tant qu’infraction pénale à part entière, soit dans le cadre de l’infraction d’usage de menaces illégales " et que les témoins doivent être " protégés contre tout risque d’intimidation pouvant résulter d’une confrontation directe avec l’accusé " - " intimidation " s’entendant, selon cette recommandation, " de toute menace, indirecte ou potentielle exercée sur un témoin et pouvant conduire à une ingérence dans son devoir de témoigner en ne subissant aucune influence, quelle qu’elle soit. Est également concernée l’intimidation résultant (…) du simple fait que le témoin appartient à un groupe social fermé dans lequel il se trouve en situation de faiblesse ".

N’a-t-elle pas suffi, la vague d’indignation soulevée en octobre 1999, lors du piégeage administratif de dizaines de personnes roms par des policiers en vue d’une opération de déportation ethnique ?

Nous entrevoyons deux façons de convaincre nos concitoyens que la réforme des polices débouche aussi, en matière de contrôle des bavures et autres dysfonctionnements policiers, sur des améliorations.

La première serait de mener de telles enquêtes de contrôle équitablement, c’est-à-dire aussi avec loyauté vis-à-vis du plaignant. Cette attitude impliquerait que des situations comme celle qui nous est rapportée par la Ligue des droits de l’Homme ne se reproduisent plus. Elle comporte, pour le Comité P, l’obligation d’offrir aux plaignants ou témoins une protection minimale contre ceux qu’ils estiment devoir dénoncer.

La seconde serait plutôt de résoudre le problème " par le vide ", en expulsant les plaignants d’origine étrangère – et en les faisant arrêter directement dans les locaux-même du Comité P. Nul doute alors que le nombre de plaintes diminuerait en même temps que la confiance des victimes de mauvais traitements policiers dans l’organe censé recevoir et traiter leurs requêtes…

Nous osons espérer que nous ne sommes pas, en dépit d’inquiétantes apparences, dans ce second cas de figure.

Depuis plusieurs années, en Belgique, les plaintes déposées par des étrangers victimes de mauvais traitements lors de leur arrestation ou expulsion sont systématiquement classées sans suite ou expédiées dans des circuits judiciaires sans fin. Nous pensons en particulier à la plainte relative à l’assassinat, le 22 septembre 1998, de Semira ADAMU, à celle relative aux coups et blessures graves infligés à Matthew SELLU le 18 novembre 1999, ou encore, même si le manque de recul temporel ne permet pas encore d’apprécier les délais de procédure aussi sévèrement, à celle déposée par Ibrahim BAH suite à des mauvais traitements survenus voici quatre mois.

En l’occurrence, la personne dont la Ligue se fait le porte-parole pourra-t-elle, quelle que soit sa situation sur le plan du séjour, demeurer légalement en Belgique le temps de faire soigner les blessures graves qui lui ont été infligées par des policiers et de prendre connaissance des conclusions de l’enquête menée à sa demande sur ces agissements dégradants ?

Par ailleurs, les enquêteurs du Comité P ne sont-ils pas déontologiquement tenus à une forme de secret fonctionnel ou de devoir de réserve vis-à-vis des services de police, ce secret leur interdisant des coopérations avec quelque service que ce soit en vue de la capture et de l’expulsion d’une personne auditionnée sur la plainte de laquelle une instruction est en cours ? Comment évaluez-vous la collaboration (pour nous cantonner à l’hypothèse la moins grave) d’un enquêteur du Comité P à une ré-arrestation opérée en vue de l’incarcération et de l’expulsion de la victime ? Ne sommes-nous pas devant un cas d’intimidation flagrant ?

Vous remerciant pour votre attention, nous vous prions de recevoir, Messieurs les présidents, Monsieur le Ministre, nos meilleures salutations.

Alain PIETERS, Jean CORNIL, Vincent DECROLY,

Député wallon Sénateur Député

Copies

- à Monsieur André VANDOREN, Président du Comité P ;

- aux membres de la Commission parlementaire spéciale chargée de l’accompagnement du comité permanent de contrôle des services de police et de renseignements.