«Cabines de luxe aux uns, cales à esclaves aux autres»
Jamais auparavant l\'humanité n\'a disposé d\'un tel potentiel scientifique et technologique et d\'une telle capacité pour produire richesse et bien-être. Des miracles technologiques ont sensiblement réduit la taille de la planète en matière de communications et de distances, mais le fossé entre richesse et pauvreté, entre développement et sous-développement s\'élargit toujours plus.Globalisation veut dire que les habitants de cette planète sont logés à la même enseigne. Mais les passagers voyagent en des circonstances fort différentes. Une très petite minorité voyage en cabines de luxe, équipées d\'internet et de téléphones mobiles. Ils bénéficient d\'eau propre et de repas nourrissants, copieux et équilibrés. Ils ont accès aux soins médicaux sophistiqués et à la culture.
Le FMI doit disparaître
Mais la grande majorité voyage dans des circonstances ressemblant fort à celles de la traite des noirs entre l\'Afrique et l\'Amérique à l\'époque. 85 % des passagers se trouvent affamés, malades et entassés sans défense dans la cale crasseuse du navire. L\'embarcation transporte trop d\'injustice pour pouvoir continuer ainsi. Avec sa route irrationnelle et inapte, elle ne peut arriver à bon port. Elle semble prédestinée à la rencontre avec un iceberg. Et alors nous périssons tous. Nous devons d\'urgence changer de cap et faire que tous les passagers puissent voyager en solidarité, égalité et justice.
La globalisation est réalisée d\'après un concept néolibéral: l\'économie mondiale ne croît pas plus vite qu\'avant, mais il y a plus d\'instabilité, de spéculation, de dette extérieure et d\'échange inégal. Et une tendance accrue aux crises financières. Les pays du tiers monde sont poussés à être plus transparents en matière d\'information financière et à superviser leurs banques de façon plus efficiente. Mais les détenteurs de capitaux qui font la pluie et le beau temps à la Bourse ne lâchent aucune information concernant leurs activités, ils baignent dans la plus complète dérégulation et agissent sur des montants qui dépassent les réserves cumulées de toutes les banques dans le Sud.
Dans un contexte de spéculation sans borne, les mouvements de capitaux à court terme fragilisent fortement le Sud. Les pays du tiers monde sont forcés de bâtir de grandes réserves financières dans l\'espoir de pouvoir repousser les attaques des spéculateurs.
Un système financier qui laisse dormir d\'énormes richesses parce qu\'elles sont nécessaires pour se protéger contre l\'instabilité une instabilité provoquée par ce même système doit disparaître. Le Fonds monétaire international (FMI) symbolise le système monétaire en vigueur et les Etats Unis y ont de fait un droit de veto. Pour le tiers monde, il est de la plus grande importance que ce sinistre institut soit supprimé.
Il doit être remplacé par un organisme régulateur international fonctionnant démocratiquement et soumis à aucun veto. Une institution ne défendant pas les riches en imposant des conditions au tiers monde, mais régularisant les marchés financiers et combattant sans retenue la spéculation.
Une façon de faire serait d\'appliquer un impôt sur les transactions financières spéculatives. Non de 0,1%, comme le proposait Monsieur Tobin, mais de 1%. Cela permettrait de créer un fonds de plus de mille milliards de dollars par an, pouvant être employé pour un développement réel et durable du tiers monde.
Libéralisation inégale
Fidel Castro. Le néolibéralisme impose la libéralisation du commerce comme meilleure et unique formule en matière d\'efficacité et développement. Mais la libéralisation du commerce consiste essentiellement à supprimer unilatéralement toute protection des économies dans le Sud et à maintenir les barrières des pays industrialisés face aux produits du tiers monde.
Les pays riches sont pour la libéralisation des secteurs dans lesquels ils ont des bénéfices énormes, comme les services, la technologie de l\'information, la biotechnologie et la télécommunication. Tandis que pour l\'agriculture et le textile, des secteurs très importants pour le tiers monde, la suppression convenue des restrictions commerciales n\'est pas encore réalisée, parce que cela nuit aux pays riches.
Retrouver notre combativité
Fidel Castro. L\'échec de la conférence sur le commerce mondial à Seattle est un signe de l\'opposition grandissante dans de plus en plus de milieux - au Sud et au Nord - à la politique néolibérale. Pour les pays du tiers monde, ce doit être fini de mendier auprès des pays développés, fini la soumission, le défaitisme et la division mutuelle. Nous devons retrouver notre combativité et notre unité pour, tous ensemble, défendre nos intérêts.
Il y a cinquante ans, on nous promettait que le fossé entre les pays développés et sous-développés serait comblé. On nous promettait pain et justice. Au-jourd\'hui, nous avons moins de pain et plus d\'injustice. Les images de mères et d\'enfants souffrant de la sécheresse et d\'autres fléaux me font penser aux camps de concentration de l\'Allemagne nazie, et à leurs tas de dépouilles mortelles d\'hommes, femmes et enfants.
Il faut un nouveau Nuremberg pour juger l\'ordre économique qui nous est imposé, un ordre qui en trois ans a tué plus de personnes de faim et de maladie que la Deuxième Guerre Mondiale durant six ans.
Le monde peut continuer de globaliser sous le joug du néolibéralisme, mais il est impossible de dominer des milliards de personnes qui aspirent au pain et à la justice. A Cuba, nous disons souvent: «La patrie ou la mort!». Les pays du tiers monde doivent dire: «Unité et collaboration ou la mort!»
Heureusement, Cuba n\'est pas membre du FMI
Fidel Castro. Cuba a développé avec succès enseignement, soins de santé, culture, science, sport et d\'autres programmes, malgré quarante ans de blocus économique. Personne au monde ne peut le nier. Ces dernières années, nous avons également réévalué sept fois notre monnaie vis-à-vis du dollar. Tout ceci a été possible grâce à notre position privilégiée de non-membre du Fond International Monétaire.