La quatrième de couverture de « Monopoly, l’OTAN à la conquête du monde », indique que l’auteur Michel Collon est journaliste à Solidaire, sans préciser que cette publication est l’organe du Parti du Travail de Belgique (PTB), formation farouchement stalinienne. Ce rappel est nécessaire considérant la prétention de ce livre à dénoncer, au nom d’une vérité absolue, la désinformation qui a accompagné la guerre contre la Serbie. La première vérité à rappeler, c’est donc le soutien explicite apporté par Solidaire au gouvernement pluraliste de Milosevic (staliniens, royalistes et fascistes) durant la campagne de l’OTAN. Tout au long des guerres yougoslaves, le PTB et Michel Collon plaidèrent d’ailleurs en défense de la Serbie, allant jusqu’à justifier le massacre de Srebrenica en juillet 95. « Monopoly » ne s’inscrit donc pas dans la lignée des textes classiques dénonçant la propagande de guerre (dont le célèbre « Du Témoignage » écrit par Norton Cru en 1929 sur la guerre 14-18). C’est une œuvre militante délégitimant la lutte des albanais, niant l’existence d’une quelconque oppression à leur encontre et prompte à dénoncer leur refus d’être moins égaux que la minorité serbe au Kosovo. C’est aussi un patchwork de citations commentées doctement (« tout à fait exact », « notez bien », « nous les mettons au défi », « faux », « trompeur », « honteux ») par un prétendu arbitre des élégances journalistiques. La méthode s’est libérée de toute rigueur. Il faut atteindre la Vérité et pour ce noble but tous les moyens sont bons. Or, « le chemin de la vérité fait partie de la vérité aussi bien que le résultat. Il faut que la recherche de la vérité soit elle-même vraie » (Marx). Collon nous grêle de données en vrac où l’exact, le partiel, le mensonger, le sous-entendu s’assemblent dans une confusion qui fait système. Mais quelques informations vraies ne font pas la vérité d’une thèse, puisqu’aussi bien le « vrai est un moment du faux » (Debord). Surtout rien n’est dit de la propagande serbe. Alignant les titres de presse comme arguments d’autorité, il n’indique ni leur orientation politique ni la confidentialité ou non de leur diffusion. Ainsi de Balkans infos, au racisme anti-albanais affiché, dont le caricaturiste de service plaisante vulgairement du viol d’une fillette albanaise par un GI, croquant un soldat avouant penaud : « Je croyais qu’elle était serbe ». Insultant la mémoire des morts, Michel Collon, décrète vivants le courageux avocat albanais Bajram Kelmendi et ses deux fils sauvagement assassinés par des miliciens (p.43). Peut-être pensait-il à Fehmi Agani, adjoint de Rugova qu’on a dit mort puis retrouvé vivant jusqu’à son assassinat effectif un mois plus tard. Coupures de presse manquantes ou indifférence envers les victimes albanaises ? Le zèle à disculper les milices serbes le dispute à la volonté d’affirmer l’existence d’un grand complot dans l’information. Collon a même rencontré des Albanais heureux de vivre sous la loi serbe au point de serbiser leur nom (p. 85). Poutine aussi a son Tchétchène. Heureusement il y a la parole de Milosevic qui, seule, semble vraie (pp. 66-67) et peu importe si ce politique retors dit tout et son contraire. Le Kosovo imaginé par Collon ressemble furieusement à la ferme des animaux d’Orwell : les travailleurs ont les mêmes droits même si « sur le marché de l’emploi les serbes étaient défavorisés » (p.87). Voilà pourquoi sur les 15.000 ouvriers des mines de Trepca seuls 10% étaient albanais en 1998 alors qu’ils représentaient 80% des effectifs 10 ans plus tôt (proportion presque identique à la répartition des nationalités au Kosovo). A vouloir trop en faire, Collon trébuche ainsi à de multiples reprises. Qu’importe, pour ce parfait manuel de la négation, la parole de l’ennemi est toujours fausse. Sans peur du ridicule l’auteur propose de retirer la documentation adéquate auprès de l’ambassade de Yougoslavie (p.191). Car l ’autre thèse de l’ouvrage veut que l’OTAN soit l’ennemi et avec elle les USA qui, dans une vision paranoïaque du monde, comploteraient partout et toujours aux fins d’exercer un empire universel. Aujourd’hui l’anti-américanisme est bien le nouveau socialisme des imbéciles. Michel Collon et le PTB dont il est la voix ne sont pas contre les empires. Ils sont contre l’empire américain. Ceci éclaire le peu de cas fait des Tchétchènes, dont la déportation de 1944 serait la juste punition d’une cinquième colonne (p.132), des Tibétains et des Ouïgours dont l’oppression nationale ne serait qu’une invention au service des Américains (p.153). 20 ans plus tôt le PTB soutenait les USA contre l’impérialisme russe, diplomatie chinoise oblige… Il y a de l’ effroi à décoder cet argumentaire autiste à l’appui d’une logique folle qui épargne les puissants au nom d’une lutte contre de plus puissants. L’ouvrage n’en appelle pas à l’émancipation des hommes de tous les pouvoirs, mais à se soumettre au pouvoir d’un parti détenteur de la vérité, du bien, du sens de l’histoire, de la juste hiérarchie des peuples. En cela, le stalinisme qui développe une pensée pauvre, réduisant la complexité du monde à des oppositions binaires, est un fascisme. « Monopoly » en est une expression. Ce monument de malhonnêteté intellectuelle doit donc être lu au crible de la critique historique. Afin que de tels petits procureurs des média ne président jamais de vrais tribunaux populaires...