BRUXELLES – De très graves dérapages sont survenus ces dernières semaines en Belgique : agressions antisémites, violence scolaire, constitution de milices musulmanes privées à Anvers, assassinat d'un jeune professeur marocain sans histoire par un Belge suivi d'émeutes à Anvers. De plus, la compassion globale et sans esprit critique des habitants du Royaume à l'égard de la cause palestinienne perturbe l'échelle des valeurs et la conscience des citoyens. Une campagne de solidarité avec les communes palestiniennes dénonçant « le terrorisme de l'État d'Israël » est en cours auprès de toutes les communes de Belgique. Récit et analyse. Alertée par le Mouvement Citoyen pour la Défense de la Démocratie et de la Laïcité, Corinne de Permentier, bourgmestre de Forest, une des communes de la région bruxelloise, s'est farouchement opposée au vote de la « motion communale relative à la situation au Proche-Orient » présentée par le Parti Socialiste et Ecolo au Collège échevinal. Cette motion dénonce « les actes de violence commis par l'armée israélienne, les atteintes aux droits de l'homme, les restrictions imposées à la libre circulation des biens et des personnes » et réclame « des mesures politiques, diplomatiques et économiques » contre Israël. Passée presque inaperçue, sauf au sein de la communauté juive, cette action fait actuellement l'objet d'une campagne menée par le Comité de Solidarité avec les Communes palestiniennes auprès de toutes les mairies de Belgique, relayée par PS et Ecolo. Une manœuvre politicienne visant à séduire l'électorat musulman - les législatives auront lieu au printemps prochain -, et qui fait bien peu de cas de la sensibilité de la population juive. Pour le moment, cette motion a été votée par les communes bruxelloises d'Ixelles, Saint-Josse et Saint-Gilles et par celle de Lasne dans le Brabant-Wallon. Elle a été courageusement amendée à Auderghem et Watermael-Boitsfort, autres communes de la Région Bruxelloise ainsi qu'à Bruxelles-Ville même où la séance a duré plus de trois heures. C'est dans ce contexte qu'Yvan Mayeur, député et président du Centre public d'Aide sociale de Bruxelles-Ville et étoile montante du Parti socialiste belge a voulu voir ce qui se passe sur le terrain. Il s'est donc rendu dans les Territoires palestiniens, comme beaucoup d'élus belges mais aussi en Israël, ce qui est infiniment plus rare. « Les problèmes de santé sont criants dans les Territoires, 40% des enfants ne sont plus vaccinés, cela représente un risque pour la population palestinienne mais aussi pour la population israélienne. La formation du personnel soignant est indispensable. À cette occasion, j'ai rencontré en Israël Amram Mitzna - et non Beilin comme on me l'avait conseillé - et nous avons conclu un accord. Nous prenons en charge, pour moitié en Belgique, et pour moitié en Israël, la formation de quarante infirmières palestiniennes ». Cette démarche est exemplaire en ce sens qu'elle réhabilite Israël comme interlocuteur positif pour les Palestiniens et emprunte un chemin différent du prêt à penser habituel. C'est dans cet esprit que les membres du Collectif Dialogue et Partage se sont adressés à tous les Collèges des Bourgmestres et échevins leur suggérant d'associer également les communes israéliennes dans cette démarche de jumelage avec les communes palestiniennes. Seront-ils entendus ? En effet, les événements survenus ces dernières semaines dans le Royaume sont préoccupants - violence scolaire, constitution de milices musulmanes privées à Anvers, assassinat d'un jeune professeur marocain sans histoire par un Belge suivi d'émeutes à Anvers sous la conduite de Dyab Abu Jajah - un leader musulman d'origine libanaise, fondateur de la Ligue arabe européenne (AEL) et associé au Parti des Travailleurs de Belgique (PTB), parti d'extrême gauche, sur la prochaine liste électorale. On lénifie aujourd'hui les actes de nature antisémite pour ne pas faire le jeu des « sionistes » Mais la manière simpliste dont ces événements sont analysés n'est pas sans interpeller également. Ainsi, l'explication d'événements perturbateurs dont les acteurs sont issus de la communauté arabo-musulmane est le plus souvent reliée au conflit du Moyen- Orient. De la même manière que, dans les années 50 et 60, il ne fallait pas dénoncer le goulag afin de ne pas faire le jeu de la droite, on lénifie aujourd'hui les actes de nature antisémite pour ne pas faire le jeu des « sionistes » - entendez par là des « expansionnistes » comme l'écrira « Le Soir », un quotidien qui fut longtemps le journal chouchou de la communauté juive. Et d'en rajouter à l'encontre des juifs qui se croient trop vertueux et exempts de critiques. Comme s'il fallait pratiquer un équilibre permanent entre les uns et les autres. L'indignation d'une démocrate Bien qu'elle soit Belge, le fait qu'Annette De Ridder, qui a un look méditerranéen et qui mange, fume et s'habille à l'occidentale en plein ramadan, a été à plusieurs reprises victime d'agressions de la part de jeunes d'origine maghrébine. « Ces incidents surviennent fréquemment et d'autres femmes, occidentales ou maghrébines, en sont victimes », écrit-elle. Via Internet, elle demande que l'on « rappelle les règles démocratiques de notre pays à ceux qui pratiquent intolérance et non respect de l'autre. » Son indignation de démocrate et de femme de gauche, est sincère. Elle veut donc susciter un débat mais elle met en garde contre une éventuelle récupération de son message en précisant que, si elle dénonce le développement de l'intégrisme parmi les musulmans de son quartier, elle pourrait tout aussi bien « stigmatiser le complexe de supériorité de certains juifs » lié à leur « expérience de la Shoah, son caractère unique et incommensurable. » Si on réprimande les Arabes, il ne faut donc pas manquer de réprimander aussi les juifs. De les mettre au moins à égalité. Les actes des uns valent le sentiment des autres. Manifestement, chez Annette de Ridder, la pensée de l'équilibre prévaut. Un professeur juif agressé Accueilli par le salut hitlérien, des insultes antisémites et des menaces, un jeune professeur juif se fait agresser physiquement par des élèves arabo-musulmans à l'athénée Tricot, lycée de la communauté française situé dans la région Bruxelloise. L'agression est présentée ainsi dans « Le Soir » : « Le climat international malsain vient de faire une victime innocente à Bruxelles ». Voilà donc des délinquants transformés en militants, le conflit moyen-oriental tenant donc lieu d'alibi à des actes de violence physique d'élèves sur un professeur. Un psychologue - juif d'extrême gauche - ira jusqu'à déclarer à la télévision publique qu'il est « irresponsable » d'exclure ces élèves de leur établissement comme l'ont décidé les autorités responsables. Mais que déclare le professeur agressé ? Qu'il a pris l'initiative de rencontrer le Comité de Coordination des Organisations juives de Belgique (CCOJB) « afin d'éviter toute récupération et tout dérapage. (ndlr.Il est membre de l'Union des Juifs Progressistes de Belgique (UPJB), une organisation minoritaire mais dynamique, dont les militants, selon les cas, oscillent entre antisionisme, asionisme ou sionisme critique )Vous savez, je suis moi-même considéré par quelques uns, au sein de ma propre communauté, comme un antisémite ! Donc, les Arabes m'attaquent (me blessent) mais les juifs aussi m'attaquent (m'insultent) ». La blessure vaut l'insulte. Égalité partout. L'acte - la blessure - perd de son caractère scandaleux et voici son auteur, en quelque sorte, déresponsabilisé. Que retient le citoyen lambda ? Comment doit-il désormais penser l'événement ? Un glissement va nécessairement s'opérer dans son échelle de valeurs suite à la banalisation de l'acte, conséquence de la pensée de l'équilibre. Les étudiants menacés Suite aux menaces dont ont été victimes les étudiants, il leur a été reproché le caractère provocateur de leur affiche qui proposait cette simple question-réponse : « Quel est le premier pays du Moyen-Orient à avoir donné le droit de vote aux femmes arabes ? Israël. » Michel Gross, stratège dans une agence de publicité : « Oui, ce message est provoquant et disruptif, mais dans le bon sens du terme. D'abord, il met en lumière une vérité non dite parce que gênante, à savoir que contrairement aux pays arabes, Israël est une démocratie. Mais surtout, cette affiche met le doigt sur un des nombreux retards de la société arabo-musulmane, à savoir la condition féminine, ce qui a pour effet de déstabiliser le bon peuple de gauche dans ses convictions. En effet, il ne peut pas être à la fois pour les Arabes et pour la condition de la femme musulmane, pour la démocratie et pour la libération des femmes. Il est pris dans un message paradoxal. D'où la réaction violente, à savoir les menaces dont ont été victimes les étudiants de l'Université Libre de Bruxelles. Provocation parce que l'affiche rompait un équilibre favorable à la cause palestinienne et défavorable à la cause israélienne Cela dit, cette affiche touche - volontairement ou non - un niveau plus profond. C'est un sujet fondamental qui oppose non pas Israël et les Palestiniens mais bien l'Islam et l'Occident, et donc deux façons différentes de gérer le rapport entre les sexes (ou le malentendu des sexes, si l'on préfère). La condition de la femme en Occident représente l'horreur ultime pour une structure traditionnelle/féodale comme la société arabo-musulmane. Ne nous y trompons pas, quand cette dernière traite l'Occident de décadent, c'est à cela qu'elle fait allusion. À l'inverse, aux yeux des Occidentaux, la condition de la femme est le talon d'Achille du monde musulman. D'où cette idée, légitime ou non, que la libération des pays musulmans se fera probablement par les femmes, lorsqu'elles seront enfin libérées de la tutelle de leurs pères. À ce titre, l'affiche a touché juste. » Provocation parce que l'affiche rompait un équilibre favorable à la cause palestinienne et défavorable à la cause israélienne. Absence de condamnation ferme de la part de Louis Michel, Vice-Premier ministre belge et ministre des Affaires étrangères Cette pensée de l'équilibre fleurit dans un contexte qui ne prend en compte qu'avec parcimonie la réalité vécue par les Israéliens et qui conduit à perturber l'ordre des valeurs. Lors d'un attentat qui, en décembre 2001, a frappé des civils en Israël, Louis Michel, Vice-Premier ministre belge et ministre des Affaires étrangères, a eu ces mots très faibles : « Dans ces circonstances, il faut dire que l'on partage la peine des familles des victimes, il faut dire que l'on déplore les attentats. » Que veut dire : « il faut dire » ? On dit ce que l'on veut dire, point. Le formalisme de Louis Michel, en la circonstance, n'a été d'aucune aide pour la communauté juive. Aucune comparaison avec la réaction si sobre, si émue de Catherine Tasca, alors ministre de la Culture, en France : « De tels actes sont injustifiables. Rien, aucune situation, ne justifie de tels attentats. » L'absence de condamnation ferme de la part du Vice-Premier ministre n'a échappé à personne. Lorsqu'une telle personnalité exprime une telle indulgence pour ces actes qu'Human Rights Watch, après Amnesty International, qualifie enfin de « crimes contre l'humanité », comment se situent les valeurs dans la morale des citoyens ? L'empathie pour la cause palestinienne a mis les esprits en condition d'accepter l'inacceptable L'empathie pour la cause palestinienne a provoqué un déplacement de valeurs dans la société belge. Elle a mis les esprits en condition d'accepter l'inacceptable. Elle a conduit à plébisciter une société qui sacralise la mort de l'homme et donc de l'humanité. Elle a forgé d'Israël une image de dictature sanguinaire tout en épargnant les régimes autoritaires des pays environnants. En donnant de Sharon une image de criminel de guerre tout en angélisant Arafat, en désignant comme massacre un combat qui oppose surtout des Palestiniens armés aux soldats de Tsahal, en employant un vocabulaire hyperbolique comme « camp de concentration » ou « nazi », la compassion avec le peuple palestinien a brouillé les grilles de réflexion des citoyens et surtout de la jeunesse moins armée pour décoder l'exagération et le mensonge. Elle a aussi provoqué un malaise considérable dans la communauté juive de Belgique. Ne plus évacuer le débat Les citoyens belges sont ébranlés par les derniers événements. La nécessité d'une réflexion sur l'instrumentalisation de la cause palestinienne et sur la manipulation des musulmans modérés par les islamistes commence à poindre. Lorsque voici un mois, Daniel Ducarme, Président du Mouvement Réformateur (MR) s'est exclamé « L'intégration a échoué », de nombreuses voix se sont élevées pour fustiger son populisme mais personne n'a pris la peine d'examiner le fondement de cette affirmation. On s'est bien gardé aussi de se pencher sur le sondage diffusé sur « Le Soir en ligne » qui lui donnait 48% de personnes tout à fait d'accord et 12% plus ou moins d'accord - soit 60% d'avis favorables. On reconnaissait l'islamophobie et la discrimination mais sans aller au-delà pour ne pas sortir du « politiquement correct ». Ouvrir les débats, tous les débats, voici ce qu'attend la société belge et parmi elle, la communauté juive L'arrestation du chef de la Ligue Arabe Européenne (AEL), Dyab Abou Jajah, pour rébellion de bande avec préméditation suite aux émeutes d'Anvers, a rassuré la population. La section écolo de Lessines a présenté ses excuses pour avoir cédé aux pressions de Pierre Galand, chantre de la cause palestinienne en Belgique qui refusait de débattre avec son homologue des amitiés belgo-israéliennes, Joel Rubinfeld. Peut-être en viendra-t-on aussi à se poser la question de comprendre pourquoi le livre d'Oriana Fallaci, « La rage et l'orgueil », s'est vendu à 1 million d'exemplaires en Italie et encore davantage en France au lieu de l'honnir en refusant de le lire comme l'a déclaré un sénateur belge. Ouvrir les débats, tous les débats, voici ce qu'attend la société belge et parmi elle, la communauté juive. Celle-ci alors n'aura plus à s'investir dans des actions contre–productives, tel le boycott du journal « Le Soir » - dont la récente ouverture, sous la direction de sa nouvelle rédactrice en chef, Béatrice Delvaux, mérite d'être soulignée -, ou la plainte qui vient d'être déposée contre la chaîne du service public, la RTBF auprès du Tribunal de Dinant