Cité

Sans Papiers
Vite, mettez les draps !
(1)

 

Le 25 novembre dernier, une vingtaine de sans-papiers qui occupaient l’église du Béguinage à Bruxelles ont dû quitter les lieux qui leur servaient de refuge, après l’incendie du toit de l’édifice, mais surtout après plus de deux ans d’occupation et de lutte. Une lutte de plus en plus ignorée.

En octobre 1998, des sans-papiers investissent l’église du Béguinage à Bruxelles et s’y installent. Objectif : contribuer à un débat sensé débloquer la situation des clandestins en Belgique. A l’initiative de l’action, le Mouvement national pour la Régularisation des Sans-papiers", mouvement qui regroupe une importante partie du monde associatif belge et à l’origine duquel on trouve le CIRE (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers). Le Mouvement national est politiquement proche du PSC et du PS.

Les personnes qui s’installent dans l’église sont pour la plupart des demandeurs d’asile ayant un léger espoir d’obtenir les papiers leur permettant de séjourner en Belgique. Dés les premiers jours de l’occupation, ils sont rejoints par des personnes en situation parfaitement irrégulière. On cherche le consensus.

Début novembre, une assemblée générale des occupants a comme résultat la naissance du Collectif des Sans-papiers du Béguinage, qui a comme revendication principale la régularisation de tous les illégaux qui se trouvent sur le sol belge, revendication qui n’est pas acceptée au sein du Mouvement national, qui exige pour sa part la régularisation des sans-papiers qui sont en Belgique depuis 5 ans. Une soi-disant "realpolitik" se heurte donc à une solidarité sans concessions et le Mouvement national s’éloigne des occupants du Béguinage.

Suit pour le collectif du Béguinage un travail temporaire avec des universités, des actions politiques sur le terrain (qui rassemblent en général une trentaine de personnes), mais surtout le début d’un isolement complet, très peu d’associations ou d’individus s’intéressant encore à la cause défendue. Les grèves de la faim entamées par des occupants ne changent guère la donne.

Néanmoins, la volonté des occupants demeure. Décision est prise d’occuper l’église jusqu’en juin 2001, date à laquelle le gouvernement a fixé l’échéance de sa campagne de régularisation qui s’illustre par une fameuse stagnation. Après? Le collectif du Béguinage avisera. Entre-temps? L’église aura comme fonction d’être un lieu d’accueil pour les sans-papiers auxquels les autorités ont refusé la demande de régularisation et qui se retrouveront dans une situation extrêmement périlleuse et précaire.

Dispatchés ou évacués

Vers 21h., le 25 novembre 2000, le toit de l’église du Béguinage prend feu. Bizarre, affirme Mohammed Chouitari, délégué du Collectif du Béguinage, la cause de l’incendie n’est pas définie clairement. Ivan Mayeur, président du CPAS de Bruxelles, propose alors aux sans-papiers du Béguinage de loger dans l’Institut PACHECO, un home qui dépend de ses soins. 18 sans-papiers acceptent. Le lendemain, ils tentent de réintégrer l’église, mais l’entrée est bloquée par la gendarmerie.

Le jour d’après, lundi 27, M. Mayeur et Mario Gotto, directeur du CIRE et du Mouvement national, arrivent à l’institut PACHECO accompagnés des médias. Ils essayent de convaincre les sans-papiers de se faire « dispatcher » dans des logements individuels provisoires, ce que ceux-ci, après concertation, refusent. Sur les lieux, il y a également une vingtaine de sympathisants qui soutiennent le collectif du Béguinage. Voyant que les sans-papiers veulent rester ensemble et que les négociations capotent, M. Mayeur demande au personnel de l’institut d’accrocher des draps aux fenêtres (pour éviter les regards des sympathisants et des journalistes) et fait évacuer les sans-papiers par la police.

Heureusement, et après l’intervention de la Ligue des Droits de l’Homme, le collectif sera remis en liberté le lendemain, sauf une personne qui, selon la Ligue, est en voie d’expulsion.

La « pression de groupes extérieurs »

Mais reprenons. Mario Gotto est donc directeur du CIRE et initiateur de l’occupation de l’église du Béguinage. Mohammed Chouitari commente : Le CIRE offre de l’aide judiciaire et des formations aux demandeurs d’asile. Il édite également des brochures. De temps en temps, il organise des expos d’oeuvres d’art en soutien aux réfugiés. Pour le Béguinage, Mario Gotto s’est dit qu’au lieu d’exposer des tableaux, il allait exposer des demandeurs d’asile en chair et en os.

Le fait est que, dés que les occupants ont manifesté le désir de gérer leur lutte eux-mêmes, le Mouvement national a retiré son soutien aux occupants et a même tenté de saboter leur action. A l’arrestation des sans-papiers, le 27 novembre, Mario Gotto était présent, avec le sourire...

Ivan Mayeur est président du CPAS et échevin socialiste. En octobre 1998, il exprime son soutien aux occupants, face aux caméras de télévision et achemine de l’aide matérielle vers l’église. Mais dès janvier 1999, il coupe les vivres aux occupants, retire les chauffages que le CPAS avait mis à disposition et s’éclipse.

Le mardi 28 novembre 2000, il déclare aux journaux que le fait que les sans-papiers, alors qu’il faisait de son mieux, aient refusé de se faire loger individuellement, était dû à la pression de groupes extérieurs.(2) Quoi de mieux pour casser un mouvement que de séparer et d’isoler les éléments qui le composent ? Quand l’Office des Etrangers décide d’expulser deux membres d’une famille tzigane, mais octroie au père le droit de rester en Belgique, et que celui-ci refuse et préfère rejoindre ses proches au pays, c’est sûrement qu’il était sous la pression de groupes extérieurs…

Dès que le mouvement issu du Béguinage s’est défait de la tutelle de certaines associations, dés que le collectif des sans-papiers s’est exprimé de façon autonome, il a été enfoncé dans l’abandon et l’oubli. Envers et malgré tout, il a continué de lutter pour des papiers pour tous et pour une vie digne de ce nom - se heurtant à l’hypocrisie d’habiles marionnettistes du paysage politique belge. Que Mohammed Chouitari épingle : Pour eux, pas question d’organisation. Ils ont toujours agi comme un Ministère de l’Intérieur parallèle. Et il dit ne voir que peu de perspectives pour l’avenir de leur lutte, non pas à cause du manque de solidarité interne, mais bien par manque de soutien véritable.

 

NISSE

(1) Allusion au livre que Chris de Stoop a consacré à une enquête qui retrace l’errance d’une famille de réfugiés à travers l’Europe, "Vite, rentrez le linge!" (Actes Sud) - qui fait lui référence à l’expression des villageois à l’approche de Tziganes de leur village.

(2) Le Soir, mardi 28 novembre 2000.