Membre du Congrès national indigène, au
Mexique, Juan Anzaldo Meneses lutte depuis des années pour la reconnaissance
de l'existence et des droits des peuples indigènes. Témoin privilégié du
conflit opposant l'État mexicain à l'Armée zapatiste de libération nationale
et des négociations qui ont mené aux Accords de San Andrés, il jette un
regard critique sur les premiers pas du président Vicente Fox sur le chemin
de la paix. Car, même si les Accords de San Andrés ont été signés, les
Zapatistes attendent toujours qu'ils soient appliqués; et ce n'est là qu'une
des trois conditions qu'ils posent pour que reprenne le dialogue. Pour M.
Meneses, les prochains mois seront cruciaux pour l'avenir des peuples
indigènes et de la paix au Mexique.
Selon lui, il convient d'ailleurs d'appréhender la situation au Mexique dans
le contexte de la mondialisation. Les peuples indigènes sont bien sûr menacés
par le gouvernement fédéral et par l'armée, mais aussi par un système qui les
exclut encore et toujours (comme tous les peuples?) de toute négociation, qui
encourage la conclusion d'accords commerciaux secrets et qui permet, en fin
de compte, une interprétation biaisée du contenu de ces accords et la mise à
sac d'États riches comme le Chiapas par des entreprises transnationales.
Lors de son court passage à Québec à l'occasion de l'ouverture du colloque
"La ZLÉA: un outil au profit de qui?", le vendredi 16 février, M.
Meneses s'est entretenu avec un journaliste du CMAQ (lié à Indymedia Quebec).
Traduction et transcription de Patrice
Breton.
Dans l'ordre, les cinq questions posées à M. Meneses:
· Pourquoi Vicente Fox n'a-t-il pu conclure la paix avec les Zapatistes en
cinq minutes, comme il l'avait promis?
· Croyez-vous qu'il y ait toujours des chances qu'entrent en vigueur les
accords de San Andrés?
· Dans ce contexte, quels sont les objectifs de la marche qui va débuter le
samedi 24 février?
· Les peuples indigènes du Mexique et les autres qui peuplent les Amériques
partagent-ils le même combat?
· Dans ce contexte de mondialisation, de la solidarité ou des marchés , quels
peuvent être les impacts de la création de la Zone de libre-échange des
Amériques sur la cause des peuples indigènes?
-POURQUOI VICENTE FOX N'A-T-IL PU CONCLURE LA
PAIX AVEC LES ZAPATISTES EN CINQ MINUTES, COMME IL L'AVAIT PROMIS?
-Depuis le début de cette année, et un peu avant le mois de décembre 2000, a
commencé une nouvelle étape, avec un nouveau gouvernement. Après plus de 60
ans d'un gouvernement comparé à une dictature parfaite, maintenant c'est un
parti de droite qui gagné les élections, avec la promesse d'améliorer les
conditions de vie de tous les Mexicains et particulièrement des peuples
indigènes.
Pendant la campagne électorale, le président actuel, Vicente Fox, a promis
qu'il allait encourager le développement des peuples indigènes. Ce qu'il
voulait était de faire reconnaître l'importance du commerce, des possibilités
qu'il offre. Il affirmait que la solution pour faire sortir les peuples
indigènes de la misère passait par les "changarros" (petits
commerces qui vendent différents types de marchandises).
À la fin du gouvernement de Ernesto Zedillo, qui n'a pu résoudre les
problèmes engendrés par le conflit armé au Chiapas et dans d'autres États du
pays, une nouvelle chance se présente avec un nouveau gouvernement qui répète
effectivement qu'il y a une volonté pour la paix. Immédiatement après la
prise de pouvoir du nouveau président, l'Armée zapatiste de libération
nationale (EZLN) a également manifesté son intérêt de créer des conditions
pour réamorcer le dialogue et pour qu'ainsi se réalise la paix dans notre
pays.
Nous savons tous qu'en 1994 les indigènes du Chiapas ont pris les armes.
Avant cette date, à plusieurs occasions et dans tout le pays, des marches et
des mobilisations indigènes avaient exigé la résolution de plusieurs
problèmes comme ceux concernant la terre, la santé, l'éducation, l'injustice
de beaucoup d'années de souffrance. Mais, chaque fois, on leur a répondu soit
par la tromperie, soit par la violence: par le biais d'évacuations, de la
police, de l'armée, de différents instruments dont dispose l'État pour
réprimer ce genre de manifestations.
Cependant, à la suite du soulèvement armé, il y a eu une autre nouvelle
possibilité de paix, par la voie du dialogue. Plusieurs choses sont en jeu en
ce moment, dont l'idée que c'est par la voie du dialogue que peuvent se
trouver les solutions aux conflits. Ces solutions passent par le respect et
la mise en oeuvre des accords et par des négociations sérieuses pour trouver
comment peuvent se construire des alternatives pour une vie meilleure pour
tous. Parce que si [le gouvernement] répète l'erreur de vouloir tromper et de
vouloir lancer une grande campagne publicitaire -qui dans le fond ne
résoudrait rien-, la leçon qu'en tireront les médias et la population en
général, les insurgés et tous les peuples indigènes est que le chemin du
dialogue ne mène nulle part.
Déjà, il y a eu un dialogue entre le gouvernement fédéral et l'armée
zapatiste; déjà, il y a eu des négociations profondes où des thèmes
importants ont été discutés (mais seulement ceux qui étaient relatifs aux
droits et à la culture indigènes); déjà, il y a eu un accord, qui a été signé
entre le gouvernement fédéral et l'armée zapatiste. Des députés et des
sénateurs du Congrès de l'union, ainsi que des représentants de la société
civile, ont participé. Les documents sont signés, mais, depuis 1996, ils
n'ont pas été respectés.
Et ils n'ont pas été respectés parce qu'il y a quelques questions relatives à
des technicalités juridiques. Mais ce ne sont là que des prétextes pour ne
pas incorporer à la constitution mexicaine les droits des peuples indigènes:
le droit à l'autodétermination, exprimé par l'autonomie à l'intérieur de
l'État mexicain, et avec lui la reconnaissance des autorités des peuples
indigènes, le respect de leurs systèmes normatifs internes, la protection et
la promotion de leurs propres cultures et aussi la protection et la
conservation de leurs ressources naturelles et, maintenant, de leurs
ressources biologiques.
Ces accords sont déjà signés et les négociations ont déjà eu lieu. Ce qui est
nécessaire, maintenant, est de mettre en oeuvre et de respecter ces accords.
C'est là un des signaux qu'attend l'EZLN pour reprendre confiance dans le
dialogue. Un autre signal important serait la fin de la répression contre les
dirigeants et les membres proprement zapatistes avec la libération de plus de
4050 prisonniers. Le gouvernement en a déjà libéré environ trente.
[Le troisième signal attendu par l'EZLN est la mise en oeuvre des accords de
San Andrés.]
Ce gouvernement a présenté le projet de loi [devant mener à l'application des
Accords de san Andrés] devant le congrès; cette même loi qu'avait élaborée la
Commission de concorde et de pacification du Congrès de l'union et avec
laquelle l'EZLN était d'accord. Mais l'erreur du président a été de ne pas
avoir recherché, avec les partis, le consensus politique qui aurait garanti
son approbation.
Ce qui arrivait dans notre pays depuis plusieurs années était que tous les
projets de loi qui étaient présentés par le président de la république
étaient appuyés par plusieurs sénateurs et députés de son parti. Maintenant
qu'il n'y a plus de parti majoritaire au congrès, il est nécessaire de
convaincre tous les députés et les sénateurs de l'importance de résoudre un
conflit qui dure depuis plusieurs années. Mais ce n'est pas ce qu'a fait
notre président. Il a simplement présenté le projet de loi comme un projet de
loi de plus et, comme ça arrive fréquemment dans notre pays pour un grand
nombre de projets de loi qui n'ont pas l'appui des partis, il s'est retrouvé
au "congélateur".
Comme il n'y a pas de consensus et comme il n'y a pas eu de travail préalable
pour convaincre les partis politiques, les députés et les sénateurs se
disent: "Puisqu'il n'y a pas de consensus, nous envoyons le projet de
loi aux archives". C'est le risque que court actuellement cette loi et
c'est pour cela que beaucoup d'entre nous, des membres du Congrès national
indigène, considèrent que le président Fox n'a pas encore respecté sa
promesse. Il a présenté le projet de loi, mais il n'y a toujours pas de loi.
-CROYEZ-VOUS QU'IL Y AIT TOUJOURS DES CHANCES
QU'ENTRENT EN VIGUEUR LES ACCORDS DE SAN ANDRÉS?
-Je crois qu'il y a des possibilités. Je crois que nous avons beaucoup
d'ouvertures, que de nouvelles ouvertures se présentent pour la paix. Mais
nous sommes justement à ce moment où rien ne se définit, où toutes les
parties, incluant l'EZLN, vont pouvoir démontrer leur bonne volonté. L'EZLN a
dit qu'il attendait ces trois signaux: 1) le respect des accords par le voie
de l'approbation par le congrès de la loi qui reconnaît les peuples et les
cultures indigènes; 2) le retrait de l'armée de sept positions sur les 259
qui existent au Chiapas; 3) la libération des Zapatistes injustement
emprisonnés.
Aucune de ces trois exigences n'a encore été satisfaite. Le président Fox est
en mesure de les satisfaire toutes; je ne vois pas pourquoi il ne pourrait
pas. Peut-être qu'il lui manque un peu de volonté; peut-être qu'il n'a pas
encore la capacité de gouverner pleinement (ça ne dépendrait donc pas de
lui).
Par exemple, dans le cas de l'armée, nous savons que c'est un pouvoir en
lui-même; il a sa propre discipline, mais il devrait subordonner ses intérêts
stratégiques au pouvoir civil. Il faut aussi dire que retirer l'armée de sept
positions ne change en rien le rapport de forces entre les Zapatistes et
l'armée fédérale. Les militaires vont conserver 253 positions militaires: une
force de frappe incroyable de beaucoup supérieure à la force de frappe des
Zapatistes. Qu'ils occupent ou non ces sept endroits qui sont somme toute
symboliques, les militaires pourraient achever les Zapatistes, parce qu'ils
ont des avions, des hélicoptères, des tanks, des bases militaires très bien
construites; enfin, parce qu'ils ont tout. Quitter les sept bases
n'affecterait rien, et pourrait donner la preuve que le gouvernement du
Mexique est Vicente Fox et pas un autre pouvoir.
Dans le cas des Zapatistes injustement emprisonnés, des preuves de leur
innocence ont été présentées. Plusieurs sont accusés d'homicide, de vol,
d'émeute, de terrorisme, et les preuves en leur faveur n'ont jamais été
écoutées. Leurs cas n'ont pas été révisés et, actuellement, les prisonniers
qui ont été libérés l'ont été par le gouvernement de l'État du Chiapas. Parce
que nous savons que le gouvernement du Chiapas aussi a changé. L'ancienne
opposition (un peu plus vers le centre) gouverne, et ce fut son initiative de
libérer les prisonniers. Il reste à démontrer la volonté du gouvernement
fédéral de Vicente Fox de libérer les prisonniers qui se trouvent au Chiapas,
mais aussi dans les États de Puebla et de Querétaro.
Puis, du côté de l'approbation du projet de loi, ce dont Vicente Fox a besoin
est plus qu'une grande campagne publicitaire. Il a besoin de convaincre les
membres de son parti -premièrement- et ensuite les autres partis politiques
de l'importance, pour arriver à la paix, du projet de loi élaboré par le
Congrès de l'union. Il a besoin de les convaincre que c'est un accord d'État;
non d'une personne (Ernesto Zedillo) ou d'un président (Vicente Fox), mais
bien de l'État mexicain. Ce dernier doit réparer, dans un esprit de justice
sociale, une dette historique qu'il a envers les peuples indigènes en
garantissant, bien sûr, l'unité du pays, la défense des droits humains, la
protection, surtout, des droits des femmes, mais en permettant et en
reconnaissant, comme partie de l'État mexicain, les peuples indigènes; en
reconnaissant ce qui existe en réalité et en créant des ouvertures pour un
développement productif et authentique.
Donc, il y a plusieurs ouvertures à l'heure actuelle, qui vont se définir
dans les prochains jours et les prochains mois. Le président Fox a dit dans
tous les médias de communication que la conclusion de la paix n'est qu'à
quelques semaines de distance. Je ne crois pas qu'il exagère, mais il utilise
présentement les armes de marketing qu'il a utilisées pendant la campagne
politique. Il ne s'agit pas de la conclusion ou non de la paix. J'insiste:
les accords existent déjà et ils sont signés. Ce sont les premiers accords
d'un processus de négociation très complexe qui ne peut se résoudre en
serrant la main de quelqu'un -avec une photo ou une belle déclaration. La
paix, dans notre pays, se consolide par un long processus.
Cette déclaration de Vicente Fox, qui dit qu'il va conclure la paix dans
quelques semaines, nous sommes plusieurs à ne pouvoir croire en elle;
premièrement parce qu'il faudrait rétablir le dialogue, ou plutôt que les
trois signaux [qu'attend l'EZLN] soient envoyés. Après la réouverture du
dialogue, il faudrait se mettre d'accord sur la façon de poursuivre ce
processus qui s'est enrayé à cause de l'intransigeance du président Zedillo.
Ensuite, il serait possible de voir quand pourrait se conclure la paix.
-DANS CE CONTEXTE, QUELS SONT LES OBJECTIFS DE
LA MARCHE QUI VA DÉBUTER LE SAMEDI 24 FÉVRIER?
-Elle n'a qu'un seul objectif, cette marche que vont amorcer 23 commandants
et le sous-commandant insurgé Marcos vers le district fédéral accompagnés par
le Congrès national indigène et ses organisations. L'unique objectif est de
dialoguer, de discuter, d'argumenter avec les députés et les sénateurs du
Congrès de l'union pour qu'ils approuvent finalement le projet de loi qu'ont
préparé des députés et des sénateurs de tous les partis en 1996 et que
dernièrement Vicente Fox a soumis au Congrès de l'union. C'est là l'unique
objectif.
Les Zapatistes et le Congrès [national indigène] vont parcourir différentes
régions indigènes de tout le pays pour écouter les peuples eux-mêmes et leurs
représentants vont participer au troisième Congrès national indigène avec de
5 000 à 10 000 délégués qui vont se réunir dans une communauté indigène de
l'État de Michoacán et après marcheront vers le Congrès de l'union dans
l'espoir que les députés vont écouter leurs arguments. C'est l'unique
objectif de la marche. L'objectif n'est pas de s'asseoir et de discuter avec
Vicente Fox ou quoi que ce soit d'autre.
Si on peut réussir à faire approuver le projet de loi, si Vicente Fox finit
de retirer les forces militaires comme il lui a été demandé et si les
Zapatistes emprisonnés sont libérés, alors l'EZLN a dit qu'il établira un
contact direct avec le gouvernement fédéral pour continuer les négociations.
-LES PEUPLES INDIGÈNES DU MEXIQUE ET LES
AUTRES QUI PEUPLENT LES AMÉRIQUES PARTAGENT-ILS LE MÊME COMBAT?
-Par rapport à leurs peuples indigènes, le Canada et les États-Unis ont une
histoire très différente de celle de l'Amérique latine. Le processus de
conquête a signifié pour tous la persécution, une grave extermination,
plusieurs choses nocives pour leurs cultures, pour leurs territoires, pour
les États qui existaient avant l'arrivée des conquistadores, mais
actuellement leur réalité est aussi différente. Nous vivons dans un contexte
local distinct, même si nous menons une lutte internationale commune.
Actuellement, dans notre pays, le Mexique, la convention 169 de
l'Organisation internationale du travail et, justement, les Accords de San
Andrés sont basés dans plusieurs parties sur les principes qu'établit la
convention 169. Le principal de ces principes est la reconnaissance des
peuples indigènes comme sujets de droit, comme une entité collective qui a
droit à la reconnaissance et à l'exercice de plusieurs droits, comme ce
devrait être le cas pour tous les peuples du monde.
Maintenant, nous sommes en train d'inviter plusieurs personnes et peuples du
monde à tourner leurs yeux et leurs oreilles vers ce qui va se passer au
Mexique, parce que la lutte zapatiste n'a pas seulement été un conflit qui
opposait un groupe armé et le gouvernement fédéral. Au contraire, plusieurs
peuples indigènes nous ont appuyés immédiatement, tout comme plusieurs
organisations de syndicats, de travailleurs, d'étudiants, d'universitaires,
de professionnels nous ont appuyés dans tout le Mexique et même dans le monde
parce qu'ils reconnaissent que c'est une cause juste.
Et cette cause, en plus, a rejoint plusieurs peuples de toute la planète, par
exemple au sujet du droit à l'autonomie, du droit de participer non seulement
à la vie politique, pour ainsi dire, mais aussi à la construction de l'avenir
que nous voulons pour nos communautés, et pas seulement pour les communautés
indigènes; car il peut y avoir d'autres types de communautés qui aussi ont le
droit de définir quel devrait être leur avenir, comment construire cet
avenir, par quels chemins, sans que ce soit imposé par une certaine classe
politique qui veille à des intérêts qui parfois coïncident avec les intérêts,
les bénéfices et le bien-être d'une certaine partie de la population.
Pour cela, je pense que la lutte zapatiste est importante et s'est propagée
au-delà des frontières nationales. Il est intéressant que plusieurs personnes
puissent participer au troisième Congrès national indigène, les 3 et 4 mars.
Pour ce qui est des peuples indigènes de l'étranger, ils sont invités à
participer, à lancer leur message; et les organisations sociales ou les
individus qui veulent participer au congrès comme observateurs sont bien
entendu les bienvenus. Il faudra être attentif à ce qui va se passer. Il est
aussi possible de participer avec des appuis financiers ou autres, parce que
toutes ces mobilisations, la marche ou le congrès, se réalisent avec des
fonds des organisations et de la population en général. Elles ne reçoivent de
subventions d'aucune institution gouvernementale ou publique.
Justement, c'est intéressant d'avancer vers l'autonomie par le moyen de
l'autosuffisance des organisations sociales et de la société civile, pour
démontrer que la globalisation ne se fait pas seulement par le commerce. La
mondialisation doit aussi se comprendre comme une globalisation de la
solidarité entre les peuples, qui sont unis par divers aspects comme la
défense des intérêts des gens plutôt que par la volonté de retirer des
bénéfices personnels et de faire des "grosses" affaires avec le peu
de ressources naturelles qu'il nous reste.
-DANS CE CONTEXTE DE MONDIALISATION, DE LA
SOLIDARITÉ OU DES MARCHÉS, QUELS PEUVENT ÊTRE LES IMPACTS DE LA CRÉATION DE
LA ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE DES AMÉRIQUES SUR LA CAUSE DES PEUPLES INDIGÈNES?
-Je pense qu'en principe un accord commercial ne peut être au-dessus de
traités internationaux ni au-dessus d'accords et de lois nationales. Dans le
premier cas, la convention 169 est en vigueur au Mexique depuis 1991. Ça va
bientôt faire 10 ans et, pourtant, beaucoup de ses principes et de ses recommandations
n'ont pas été respectés. Les peuples [indigènes] n'ont pas été reconnus comme
sujets de droit et ils ont encore moins participé ou été consultés sur des
thèmes très importants qui les affectent.
Dans le cas de l'Accord de libre-échange nord-américain, entre le Canada, les
États-Unis et le Mexique, il y a eu plusieurs situations dans lesquelles les
peuples indigènes n'ont jamais été consultés pour que des entreprises
transnationales puissent entrer au pays et affecter indirectement leurs intérêts.
Les négociations qui se sont déroulées étaient secrètes et impliquaient des
gouvernements et non des peuples. Les gouvernements ont convenu des termes de
l'accord en suivant les intérêts économiques des grandes puissances
économiques. Il n'y a pas eu de clause pour les droits humains, ni pour le
développement social, ni pour la protection des travailleurs et des
immigrants et, jusqu'à maintenant, la plupart des clauses qui ont été
incluses n'ont pas été respectées. On a fait une utilisation détournée de
clauses qui devaient prétendument
profiter à un pays comme le Mexique, dont l'économie ne peut se comparer
d'aucune façon à celle des États-Unis ou du Canada.
Le résultat est qu'effectivement quelques-uns font des "grosses"
affaires mais que le peuple ne voit cela se refléter ni dans ses conditions
de vie ni dans la construction de son avenir. Depuis déjà plusieurs années,
le Mexique se convertit en puissance "de machines" (potencia
maquinadora) et surtout pas en puissance industrielle. Il s'est converti en
source de ressources pour le développement d'autres pays et non pour celui du
Mexique. Il s'est converti en entrepôt d'où on peut extraire des ressources
pour le développement d'autres nations et d'autres régions -et non des
nations ou des régions indigènes.
Nous pouvons constater que le Chiapas possède une quantité de ressources
naturelles de beaucoup supérieure à celle d'autres pays. L'État a des
ressources hydrauliques, des bois précieux, la biodiversité dans la jungle,
du pétrole, du gaz, etc. Il a des richesses très variées, mais pourtant c'est
un des États les plus pauvres du pays. À la suite du soulèvement zapatiste,
le gouvernement a multiplié les dépenses qu'il faisait au Chiapas. L'État a
reçu plus de ressources fédérales que n'importe quel autre État; toutefois,
en sept ans, les gens n'ont pas vu où est restée toute cette quantité de
ressources. Ce que nous voyons est que c'est l'important contingent militaire
qui consomme ces ressources; il est vrai que des chemins ont été construits, mais
pour faciliter les manoeuvres militaires. La construction de ces chemins
n'est pas suivie de l'électrification, ni de l'accès à l'eau potable ou aux
services de santé de base pour la population.
L'armée amène des dentistes et des médecins militaires, fait quelques
campagnes sociales, mais ce n'est pas au profit de la population. Celle-ci
vit en situation de guerre: une guerre de basse intensité, de
contre-insurrection. Il est important de souligner que la paix ne peut se
construire ainsi. Elle doit se construire à partir de la confiance qu'ont
toutes les parties dans la construction d'une nouvelle relation plus juste,
plus libre, plus démocratique entre les peuples indigènes et l'État mexicain
(le Congrès de l'union, le président de la république et aussi les
tribunaux). Pour que cette diversité et cette pluralité qui existent dans
notre pays soient reconnues. Et c'est à partir de là que le développement des
peuples pourra vraiment se construire.
Par exemple, dans le cas de la Zone de libre-échange des Amériques, aucun de
ces thèmes n'est considéré: ni la santé, ni l'éducation, ni le développement.
Quand il était candidat, la proposition de Vicente Fox pour sortir les
indigènes de leur "retard" était de les doter d'un
"bocho", -c'est-à-dire d'une auto compacte, une Volkswagen-, d'une
télévision et d'un "changarro". C'était son idée, et ce qui nous
préoccupe le plus. Il pense à faire des bonnes affaires, et croit que de
cette façon nous allons tous sortir de la misère. Alors que les peuples indigènes
-et la proposition que défend l'EZLN- parlent de droits: d'exercer des droits
et d'être reconnus comme tels, de baser la confiance sur le respect.
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