A boulets rouges contre l'AEL: le gouvernement vise le mouvement radical contre la guerre ainsi que les droits civils "Inacceptable! Choquant! Inquiétant!", bêle comme un seul mouton toute la classe politique belge - du Vlaams Blok à Ecolo en passant par le CD&V/CDH. Hier, le conseil des ministres se penchait sur l'affaire pour conclure que, effectivement, la mise sur pied de patrouilles d'observation par l'AEL (Arab European League) à Anvers constitue une "activité" inacceptable, à laquelle il convient de mettre le holà. On a mis un juge d'instruction sur l'affaire. Commentaire. 21-11-2002 Que vise l'AEL, avec ses patrouilles d'observation ? L'unanimité résolue du monde politique va à l'encontre de la décision de l'AEL de vouloir observer les interventions de la police dans les quartiers populaires d'Anvers (et, plus tard, dans d'autres villes) et effectuer des contrôles sur ses éventuelles attitudes racistes. Ce que veut l'AEL, c'est que pas plus les immigrés que les autres ne soient encore les cibles de prédilection des opérations policières et que, lors des contrôles policiers, on traite ces mêmes immigrés de la même façon que tout un chacun. L'AEL désire que la police respecte la loi et se comporte avec correction. Elle entend faire connaître leurs droits légaux aux immigrés des quartiers et leur donner la possibilité de dénoncer les abus dont ils font l'objet. L'AEL fait savoir clairement qu'elle " n'a nullement l'ambition de se substituer à la police ni d'empêcher la police de faire son travail correctement ". L'AEL estime donc qu'il n'est que normal qu'un "Marocain qui enfreint la loi soit puni au même titre qu'un autre citoyen ". (Interview d'Ahmed Azzuz par Lieveke Noriega, le 6 nov. dernier, voir www.solidaire.org). Il y a dix ou quinze ans, une telle initiative antiraciste n'aurait absolument pas déclenché l'onde de choc à laquelle nous assistons aujourd'hui. Les images télévisées qui ont largement fait état de l'initiative ne nous montrent pas une milice armée ni une bande de skinheads en vestes kaki, comme cela était le cas pour le Vlaams Blok, mais bien des jeunes qui distribuent poliment un papier sur lequel on peut lire : "Bad Cops : AEL is watching you" (Mauvais policiers : l'AEL vous tient à l'oeil), et ces personnes, de toutes origines, font état de leurs droits en cas d'abus policier. Une unanimité honteuse et suspecte entre toutes les tendances politiques de part et d'autre de la frontière linguistique On ne sait que trop bien que le Vlaams Blok écorcherait volontiers vifs l'AEL et ses responsables. Il n'est plus du tout question, dans la lutte contre l'AEL, du fameux "cordon sanitaire des partis démocratiques contre les fascistes du Blok ". Des contradictions entre Flamands et Wallons? Pas à ce propos, en tout cas. Du côté néerlandophone, on connaît la campagne diffamatoire des médias contre l'AEL mais, aujourd'hui, du côté francophone, on ne peut plus se retenir non plus. Généralement, les médias francophones s'intéressent très peu à ce qui se passe en Flandre (et inversément) mais, depuis la semaine dernière, il ne se passe plus de jour sans que l'"AEL" ne fasse les gros titres francophones. A propos des "grosses bavures" actuelles, comme la décision de livrer des armes à "la jeune démocratie népalaise", ou la décision d'envoyer des troupes belges en Afghanistan, on ne perçoit pour ainsi dire aucun cri d'indignation de la part du monde politique belge, et encore moins au niveau collectif. Pas un seul travailleur de la Sabena ou de toute la liste des dossiers de fermeture n'a jamais eu droit, de la part de la caste politique belge, aux déclarations tranchées qu'il nous est donné d'entendre aujourd'hui à propos de l'affaire AEL. Il doit donc y avoir plus qu'anguille sous roche. Le problème, ce n'est pas l'AEL, mais la droitisation de tous les partis politiques "Contrôler la police" : c'est ce que prônait déjà le PTB au début des années 90, avec la Ligne d'Alarme contre le Racisme. Ce point de contact pour " les victimes ou les témoins d'agressions racistes et fascistes et d'abus policiers " a fonctionné avec succès à Anvers et à Bruxelles. Bien sûr, on a considéré cette Ligne d'Alarme avec une extrême méfiance. Mais la droitisation aveugle des partis politiques était encore loin, à l'époque, d'avoir atteint ses dimensions actuelles. Le Vlaams Blok en était encore à se frayer un chemin et se trouvait en pleine lutte concurrentielle avec les autres partis politiques. Depuis, il est devenu le premier parti anversois. Agalev et Ecolo étaient encore dans l'opposition. Aujourd'hui, ils siègent au gouvernement avec, à leur passif, dix ans de complicité dans plusieurs guerres, dans un embargo contre l'Irak et dans des livraisons d'armes au Népal. L'intervention contre l'AEL, prélude à une attaque contre le mouvement pacifiste radical Mais, avant toute chose, il n'y avait pas, à l'époque, cette menace latente de guerre que nous vivons depuis les guerres contre l'Irak, la Yougoslavie et l'Afghanistan, depuis les déclarations fascistes de Bush au début de cette année à propos d'une " guerre totale ", depuis l'annonce d'une guerre mondiale contre " le terrorisme ". Le lien entre ce qui se passe aujourd'hui avec l'AEL et toute cette psychose de guerre est manifeste. Dès le début, la presse a fait état de "patrouilles islamistes " ou "musulmanes ", bien que, lors de leur création par l'AEL, il n'ait jamais été une seule fois question d'"islam" ou de "musulmans". Assez remarquable, aussi, le fait qu'à l'issue du conseil des ministres, le Premier Verhofstadt ait annoncé non seulement qu'il allait désigner un juge d'instruction à propos de l'accusation de constitution de milice privée, mais qu'il allait "radiographier de fond en comble l'ensemble des activités ainsi que toute l'organisation, y compris l'homme qui se trouve à sa tête". En d'autres termes, une enquête sur la possibilité d'ôter sa nationalité belge au président de l'AEL. Mais encore, et surtout, une enquête sur les activités premières de l'AEL : l'organisation du mouvement de solidarité avec les peuples palestinien et irakien, y compris les manifestations que l'AEL organise elle-même ou dans le cadre du front Stop USA contre la guerre. Ici, le bilan des deux manifestations des 10 et 17 novembre est sans aucun doute revenu sur le tapis. La classe politique belge a compris qu'il fallait s'attendre dans nos métropoles à des réactions explosives de la part de la population d'origine immigrée, au cas où il y aurait une nouvelle guerre contre l'Irak. Dans notre pays, qui fait partie de l'Otan, elle a plutôt l'intention, et même l'obligation, d'intervenir de façon préventive. On dirait vraiment qu'outre le fait d'avoir été invitée à fournir des troupes en Afghanistan, la Belgique a été également sommée d'y aller d'urgence de sa contribution dans la lutte contre le terrorisme. La menace d'accusation de constitution de milice privée qui pèse déjà sur l'AEL peut en outre s'appliquer parfaitement aux Legal Teams, les jeunes avocats qui " veillent sur les droits des manifestants et tiennent à l'oeil le comportement de la police " durant les manifs contre la globalisation et pour la paix. Depuis D14 (la manif contre le sommet européen de Laeken, en décembre 2001), un dossier est d'ailleurs en cours contre ces mêmes Legal Teams. Dans le collimateur se trouvent également des radios libres, comme Al Manar, qui lancent des appels pour les manifestations coorganisées par la "milice privée de l'AEL". Ou encore les composantes syndicales du front antiguerre avec, entre autres, Roberto D'Orazio, qui, avec les 12 autres accusés de Clabecq, a mené une bataille juridique de cinq ans contre des accusations évoquant fortement, elles aussi, la " constitution d'une milice privée ". Dans le collimateur également, et sans nul doute, les communistes du PTB, l'organisation révolutionnaire la plus solidement charpentée de Belgique, qui appuie la défense des organisations révolutionnaires figurant sur la fameuse liste des terroristes, comme le PC philippin, entre autres. Le fait que, le 21 novembre, Het Nieuwsblad qualifie cyniquement l'AEL de " sentier dangereusement lumineux " (allusion aux maoïstes du Sendero Luminoso, au Pérou, ndlr), est suffisamment éloquent. Il est de la plus haute importance que, sur ce plan, tous les militants radicaux pour la paix passent par-dessus les couleurs politiques et les barrières linguistiques pour faire entendre leurs protestations contre la criminalisation de l'AEL. Les patrouilles citoyennes : un débat de fond sur les droits des citoyens Quand il s'agit de contrôler la police, le PS agite la loi sur les milices privées. D'après le PS, les patrouilles de surveillance de l'AEL "se substituent aux autorités". "Elles s'érigent en pouvoir parallèle. Accepter cela peut conduire à une escalade", a déclaré Onkelinx à l'issue du Conseil des ministres. Dans la déclaration des verts d'Ecolo (le 19 novembre 2002), les intellos ont sorti leurs beaux stylos : "Il s'agit [en parlant de l'initiative de l'AEL] d'un affaiblissement de l'Etat de droit et d'une érosion du contrat social par lequel les citoyens confèrent à l'Etat l'autorité requise pour `garantir leur vie en société'". Et qu'en est-il, de cet Etat de droit, auquel, par le biais d'un contrat social (!), nous "avons conféré toute autorité" pour veiller sur notre "société"? Pour commencer, cet Etat de droit a permis que le Vlaams Blok, via des campagnes racistes et ses tristement célèbres équipes de choc et milices du VMO et de Were Di, devienne le plus gros parti anversois. Lors de chaque élection, le Blok se pavane, se vantant de disposer de très nombreux partisans dans le corps de police, tant parmi les gradés que parmi les rangs (jusqu'à 30% des effectifs !). Secundo, cet Etat de droit soumet sa population à un contrôle des plus rigoureux alors que le peuple n'a ni droit de regard ni voix au chapitre. Dans les entreprises, les travailleurs sont contrôlés au moyen de badges et de caméras dès l'instant où ils ont franchi l'entrée et jusqu'au moment où ils rentrent chez eux, pauses pipi y compris. Votre compte en banque est contrôlé et connu jusqu'au dernier centime. Mais malheur à vous si, au nom de l'égalité de tous les citoyens telle que la garantit la constitution, vous osez demander la même chose à propos du comportement, des magouilles, des nominations et des revenus de la classe possédante de ce pays ! La population belge n'a droit à aucune information en ce qui concerne la présence d'armes nucléaires sur ton territoire. Même les riverains directs de la base militaire de Kleine Brogel n'en savent rien. Le mois dernier, un millier de militants pacifistes ont été bouclés sans pardon quand ils ont voulu vérifier s'il y avait des armes nucléaires à Kleine Brogel. A propos de la présence d'équipements militaires et de soldats américains au port d'Anvers, on ne peut rien savoir, rien ne doit filtrer. Par contre, en Irak, on peut sans limite se livrer à des inspections et contrôles, et même jusque dans la chambre à coucher de Saddam Hussein ! Et, pour finir : alors que l'appareil policier se perfectionne et se développe de plus en plus, les citoyens ordinaires des quartiers populaires continuent à vivre sans protection tout en étant censés ne pas poser de questions. On ne compte plus le nombre de services de police, de firmes de gardiennage privées, de caméras et d'engins flashants en tous genres. Mais qui contrôle encore qui? Dans le temps, la police contrôlait encore _ dans une certaine mesure _ le comportement de la gendarmerie, mais ça aussi, c'est de l'histoire ancienne. Qui a révélé au grand jour l'affaire des enfants disparus et assassinés? La population même. Car la gendarmerie a laissé mourir les enfants et, à ce jour, les réseaux de pédophiles et de trafic d'enfants jouissent toujours de protections. La seule issue? L'auto-organisation de la population Y a-t-il du racisme dans la façon de traiter les immigrés des quartiers populaires ? C'est indiscutable. Un petit exemple parmi tant d'autres. Il y a quatre ans, et sans raison, la police de Hasselt truffait de balles une voiture occupée par de jeunes immigrés. Morad, 15 ans, est resté paralysé. Durant quatre longues années, la famille et les amis de Morad ont lutté jusqu'à ce que, le mois dernier, un tribunal leur donne enfin raison. Le peuple est-il efficacement protégé, tant contre la grande criminalité que contre l'insécurité dans les quartiers populaires (où n'habite aucun de ces beaux ténors verts de la politique)? En aucune façon. Ainsi, la police bruxelloise s'avère incapable de mettre hors d'état de nuire ceux qu'elle-même appelle les "tout au plus 200 jeunes délinquants bruxellois" qui empoisonnent la vie dans les quartiers populaires. Il n'y a pas si longtemps, des mères marocaines de Schaerbeek ont remis à nos militants des caméras et du matériel vidéo. Pour qu'ils fassent des photos et des reportages afin de protéger leurs enfants. Pour qu'ils filment aussi bien la violence policière raciste contre leurs gosses que les numéros de plaques des grands dealers qui traficotent impunément dans les quartiers. L'auto-organisation de la population, voilà bien la seule issue.