Les Conclusions de l’Assemblée Générale du 30 novembre 2002 font désormais d’ATTAC une officine de défense des intérêts de l’ONU, puisque, dénonçant la guerre contre l’Irak, au prétexte que ses motifs seraient inconsistants, et appelant à une « lutte sans complaisance contre le terrorisme », cette organisation veut « une application généralisée de toutes les résolutions de l’ONU, partout dans le monde, quels que soient les pays, qu’ils aient ou non du pétrole ». Mais, il y a plus. Cet appel est en effet suivi d’une précision : « Ceci est particulièrement urgent dans le cas de la Palestine : Israël doit respecter les résolutions de l’ONU ». Et cette profession de foi de s’appuyer sur une analyse intitulée Attac, les mouvements de lutte contre la mondialisation libérale et la Palestine que l’organisation que préside désormais Jacques Nikonoff a présentée aux membres présents à l’assemblée. Le document se présente comme une explication des fondements de la solidarité d’ATTAC avec le peuple palestinien et sa résistance ainsi que des principes d’une solution juste et durable. Or, pour commencer, Nikonoff part en guerre contre la sacralisation religieuse et subjective du droit national et international, en critiquant le discours d’un obscur conseiller d’Ariel Sharon qui revendique la Judée et la Samarie au nom de la Bible. En sens inverse, au lieu de citer Arafat qui revendique Jérusalem au nom du Coran (citation qui serait contre-productive, puisque chacun sait que le livre sacré des Musulmans ne contient aucune mention du nom de cette ville), il préfère critiquer la position des Palestiniens qui se revendiquent comme « descendants des Philistins ». Nikonoff n’indique pas seulement qu’il n’accepte pas le lien existant entre la réalité du droit national et international et les représentations subjectives des peuples au nom desquels ceux-ci font l’histoire, et l’histoire même ; il veut lui substituer une conception idéologique. Comme tous les marxistes, il veut que ce soit l’Idée (au sens hégélien du terme) – ici le droit international comme Idée - qui fasse l’histoire, et non les peuples. Pour autant, comme tous les marxistes également, il se doit de rendre compatible cette profession de foi avec le constat que l’histoire « résulte des rapports de force, notamment entre grandes puissances ». En outre, au lieu d’expliquer la genèse de l’ONU comme résultant d’un jeu de forces historiques entre peuples armés qui ont tous leurs propres représentations subjectives (religieuses ou athées), en particulier ceux qui figurent au Conseil de Sécurité et notamment : la France, « fille aînée de l’Eglise », les Etats-Unis dont le Président jure solennellement fidélité à la Bible… pour ne pas parler de la Chine communiste, de la Russie dont le vernis athée a sauté en éclats, ni de la Grande-Bretagne protestante, et la soumettre à une critique en bonne et due du forme, puisqu’il fait sien le point de vue de Manès Sperber qui affirme qu’il y a « dans le droit l’origine malpropre de la puissance qui l’a institué », ATTAC érige l’ONU en source absolue, et s’efforce de démontrer qu’Israël ne respecte aucune de ses résolutions. Le moins que l’on puisse dire est que sa démonstration n’est pas des plus rigoureuses. 1. Partant de la résolution du partage de la Palestine (1947), il commence par omettre que ce sont les Arabes qui, au lendemain de son vote, ont refusé de la respecter. Ce maquillage de l’histoire se poursuit, lorsque Nikonoff prétend que l’OLP s’y est ralliée en 1988, alors qu’en 2002, la Charte qui prévoit la destruction de l’Etat d’Israël comme Etat juif n’a toujours pas été officiellement abolie. A moins que Nikonoff ait une conception du droit qui le conduise à accepter que le mot d’Arafat (1985) selon laquelle elle est « caduque », ou la parodie de vote (1998), lors d’une réunion publique en présence de Clinton, de la majorité des députés palestiniens qui ne correspond en rien à une réunion officielle du Conseil National Législatif palestinien, soient les équivalents d’une application du droit démocratique ! Ce point est d’ailleurs capital. Car les partisans des luttes de libération nationale sont toujours indulgents, lorsqu’ils ne les trouvent pas normales et même souhaitables, envers les ruptures du droit démocratique dans lesquelles s’engagent les combattants qu’ils soutiennent. Ainsi, c’est au nom même du droit international démocratique que Nikonoff et ATTAC devraient condamner la fusion entre l’OLP et l’Autorité Palestinienne, qui, comme chacun sait, forment une seule et même entité dans le plus pur esprit de sociétés despotiques et totalitaires… 2. L’initiative de cette rupture originelle de symétrie (le fait qu’en 1947 les Juifs d’Israël aient accepté le droit international alors que les Arabes de Palestine (et des alentours) l’ont refusé) fait l’objet d’un non-dit et se trouve inversée puis attribuée par Nikonoff à l’Etat d’Israël, qualifié de « puissance occupante » depuis plus de 35 ans. Or, si aucune occupation n’est légitime, si aucune occupation ne peut être fondée sur le droit des gens, une occupation peut être légale, soit que sa légalité s’établisse sur le droit international qui consiste à soumettre un pays qui refuse d’appliquer ce droit (les Traités de paix fourmillent d’exemples de ce type), soit qu’elle résulte d’un rapport de forces ponctuel opposant deux violences qui, pour disposer de moyens de destruction différents, n’en sont pas moins l’une et l’autre des puissances. C’est d’ailleurs pourquoi, la puissance occupante a des responsabilités particulières vis-à-vis de la puissance occupée. A cet égard, Israël se doit d’avoir un comportement responsable et tout ce qui peut relever d’exactions de la part de soldats doit être sévèrement sanctionné. 3. Mais, au nom de l’idéologie, cette dimension permanente des conflits n’est pas intégrée par Nokonoff ni par ATTAC. D’abord, l’occupation israélienne ne se prolonge pas « depuis 35 ans ». La preuve en est qu’il a existé, depuis Oslo, et qu’il existe toujours une Autorité palestinienne souveraine politiquement sur les territoires qu’elle administre. Entre Oslo et la seconde Intifada, les Israéliens n’étaient pas une « puissance d’occupation ». Pour le dire autrement, l’occupation a cessé, à partir du moment où les Palestiniens ont admis qu’ils devaient accepter la base de la résolution de l’ONU sur la division de la Palestine et négocier. Toutes les négociations qui ont suivi (d’Oslo jusqu’à Taba) n’ont jamais été que des tentatives de réactualiser cette résolution initiale. Les attentats de certains groupes palestiniens çà et là pendant les négociations, puis la décision de Marwan Barghouti de lancer l’insurrection armée, fin septembre 2000, et enfin la stratégie d’Arafat (voir les dépêches de la Ména et les récentes déclarations de Clinton sur ce sujet) ont finalement marqué le refus des Palestiniens de reconnaître quelque division que ce soit de cette nature. 4. Vue sous cet angle, la demande qu’ATTAC adresse au Premier ministre israélien d’élargir ce député palestinien qui dirige les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa, organisation réputée pour ses attentats terroristes, apparaît alors dans toute sa signification. ATTAC dissimule le refus principiel du partage de la Palestine mandataire, cinquante-trois ans plus tard, au moment crucial par Arafat et l’appel insurrectionnel de Barghouti derrière l’injustice dont il paraît être frappé, sur le plan de l’exercice de ses droits. Pour rétablir la vérité de l’histoire et du droit et pour déboucher sur une solution politique dans laquelle les Palestiniens disposeront de tous leurs droits, ce qui suppose, effectivement, de dénoncer et d’agir pour que cessent toutes les atteintes qui peuvent leur être faites çà et là par les Israéliens, du fait de la politique de prévention et de riposte des attentats terroristes palestiniens, il faut certes reconnaître l’état momentané de l’opposition entre occupant (Israël) et occupé (Autorité palestinienne), mais il ne faut surtout pas l’instrumentaliser ; il ne faut pas non plus dissimuler l’autre différence fondamentale entre ceux qui agissent sur la base de la reconnaissance de la résolution de l’ONU qui partage la Palestine mandataire et ceux qui, ne l’ayant jamais acceptée, veulent la création d’un Etat binational. Il faut peser sur l’Autorité Palestinienne pour qu’elle abroge la Charte de l’OLP et pour qu’elle arrête l’Intifada armée, comme les numéros 2 et 3 de l’AP le demandent d’ailleurs officiellement. L’aveuglement d’ATTAC sur ce point est tel, qu’au moment de résumer les principes qui guident son action sur la question palestinienne, l’organisation omet tout simplement la condamnation des attentats contre les civils (qu’elle a pourtant formulée plus haut). ATTAC révèle ainsi sa conscience malheureuse qui veut que ces attentats lui posent un problème moral et politique, mais que la guerre que mène les Palestiniens étant une « guerre juste », elle n’a pas à se substituer à eux pour qu’ils y mettent un terme. ATTAC qui se veut l’ardent défenseur du droit international en arrive finalement à justifier la guerre de ceux qui ne le respectent pas. D’autres dépêches feront bientôt l’analyse d’autres aspects de sa récente déclaration.