La situation de la minorité des Ouïghours du Kazakhstan
Laurent Dejardin ; Véronique Goffe - novembre 2000
Depuis environ une année, le nombre de ressortissants Kazakhs ayant demandé l’asile politique a explosé : il y a près de 2.500 demandeurs d’asile Kazakhs en Belgique - +/- 500 nouvelles demandes par mois.
Parmi ceux-ci figurent une cinquantaine de familles ouïghoures. Les Ouïghours sont des turcophones dont le pays d’origine est la province chinoise du Xinjiang, voisine du Kazakhstan, du Kirghizstan et du Tadjikistan. Si la majorité des Ouïghours vivent au Xinjiang, de 500.000 à 1 million d’entre eux habitent les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale.
Suite à une mission au Kazakhstan en septembre-octobre 2000, le ministère de l’intérieur a réalisé un rapport, principalement basé sur des témoignages. Ce rapport a été transmis à la presse fin octobre. Il s’en dégage deux lignes majeures :
Le rapport conclut que seuls des motifs économiques motivent cet afflux de demandeurs d’asile.
Or, s’il est indéniable que des filières existent, il faut rappeler que ces filières peuvent constituer aussi, pour les personnes qui fuient des persécutions, une voie par laquelle y échapper (ce sont aussi des filières qu’empruntaient les Juifs allemands menacés après 1933, dans l’Allemagne nazie). C’est pourquoi une appréciation correcte suppose une compréhension nuancée de la situation intérieure du Kazakhstan. C’est l’objet de ce document, qui se focalise sur la minorité ouïghoure du Kazakhstan, officiellement 185.000 personnes (1989), vraisemblablement plus de 220.000, sur une population de 16,5 millions d’habitants.
Le climat politique au Kazakhstan
Au Kazakhstan, le pouvoir politique, l’administration et le monde des affaires sont intimement liés. Ils y sont caractérisés par une corruption généralisée. Le président Nazerbaïev et son clan règnent en maître absolus.
La famille du Président contrôle de larges part de l’industrie, du commerce et des médias. L’affaire Tractebel, bien connue en Belgique, n’est pas un cas isolé : la compagnie pétrolière Chevron par exemple a également été soupçonnée de corruption par les justices américaine et suisse (,).
La corruption ne se limite pas aux hautes sphères des rouages de l’état, mais est répandue à tous les niveaux, particulièrement au sein de la police.
Les médias sont sous surveillance étroite du pouvoir. La situation s’est sensiblement dégradée au cours des trois dernières années. La fille de M. Nazerbaïev est à la tête d’un important groupe de presse, qui a racheté nombre de périodiques et journaux. D’une manière générale, l’ensemble des médias est soumis à des pressions continuelles, par voies d’amendes ou de tracasseries administratives, voire en empêchant l’impression et la diffusion de tout matériel suspect aux yeux du pouvoir. Au cours de cette année, la situation s’est encore détériorée : les journaux d’opposition ou simplement ceux révélant les faits de corruption du président ou de son gouvernement subissent une offensive généralisée allant jusqu’à l’incendie des locaux ou les agressions de journalistes assorties de menaces (,,,).
La vie associative est aussi entravée par le biais de procédures d’enregistrement tatillonnes éliminant de fait des groupes soupçonnés de nuire au pouvoir, ainsi le bureau local d’une association Kazakhe de défense des droits de l’homme, de l’association russe Russkaia Obchtchina, du Movment for Honest Elections (), ou de l’ « Union de la Jeunesse Ouïghoure du Kazakhstan » et du « Centre National des Ouïghours du Kazakhstan », associations à objet pourtant clairement culturel (). En juillet 2000, la cour suprême confirma un règlement administratif autorisant les forces de polices à assister à toute réunion d’organisation non-gouvernementale sans avoir à fournir aucune justification, judiciaire ou autre ().
La vie politique est à l’image de ce contrôle exercé par le clan du président. L’élection présidentielle de janvier 1999 a été entachée de nombreuses irrégularités, telles que l’interdiction de candidatures d’opposants pour des raisons administratives, de partialité dans la couverture de la campagne par les médias, ainsi que d’irrégularités dans les procédures de vote (). La situation économique se dégrade, mais les dépenses publiques de prestige vont bon train : la construction d’une nouvelle capitale, Astana, à 1.000 km de Almaty a coûté plusieurs milliards de dollar ()...
Le népotisme, le clientélisme et le despotisme sont malheureusement répandus dans d’autres pays de l’Asie centrale ex-soviétique (). Ainsi les irrégularités de l’élection présidentielle au Kirghystan de cette année rappellent celles de l’élection kazakhe de 1999 (). Faut-il préciser que les liens entre les oligarchies au pouvoir dans les différents pays d’Asie Centrale sont parfois très étroits : la fille du Président Kazakh Nazerbaïev a épousé le fils du Président Kirghize Akaïev…
Un tel contexte politique et économique permet à tout le moins de douter du respect de l’Etat de droit au Kazahstan.
La « Kazakhisation » ou la politique de préférence ethnique
Depuis la fondation de la République du Kazakhstan en 1991, le gouvernement pratique une politique de traitement préférentiel des Kazakhs de souche.
Or, au Kazakhstan, seuls 50% de la population est de souche kazakhe. Les slaves (Russes, Ukrainiens, …) représentent 33% de la population. Environ la moitié des Kazakhs de souche parlent couramment la langue kazakhe. Néanmoins, dans la constitution, seule la langue kazakh est reconnue comme langue officielle. La loi linguistique de 1997 renforce encore le traitement préférentiel des Kazakhs de souche(). A partir de 2001, le kazakh sera la langue obligatoire dans toutes les institutions publiques.
Le pouvoir a pris des dispositions pour favoriser l’immigration de Kazakh de souche vivant en dehors du territoire de la république du Kazakhstan. Il s‘agit de 180.000 personnes venant de Turquie, de Chine, de Mongolie, d’Iran, d’Afghanistan qui, pour 90% d’entre eux, n’ont pas encore reçu la nationalité kazakhe, ce qui les empêche par exemple d’acheter des biens immobilier au Kazakhstan ou d’y ouvrir un commerce (). De plus, ces personnes ne parlent pas le russe, qui reste encore la langue vernaculaire comprise par tous, ce qui rend leur intégration difficile. Tout cela a coûté beaucoup d’argent à l’état. Ce type de mesure se place dans une philosophie de « rapatriement » des minorités dans « leur » pays. Malheur donc aux peuples qui ne disposent pas d’un état national pour les accueillir. Les Ouïghours, comme les Tchétchènes ou les Tatars font partie de ceux-ci. Lors de leurs contacts avec les autorités, les Ouïghours du Kazakhstan se voient souvent menacé d’être expulsés vers le Xinjiang sous administration chinoise, alors qu’aucune politique de ce type n’a été réellement mise en œuvre par le pouvoir. Ceci peut expliquer la crainte répandue dans la communauté ouïghoure d’être expulsés vers la Chine.
En raison des critiques que ces mesures ont déclenché à l’étranger, le président Nazerbaïev a déclaré que toutes les nationalités étaient bienvenues dans son pays. Néanmoins, dans l’attribution des emplois dans les services publics ou dans l’administration, dans l’allocation de crédits dans les secteurs de l’éducation et même dans l’attribution de logements, les Kazakhs bénéficient d’un traitement préférentiel et les autres nationalités sont discriminées. Les secteurs publics et privés sont aux mains des mêmes groupes d’intérêt. Il s’ensuit que même dans le secteur privé, les non-Kazakhs ont des difficultés à trouver un emploi. Or, dès 1994, l’OSCE avait émis des réserves sur cette politique pratiquée par les autorités kazakhes ().
Dans de nombreux cas, les organes de l’état refusent la protection et l’assistance aux citoyens kazakhs de souche ouïghoure victimes d’agissement de Kazakhs de souche. Il s’ensuit un sentiment toujours renforcé chez les Ouïghours de persécution indirecte de la part de l’état pour des raisons ethniques : les plaintes contre des Kazakhs de souche n’ont aucune suite et ne sont pas traitées ().
Cette situation induit un sentiment de détérioration des relations interethniques, ainsi que le montre une enquête publiée dans l’édition d’août 2000 du périodique « Kontinent » (Almaty) : seuls 4,2 % des personnes sondées estimaient que l’harmonie interethnique existe au Kazakhstan, alors que 30,7 % en doutaient et que 23,1 % affirmaient qu’elle n’existe pas. L’enquête montre également qu’il y a une perception différente de la situation entre les Kazakhs de souche et les autres groupes nationaux : 66 % des Kazakhs estiment que le kazakh devrait devenir la seule langue officielle du pays, alors que 73,9 % des non-Kazakhs pensent qu’il devrait y avoir au moins deux langues (). Cette politique menée sciemment par les autorités ne semblant pas devoir être revue, on peut s’attendre à ce que les relations interethniques au Kazakhstan se dégradent progressivement.
Les pressions exercées par la République populaire de Chine
Les Ouïghours en République Populaire de Chine
La gravité des violations systématiques des droits fondamentaux pratiquées par les autorités de la République Populaire de Chine à l’encontre des Ouïghours au Xinjiang est clairement établie : arrestations arbitraires, torture, exécutions extrajudiciaires, dans un contexte de dénis des droits sociaux, économique et culturels. Un rapport d’Amnesty International publié en avril 1999 traite de la situation intenable qui prévaut au Xijiang (). La politique menée par les autorités de la République Populaire de Chine est très semblable à celle menée au Tibet voisin : assimilation forcée, vagues d’immigration de colons chinois de souche Han, répression de toute tentative d’expression de particularisme ethnique sous le couvert de la « lutte contre le séparatisme, le terrorisme et l’extrémisme religieux ». La politique des autorités chinoises est clairement motivée par un souci d’éviter toute velléité autonomiste de ses « marches » occidentales, principalement en raison des richesses naturelles et/ou de l’intérêt stratégique de ces provinces.
La « menace » de la solidarité turque en Asie centrale
Les Ouïghours sont turcophones comme les Kazakhs, les Kirghizes, les Ouzbeks ou les Turkmènes. L’indépendance des cinq pays d’Asie centrale de l’ex-URSS a fait craindre aux autorités de la république Populaire de Chine que les tendances centrifuges des Ouïghours du Xinjiang puissent y trouver un écho favorable. En octobre 1995, le président kazakh Nazerbaïev et son homologue chinois Jiang Zemin avaient déjà signé un accord comportant une clause sur la lutte contre « le séparatisme », visant explicitement les Ouïghours. A partir de 1996, les autorités de la République populaire de Chine ont lancé une offensive diplomatique sur les pays susceptibles de servir de relais aux revendications des Ouïghours, du fait de la présence de membres de la diaspora ouïghoure sur leur territoire. Un décret du Comité Central du Parti Communiste Chinois adopté le 19 mars 1996 mentionne explicitement trois pays-cibles : le Kazakhstan, le Kirghizstan et la Turquie, en recommandant de renforcer les relations diplomatiques et économiques avec ceux-ci ou d’exercer des pressions si nécessaire ().
Pressions économiques
Les pays d’Asie centrale, enclavés entre la Russie, la Chine, l’Iran et l’Afghanistan, ont un besoin impératif de trouver pour leurs exportations de pétrole des voies d’accès au marché mondial. A partir de 1996, la république populaire de Chine a intensifié les contacts avec le Kazakhstan pour proposer une collaboration dans le domaine énergétique. Un pipe-line reliant les champs pétrolifères de la mer Caspienne à la Chine est prévu. Cette situation place le Kazakhstan dans une situation de dépendance vis à vis de la Chine, car les deux autres voies d’exportation du pétrole, la Russie et l’Iran, sont peu sures. Pékin a réussi à négocier des contrats commercialement et stratégiquement intéressants tout en se donnant un levier d’action sur un pays diplomatiquement assez faible (,,,).
Pressions diplomatiques
Le 26 avril 1996, la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan jettent les bases du « Groupe de Shanghai ». Il s’agissait au départ d’un groupe de travail ayant pour objectif de détendre la situation aux frontières entre la Chine d’une part et les autres signataires d’autre part (). Mais bien vite d’autres préoccupations vont prendre une importance de premier rang dans les accords entre les membres du groupe de Shanghai : il s’agit de la « lutte contre le séparatisme, le terrorisme et l’intégrisme religieux » (). La Chine est le principal instigateur de ce type de campagne, qui vise en premier lieu les Ouïghours (Quoique plus récemment la Russie y trouve un intérêt certain en raison de ses problèmes en Tchétchènie). La République Populaire de Chine ne fait aucune différence entre les militants indépendantistes, armés ou non, les fondamentalistes religieux musulmans (visiblement très peu nombreux) et la grande majorité des Ouïghours qui s’engagent pacifiquement pour la préservation de leur culture et de leur langue. La rhétorique de la « lutte contre le séparatisme, le terrorisme et l’intégrisme religieux » est reprise mot à mot par les autorités kazakhes (). Or le risque de séparatisme au Kazakhstan est pour ainsi dire nul.
Les 19-20 octobre 2000, l’OSCE et l’UN Office for Drug Control and Crime Prevention (UN ODCCP) ont mis sur pied à Tachkent (Ouzbékistan), en collaboration avec les cinq républiques ex-soviétiques d’Asie centrale, une plate forme de coopération pour la lutte contre « le trafic de drogue, le crime organisé et le terrorisme en Asie centrale », dû en partie au conflit en Afghanistan (). Les tendances à l’amalgame des autorités de certains états d’Asie centrale, comme le Kazakhstan, risquent encore une fois de toucher les Ouïghours, combattus jusqu’à présent pour « séparatisme, terrorisme et intégrisme religieux ». Ainsi, lors d’un voyage en Turquie en septembre 2000, Hu Jintao, vice-président de la république populaire de Chine, membre du bureau politique permanent et ancien secrétaire du Parti Communiste au Tibet, a publiquement appelé la Turquie à soutenir son pays dans la répression du « séparatisme, du terrorisme, de l’extrémisme religieux et du crime organisé », en mentionnant explicitement les Ouïghours. Par ailleurs, il a été convenu lors de cette visite que les importations chinoises de produits turcs seraient multipliés par 10. Le gouvernement turc a assuré M. Hu de son soutien dans la répression des séparatistes ouïghours sur son territoire ().
Un des élément les plus marquant de la coopération issue du groupe de Shanghai est un accord d’extradition entre les signataires : chaque état peut réclamer aux autres le renvoi automatique de n’importe lequel de ses nationaux. Cet accord a été utilisé pour renvoyer en Chine des Ouïghours du Xinjiang qui se trouvaient au Kazakhstan et au Kirghizstan. En février 1999, le Kazakhstan a livré aux autorités chinoises trois Ouïghours originaires du Xinjiang sans leur permettre de demander l’asile politique. Le UNHCR, les associations de défense des droits de l’homme et les militants ouïghours pensent que ces trois personnes l’auraient fait si elles en avaient eu la possibilité. D’après Amnesty International, des avis de recherche d’au moins une de ces trois personnes étaient placardés en Chine et indiquaient qu’elle était recherchée pour ses « activités séparatistes ». Le UNHCR et les associations de défense des droits de l’homme ont cherché en vain à rencontrer ces trois personnes durant les 6 mois précédant leur renvoi en Chine alors qu’elles étaient détenues au Kazakhstan (). Le Kazakhstan ne peut dès lors pas être considéré comme un pays tiers de transfert pour les réfugiés, du fait de cette union sacrée, pour raison d’état avérée, contre le « séparatisme, le terrorisme et l’intégrisme religieux » ; les plus grandes réserves peuvent être établies en terme de possibilité de retour. Suite à l’écho de ces affaires à l’étranger, ce type de pratique ne s’est pas répété, publiquement du moins. D’après des sources ouïghoures au Kazakhstan (), ces déportation se feraient secrètement, les réfugiés n’étant jamais enregistrés. Le Kazakhstan n’a jamais accordé le statut de réfugiés aux Ouïghours du Xinjiang. En agissant de la sorte, le Kazakhstan, qui a ratifié en janvier 1999 la Convention de Genève relative au Statut des Réfugiés de 1951, ne respecte pas ses engagements internationaux : l’article 33 de cette convention stipule qu’aucun réfugié ne sera refoulé dans un territoire ou sa vie ou sa liberté seraient menacé en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques. La Chine a régulièrement condamné à mort des prisonniers politiques Ouïghours… ()
La dernière réunion du groupe de Shanghai s’est tenue le 5 juillet 2000. Il y a été convenu de la création d’un « centre anti-terroriste » dans la capitale kirghize Bichkek ainsi que d’une intensification de la coopération des forces de sécurité, des services secrets et des armées ().
Les conséquences pour les Ouïghours du Kazakhstan
Jusqu’aux années 1995-1996, la situation ne posait pas de problèmes aux Ouïghours. Le programme de télévision, les émissions radio et les journaux jouissaient d’une relative liberté. Il y a actuellement 15 écoles ouïghoures au Kazakhstan.
Néanmoins, dans le climat actuel du Kazakhstan, la restriction des budgets alloués par l’état kazakh au monde culturel et associatif ouïghour ne serait pas seulement le résultat du manque de moyens, mais également la conséquence des pressions chinoises : ainsi le programme de télévision en langue ouïghoure « Alatau » émettait quotidiennement pendant 2 heures. Peu après qu’il ait fait largement écho en février 1999 du rapatriement forcé de trois ouïghours du Xinjiang vers la Chine, ce programme a été ramené à 20 minutes, deux fois par semaine, officiellement pour des raisons budgétaires. De même l’Institut de la Civilisation Ouïghoure a été supprimé en 1996.
Régulièrement, les Ouïghours du Kazakhstan sont fustigés dans les médias. L’ensemble de la communauté est souvent assimilée aux « terroristes tchétchènes ». Au mois de septembre 2000, quatre personnes soupçonnés du meurtre de deux policiers, d’après les autorités des Ouïghours séparatistes venant du Xinjiang, ont été abattues à Almaty (). Suite à la couverture de l’événement par la télévision kazakhe, la communauté ouïghoure a critiqué vertement les médias, en déplorant que l’ensemble de la communauté avait été décrite comme un groupe de terroristes ().
Déjà au mois de juillet 2000, M. K. Kozhamberdi, responsable d’associations ouïghoures locales, avait adressé une lettre ouverte dans laquelle il déplorait la dégradation de la situation (). Les manifestations anti-chinoises sont interdites (). Aucune évocation dans la presse de la situation des Ouïghours en Chine n’est autorisée. Les nouvelles associations ne parviennent pas à se faire enregistrer auprès des autorités. Les autres associations font l’objet de contrôles pointilleux. L’organisation de rassemblements par des associations légalement enregistrées, sont régulièrement interdits par les forces de sécurité, même lorsque leurs objectifs sont purement culturels (,).
Les Ouïghours qui s ‘engagent dans la défense des droits de l’homme ou dans le soutien humanitaire des réfugiés en provenance du Xinjiang sont étroitement contrôlés par les forces de sécurité, notamment ceux qui ont des contacts avec l’étranger. Ils sont régulièrement interrogés et intimidés par la police. Ainsi l’avocate Gulinur Dzhanalova a été arrêtée à son retour d’Allemagne en octobre 1999 car elle avait informé des journalistes et des politiciens allemands de la situation des droits de l’homme au Kazakhstan. La diffusion de matériel d’information des organisations ouïghoures est interdite dans les faits par les forces de sécurité. Les défenseurs ouïghours des droits de l’homme sont régulièrement menacés de mort en raison de leur engagement. Des bandes mafieuses sont responsables d’assassinat de Ouïghours engagés – au Kazakhstan, les services d’un tueur à gage valent 200 US$. Les commanditaires sont jusqu’à présent restés inconnus. Les victimes de ces menaces de mort ne reçoivent jamais le moindre soutien des forces de l’ordre (). Ce type de pratiques n’est pas limitée au Kazakhstan. Pour preuve l’assassinat au Kirghizstan de M. Bazakov, responsable d’associations ouïghoures au Kirghizstan, abattu en plein jour sur un marché de Bichkek en mars 2000 ().
Conclusions
La convergence des trois phénomènes – corruption, « Kazakhization », pressions exercées par la République Populaire de Chine - fragilise la minorité ouïghoure face à des abus de toutes sortes.
Il ressort de tout ceci que la situation des Ouïghours du Kazakhstan, même si elle est moins dramatique que celle de ceux qui vivent au Xinjiang chinois, est précaire du point de vue de l’état de droit, du fait de leur appartenance ethnique et de leurs opinions politiques. Les discriminations au niveau du travail, les atteintes à la liberté d’expression et d’association, la réduction drastique de l’accès à l’enseignement dans leur langue et des activités à caractère culturel sont autant d’éléments de cette persécution.
Il paraît peu probable que les actions menées par les autorités belges conjointement avec l’O.I.M. puissent avoir un effet au niveau des mécanismes d’exclusion qui frappe cette minorité eu égard au poids de l’influence chinoise toujours croissante dans la région, que rien ne semble pouvoir contrebalancer.
La mise à jour de filières organisant le passage du Kazakhstan vers la Belgique ne saurait, en aucun cas, conduire à la conclusion que tout candidat à l’émigration vers la Belgique est poussé par des motifs purement économiques, indépendamment même de la légitimité qu’il faut parfois reconnaître à ces motifs expliquant la volonté d’émigrer (à partir de quand la privation des droits économiques et sociaux élémentaires est-elle à ce point grossière qu’elle constitue une forme de persécution envers celles et ceux qui la subissent ?). Parmi les bénéficiaires de ces filières, il y a des membres de minorités opprimées. Les modalités d’organisation de l’émigration ne permettent pas de présumer des raisons véritables de celle-ci.