Voici le compte-rendu de l'arrêt de la cour d'arbitrage sur l'annulation
des articles 151-152 de la loi "Belgacom". Pour rappel, la loi punissait d'une peine
de 1 à 4 ans de prison "quiconque donne ou tente de donner dans le
Royaume, via l'infrastructure de télécommunications, des communications
portant atteinte au respect des lois, à la sécurité de
l'Etat, à l'ordre public ou au bonnes moeurs ou constituant une offense
à l'égard d'un chef étranger". C'est donc une très bonne nouvelle
vu qu'outre les menaces sur la liberté d'expression, la loi permettait
de par son caractères extrêmement large et flou de justifier
facilement les écoutes pro-actives, les perquisitions, détention
préventive,... Affaire à suivre...
A R R E T
___________
En cause : le recours en annulation
des articles 151 et 152 de la loi-programme du
30 décembre 2001, introduit par l'a. s. b. l. Ligue des droits de
l'homme.
La Cour d'arbitrage, composée des
présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François,
P. Martens, M. Bossuyt, A. Alen et J.-P. Moerman, assistée du greffier
P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior,
après en avoir délibéré,
rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée
à la poste le 28 juin 2002 et parvenue au greffe le 1er juillet 2002,
l'a. s. b. l. Ligue des droits de l'homme, dont le siège social est
établi à 1000 Bruxelles, rue de l'Enseignement 91, a introduit
un recours en annulation des articles 151 et 152 de la loi-programme du 30
décembre 2001 (publiée au Moniteur belge du 31 décembre
2001).
Le Conseil des ministres a introduit un
mémoire et la partie requérante a introduit un mémoire
en réponse.
A l'audience publique du 19 février 2003 :
-ont comparu :
. Me S. Berbuto et Me M. Nève, avocats
au barreau de Liège, pour la partie requérante;
. Me C. Lepinois loco Me P. Coenraets, avocats au barreau de Bruxelles,
pour le Conseil des ministres;
-les juges-rapporteurs L. François
et M. Bossuyt ont fait rapport;
-les avocats précités ont été entendus;
-l'affaire a été mise en délibéré.
Les prescriptions de la loi spéciale
sur la Cour d'arbitrage relatives à la procédure et à
l'emploi des langues ont été respectées.
II. En droit
A -Quant
à la recevabilité
A. 1. La partie requérante déclare qu'elle justifie d'un
intérêt au recours en annulation en ce qu'elle a pour objet
de « combattre l'injustice et toute atteinte arbitraire aux droits
d'un individu ou d'une collectivité » et qu'elle « défend
les principes d'égalité, de liberté et d'humanisme sur
lesquels se fondent les sociétés démocratiques et qui
ont été proclamés » par des instruments nationaux
et internationaux. Les arrêts n os 5/ 95 et 56/ 2002 sont cités
à l'appui de cette thèse.
La partie requérante estime qu'un
lien suffisant existe entre son objet social et des dispositions législatives
visant, en l'espèce, à étendre le champ d'application
de la loi pénale à tout fait quelconque ayant été
commis à l'occasion d'une « communication » « via
l'infrastructure des télécommunications » au sens de la
loi attaquée.
Sur le fond
A. 2. 1. La requérante prend un moyen unique de la violation des
articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés
en ses différentes branches avec d'autres dispositions, en ce que
les dispositions attaquées créent une discrimination entre
deux justiciables faisant tous deux l'objet de poursuites identiques, l'un
ayant eu accès à l'infrastructure des télécommunications,
l'autre n'ayant eu aucun accès à pareille infrastructure.
Elle ne conteste pas l'objectif de faire
face à la délinquance mettant en oeuvre les moyens de télécommunication
mais estime que le fait de créer une nouvelle incrimination n'implique
pas l'absence de tout contrôle et qu'il appartient à la
Cour de vérifier si les mesures prises à cet effet ne sont pas
discriminatoires et, même s'il s'agit de l'application de règles
procédurales différentes, appliquées dans des circonstances
différentes, n'entraînent pas une limitation disproportionnée
des droits des personnes concernées.
A. 2.2. Le Conseil des ministres expose
que les dispositions attaquées visent à l'harmonisation du
régime juridique inscrit dans la loi du 30 juillet 1979 relative aux
radiocommunications. Cette harmonisation semblait nécessaire pour
éviter toute transgression de la loi du 21 mars 1991 portant réforme
de certaines entreprises publiques économiques. Au stade actuel de
la technique, une personne ou une entreprise qui émet, par exemple,
des communications dangereuses pour la sûreté de l'Etat d'un
point à un autre, peut le faire soit via des fréquences radio,
auquel cas il convient d'appliquer la loi du 30 juillet 1979, soit via des
câbles optiques qui relèvent de l'application de la loi du 21
mars 1991. Le dossier relatif à la MetTV (association assurant des
programmes de radiotélévision kurde) constitue un exemple de
ce type de transgression de la loi. Une action a pu être intentée
à l'encontre de MetTV tant que cette organisation émettait
via des fréquences mais plus depuis qu'elle utilisait des câbles.
A. 2.3. Le Conseil des ministres estime
qu'en dénonçant le fait que les dispositions attaquées
rendent punissables des actions qui, avant elles, échappaient au champ
de la loi pénale, la requérante formule une critique de pure
opportunité que la Cour n'a pas pour mission de contrôler. Qui
plus est, il paraît difficile de retenir ici l'existence de deux catégories
de justiciables susceptibles d'être comparées, puisque, dans
le temps, les deux catégories retenues par la requérante ne
coexistent pas mais se suivent (il s'agirait des justiciables ayant commis
un fait non punissable avant l'entrée en vigueur de la loi et ceux
l'ayant commis sous l'empire des dispositions attaquées).
A. 2.4. La requérante réplique
que les dispositions attaquées ne sont pas la simple harmonisation
de nature technique qu'évoque le Conseil des ministres. Le caractère
vague des termes qu'elles emploient permet en réalité
à l'autorité étatique de contrôler des mouvements
sociaux, nouveaux et contestataires, oeuvrant « pour une autre mondialisation
», dont l'émergence démocratique est nouvelle et qui ébranlent
le paysage politique traditionnel.
Cette « criminalisation des mouvements sociaux » suppose un
contrôle dans lequel l'usage des télécommunications est
crucial et qui est de nature à amener ces mouvements à leur
autocensure.
A. 3. 1. Dans une première branche,
où les articles 10 et 11 de la Constitution sont combinés avec
les articles 12 et 14 de la Constitution ainsi qu'avec l'article 7 de la Convention
européenne des droits de l'homme et l'article 15 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, la requérante soutient que
la mise en oeuvre des dispositions attaquées implique que n'importe
quelle « communication, portant atteinte au respect des lois, à
la sécurité de l'Etat, à l'ordre public ou aux bonnes
moeurs, ou constituant une offense à l'égard d'un Etat étranger
», en ce compris tout fait quelconque ne faisant l'objet d'aucune incrimination,
peut à présent être poursuivie et punie, dès lors
que le fait en cause aurait été commis à l'occasion
d'une « communication », « via l'infrastructure des télécommunications
».
Elle indique que les dispositions attaquées
vident de son sens, implicitement mais certainement, le principe de légalité
en ce que seule la loi peut ériger des faits en infraction et établir
des peines. Or, les atteintes visées par
la loi attaquée peuvent, si elles sont commises à l'occasion
d'une communication, tomber sous le coup de la loi pénale alors que
le fait en cause ne fait l'objet d'aucune incrimination légale ni,
a fortiori, d'aucune peine.
A. 3.2. Selon le Conseil des ministres, le postulat de la requérante
est erroné. Elle semble considérer que la loi devrait sanctionner
des faits qui, par ailleurs et indépendamment du recours à l'infrastructure
des télécommunications, seraient déjà pénalement
répréhensibles, et que, pour les autres faits, aucune sanction
pénale ne pourrait être édictée. Dans cette thèse,
la loi devrait se limiter à pénaliser ce qui deviendrait, en
quelque sorte, une circonstance aggravante; il y aurait une adéquation
parfaite entre les faits punissables et les faits déjà pénalement
répréhensibles et la loi n'ajouterait rien, sinon une sanction
plus lourde, à l'ordonnancement juridique.
Le Conseil des ministres estime que tel ne fut pas l'objectif de la loi
attaquée et que telle n'est pas la limite assignée par le Constituant
au législateur dans le cadre de la définition du champ matériel
de la répression pénale. Le législateur peut, bien évidemment,
ériger en infraction les faits qu'il détermine souverainement.
Il n'a pas, pour ce faire, à devoir s'inscrire dans les limites tracées
par le livre Ier du Code pénal en termes de faits punissables. Il peut
donc, librement, définir les faits qui, selon lui, méritent
d'être réprimés. C'est d'ailleurs ce qu'il avait déjà
fait en matière de radiocommunications, en adoptant l'article 4, a),
de la loi organique du 30 juillet 1979, sans susciter de difficultés
particulières. L'adoption d'une nouvelle disposition légale
sanctionnant pénalement un comportement rendra donc punissable un fait
qui ne l'était pas précédemment. Il s'agit là
d'une évolution normale de la société qui doit, au vu
des progrès de la technique, adapter son arsenal législatif
en l'étendant de la radiocommunication à l'ensemble des télécommunications.
Ceci n'est pas de nature à porter atteinte au principe d'égalité,
le législateur pouvant considérer que le recours aux télécommunications
peut constituer une circonstance de nature à justifier l'infliction
de sanctions pénales spéciales dans des cas particuliers. Ce
qui était vrai pour les radiocommunications en 1979 est devenu vrai
pour les télécommunications en 2002. L'approche pénale
spécifique se justifie objectivement par cela que le recours à
ces médias permet de toucher, quasi instantanément, un nombre
élevé de personnes. Ainsi par exemple, si la tenue, en privé,
de propos contraires aux bonnes moeurs n'est nullement répréhensible,
par contre, la répétition de ces propos par le biais d'une
ligne téléphonique payante pourra être réprimée.
A. 3. 3. Le Conseil des ministres estime
aussi qu'en invoquant les articles 12 et 14 de la Constitution, la requérante
reproche aux dispositions attaquées d'être trop floues et de
prêter à interprétation en permettant de réprimer
n'importe quel fait commis sur le réseau des télécommunications.
Il réfute cette critique en soutenant que le contenu de l'infraction
et la nature des faits pénalement répréhensibles sont
formellement définis par l'article 111 de la loi du 21 mars 1991 et
que le libellé employé est rigoureusement identique à
celui de la loi de 1979. Il estime que cette critique repose sur une utopie,
à savoir que les textes des lois pénales ne pourraient faire
l'objet d'interprétation. Or, le caractère univoque des normes
légales et réglementaires -s'il constitue peut-être un
idéal -n'est cependant nullement compatible avec la polysémie
intrinsèque du langage. Du recours en annulation, il semble apparaître
que la requérante combat le fait que l'article 111 érige en
infraction des faits qui ne sont pas encore pénalement répréhensibles,
donnant ainsi à penser qu'elle considère comme satisfaisantes
les dispositions du droit pénal général qui répriment
la calomnie, la diffamation et l'injure. Or, les dispositions du Code pénal
qui définissent ces infractions comportent, à leur tour, des
termes qui ont donné lieu à interprétation par la jurisprudence.
Ainsi en va-t-il notamment des termes « personne » ou «
faits précis » qui figurent à l'article 443 du Code pénal.
La possibilité, pour le juge, d'interpréter le texte de la loi
pénale ne rend bien évidemment pas celle-ci contraire aux articles
12 et 14 de la Constitution. Il est de l'essence même de la norme de
droit de pouvoir être interprétée. Il ne saurait être
question d'en déduire une violation du principe d'égalité
et de non-discrimination.
A. 3.4. La requérante réplique
en se référant à l'exemple d'un syndicaliste qui, «
via l'infrastructure des télécommunications », encouragerait
ses collègues à restreindre l'accès aux lieux de travail
dans le cadre d'un
mouvement de grève spontanée et pourrait être poursuivi
pour avoir incité à ne pas respecter les lois de quelque nature
que ce soit, notamment les dispositions en matière de droit du travail,
réglementant les grèves au sein des
entreprises. Par contre, le même syndicaliste, agissant par courrier
et donc sans avoir recours à « l'infrastructure des télécommunications
», ne serait pas susceptible d'être poursuivi.
Des mouvements sociaux peuvent ainsi être
criminalisés, d'une manière portant atteinte tant aux libertés
publiques qu'au principe de légalité.
L'objectif poursuivi, à peine évoqué
et tenant à la nécessité de combler une lacune, ne peut
justifier une incrimination ayant un si large spectre. La circonstance que
la loi de 1979 n'aurait posé aucune difficulté est
irrelevante puisqu'elle n'est pas prouvée, qu'il n'existait pas
de contrôle de constitutionnalité à l'époque où
elle fut adoptée et que l'on ne peut préjuger de l'avenir. L'objectif
de cette disposition liberticide est illégitime; l'on peut penser
que le législateur a entendu assurer une emprise pénale sur
un large éventail de comportements, en tentant de contrôler les
mouvements sociaux. Même si leur objectif était légitime,
les dispositions attaquées portent une atteinte excessive aux libertés
publiques, le simple usage de « l'infrastructure des télécommunications
» ne pouvant justifier l'incrimination d'autant de comportements que
ce même législateur n'avait pas souhaité pénaliser
lorsqu'il a adopté ces législations spécifiques.
A. 4.1. Dans une seconde branche, la requérante
soutient que la mise en oeuvre des dispositions attaquées permet d'envisager
qu'un justiciable faisant l'objet de poursuites pour un fait qui n'est pas
de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel principal
d'un an ou une peine plus grave, seuil minimum visé par l'article 16,
§ 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention
préventive, peut à présent faire l'objet d'une éventuelle
détention préventive dès lors que le fait en cause aurait
été commis à l'occasion d'une « communication »,
« via l'infrastructure des télécommunications ».
Elle indique que le seuil minimum de la
peine fixé par la loi de 1990 permet d'éviter une détention
préventive dans des cas où le législateur a prévu
une peine modérée, voire très modérée dès
lors qu'implicitement mais certainement la privation de liberté paraît
disproportionnée par rapport aux faits reprochés. Or, l'article
152 de la loi attaquée, en prévoyant, notamment, un emprisonnement
d'un à quatre ans pour la personne violant les dispositions qu'il
vise, fait disparaître ce seuil minimum lorsque les faits reprochés
ont été commis à l'occasion d'une communication via l'infrastructure
des télécommunications.
A. 4.2. Le Conseil des ministres répond
qu'ici aussi, l'argumentation procède d'une confusion : il ne s'agit
pas d'aggraver la répression de faits actuellement répréhensibles,
mais de combler un vide juridique en étendant la répression
organisée par la loi de 1979. Le principe de la loi sur la détention
préventive est sauf puisque la loi attaquée prévoit
que les infractions en cause sont sanctionnées d'une durée égale
ou supérieure à un an. Il s'agit d'une sanction spécifique
et nouvelle, assortie d'une peine dont la gravité a été
souverainement fixée par le législateur. Or, la Cour s'est
toujours refusée à prendre position par rapport au pouvoir
discrétionnaire d'appréciation du législateur.
Par ailleurs, à la supposer par impossible
fondée, la critique de la requérante échappe à
la compétence de la Cour dès lors qu'elle repose sur la prétendue
méconnaissance par le législateur d'une autre loi, à
savoir la loi du 20 juillet 1990. Or, seule une violation de certaines dispositions
constitutionnelles peut être censurée par la Cour.
A. 4.3. La requérante réplique
en se référant à l'exemple de la personne qui est poursuivie
sur la base de l'article 448 du Code pénal pour avoir injurié
un homme politique en raison de ses prises de position, en brandissant lors
d'une manifestation une pancarte contenant ladite injure ou en distribuant
des tracts et qui ne peut être mise sous mandat d'arrêt, la peine
encourue pour les faits reprochés étant inférieure à
un an. La même injure proférée dans un forum de discussion
sur internet (« via l'infrastructure des télécommunications
») pourra entraîner l'arrestation et la détention préventive
de son auteur, la peine encourue pouvant aller de un à quatre ans d'emprisonnement
(selon l'article 114 de la loi du 21 mars 1991 modifié par l'article
152 attaqué).
Par ailleurs, le législateur n'a
pas du tout envisagé, dans les travaux préparatoires, l'objectif
qu'il entendait poursuivre précisément en permettant une détention
préventive pour autant de comportements, vidant ainsi de tout sens
l'exigence du seuil d'un an visé par l'article 16 de la loi du 20 juillet
1990 précitée.
Même si l'objectif poursuivi était
légitime, les effets de la disposition attaquée sont disproportionnés
puisque la croissance des nouveaux moyens de communications -d'ailleurs encouragée
par l'autorité -permet l'application de plus en plus large de cette
disposition, alors que le seuil d'un an avait été conçu
par la loi sur la détention préventive comme un seuil permettant
de rendre celle-ci exceptionnelle. La loi attaquée manque à
l'exigence de prévisibilité et porte une atteinte excessive
à la garantie que constitue l'article 5. 1 de la Convention européenne
des droits de l'homme.
A. 5. 1. Dans une troisième branche,
où les articles 10 et 11 de la Constitution sont combinés avec
ses articles 12 et 14, avec l'article 7 de la Convention européenne
des droits de l'homme et avec l'article 15 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, la requérante fait valoir que la mise
en oeuvre des dispositions attaquées permet d'envisager qu'un justiciable,
en qualité d'auteur d'une tentative non incriminée par la loi
pénale, peut cependant faire l'objet d'une poursuite à cet
égard et faire l'objet d'une condamnation dès lors que la tentative
en cause aurait été commise à l'occasion d'une «
communication », « via l'infrastructure des télécommunications
».
Elle indique que l'article 53 du Code pénal
prévoit que la loi détermine dans quel cas et de quelle peine
sont punies les tentatives de délit et que, dans la foulée des
développements de la première branche, il apparaît que
le législateur porte atteinte, de manière discriminatoire, aux
droits des justiciables dès lors que sur le plan de l'application de
la loi pénale, les conséquences paraissent disproportionnées,
que le justiciable en cause ait ou
non agi « via l'infrastructure des télécommunications
».
Elle ajoute, dans son mémoire en
réponse, que le législateur n'a pas précisé la
peine encourue par l'auteur de la tentative, l'article 152 ne modifiant pas
l'article 114 de la loi du 21 mars 1991, ce qui constitue une discrimination
supplémentaire et une atteinte à l'exigence de prévisibilité
déjà invoquée. Ici encore, elle estime que l'objectif
poursuivi n'est pas légitime et que, s'il l'était, les mesures
prises pour l'atteindre sont disproportionnées; la doctrine considère
en effet que le caractère extraordinaire de l'incrimination d'infractions
non consommées et la gravité de la peine qui est prévue
et qui les rapproche de l'infraction consommée, justifient que l'institution
soit strictement limitée aux crimes et à quelques délits,
ceux dont la tentative est expressément incriminée par le législateur.
Or, l'utilisation de « l'infrastructure des télécommunications
» fait perdre ce caractère exceptionnel.
A. 5. 2. Le Conseil des ministres réplique
que la requérante n'expose pas en quoi consiste la disproportion qu'elle
critique. Il ajoute que, ici encore, la loi prend en compte un élément
spécifique et nouveau que les dispositions attaquées rendent
punissable, à savoir que le recours au réseau de télécommunications
-donc à un moyen technique -peut être exposé au risque
d'une défaillance, de sorte que le résultat escompté
par l'auteur de l'infraction peut être manqué en raison d'un
élément extérieur, indépendant de sa volonté.
Le législateur a donc pu raisonnablement estimer qu'il convenait de
réprimer de la même manière le fait accompli et la tentative,
sans faire ainsi dépendre la répression pénale d'un élément
extérieur à son auteur, étant la réussite technique
de sa tentative.
A. 6.1. Dans sa quatrième branche,
la requérante fait valoir que la mise en oeuvre des dispositions attaquées
permet d'envisager qu'un justiciable puisse faire l'objet de poursuites fondées
sur certaines infractions pour lesquelles le législateur a subordonné
la poursuite à une plainte préalable de la personne lésée,
sans qu'une telle plainte ne soit déposée, dès lors que
le fait en cause aurait été commis à l'occasion d'une
« communication », « via l'infrastructure des télécommunications
».
Elle indique qu'alors que, si même
le ministère public peut, en règle, poursuivre sans se préoccuper
juridiquement de la réaction de la victime, il existe certaines infractions
tels la calomnie et la diffamation et le refus injustifié de publier
un droit de réponse pour lesquelles le législateur a subordonné
la poursuite à une plainte préalable de la personne lésée.
Or, les dispositions attaquées permettent d'envisager que le ministère
public puisse seul poursuivre dans les cas où le législateur
a subordonné la poursuite à une plainte préalable de
la personne lésée, dès lors que le fait en cause aurait
été commis à l'occasion d'une « communication »,
« via l'infrastructure des télécommunications »,
créant ainsi, en fonction de l'utilisation de cette infrastructure,
une différence de traitement entraînant une disproportion injustifiable.
A. 6.2. Le Conseil des ministres estime
qu'il s'agit ici encore du choix souverain du législateur et qu'à
nouveau, la requérante compare des catégories de justiciables
qui ne sont pas comparables. Ainsi, par exemple, le fait de calomnier une
personne déterminée et le fait d'offenser un Etat étranger
par le biais d'un réseau de télécommunications constituent
deux infractions distinctes. Les deux infractions peuvent éventuellement
résulter
d'un même fait si celui-ci répond simultanément aux
deux qualifications pénales. Mais tel ne sera pas nécessairement
le cas. La situation du justiciable qui offense un Etat étranger par
le biais d'un réseau de télécommunications n'est pas
comparable à celle de l'individu qui calomnie un chef d'Etat étranger.
Le recours au réseau de télécommunications peut en effet
générer une distance géographique importante entre
l'auteur des faits et l'Etat lésé. Cette distance pourrait
être de nature à rendre difficile le dépôt d'une
plainte; en outre, par le caractère diffus de l'infraction, il n'est
pas acquis que la personne lésée en aura une nécessaire
connaissance. Il n'est d'ailleurs pas acquis non plus que l'infraction à
l'article 111 nouveau de la loi du 21 mars 1991 lésera une personne
bien déterminée. Ainsi, le fait d'inciter la population à
méconnaître les bonnes moeurs ne porte pas ensoi atteinte à
une personne en particulier mais à la collectivité tout entière.
Dans ces circonstances, il ne s'indiquait pas de subordonner l'exercice de
l'action publique au dépôt d'une plainte.
A. 6.3. La requérante réplique
que l'explication tirée de la distance géographique potentielle
est produite pour les besoins de la cause, ne peut s'appliquer à l'ensemble
des situations examinées et n'apparaît pas dans les travaux
préparatoires; en outre, aucune forme particulière n'est requise
pour la plainte de la personne lésée. Il ne s'agit pas ici
d'atteinte aux bonnes moeurs mais d'infractions très particulières
que, pour des raisons précises, le législateur pénal
n'a légitimement pas souhaité soumettre au même régime
que le droit commun des infractions.
Ici encore, à le supposer légitime,
quod non, l'objectif poursuivi requiert des moyens disproportionnés
: les cas, limitativement fixés par la loi, où la plainte de
la personne lésée est indispensable pour exercer l'action publique,
se justifient soit par des motifs d'ordre privé, notamment l'intérêt
des familles, soit par des considérations d'ordre politique, social
et même commercial; utiliser ou non « l'infrastructure des télécommunications
» ne peut justifier une telle différence de traitement.
A. 7. 1. Dans une cinquième branche,
où les articles 10 et 11 de la Constitution sont combinés avec
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec
l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
la requérante fait valoir que la mise en oeuvre des dispositions attaquées
permet d'envisager que les communications ou les télécommunications
privées d'un justiciable fassent l'objet d'une écoute, d'une
prise de connaissance et d'un enregistrement, pendant leur transmission, autant
de mesures décidées par le juge d'instruction, dès lors
que le fait dont il est saisi, susceptible d'être assimilé à
une « atteinte au respect des lois, à la sécurité
de l'Etat, à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, ou constituant une
offense à l'égard d'un Etat étranger », aurait
été commis à l'occasion d'une « communication »,
« via l'infrastructure des télécommunications ».
Elle indique que l'article 90ter du Code
d'instruction criminelle énonce limitativement, en matière d'écoute,
les infractions pouvant justifier une mesure de surveillance aussi exceptionnelle.
Il s'agit notamment, comme le précise ce même paragraphe 2,
15°, des infractions visées « à l'article 114, §
8, de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises
publiques et économiques ». Or, les dispositions attaquées
prévoient que peut à présent tomber sous le coup de
cette disposition particulière toute « personne qui viole des
dispositions de l'article 111 » de la loi précitée du
21 mars 1991, modifiée par la loi attaquée. Le régime
d'écoute peut donc s'appliquer à toute infraction commise en
utilisant l'infrastructure des télécommunications, ce qui accentue
la discrimination dénoncée.
Dans son mémoire en réponse,
la requérante ajoute que l'article 88bis du Code d'instruction criminelle
relatif au repérage et à la localisation de télécommunications
autorise le procureur du Roi à recourir à de telles mesures,
en lieu et place du juge d'instruction, si le plaignant le sollicite «
lorsque cette mesure s'avère indispensable à l'établissement
d'une infraction visée à l'article 114, § 8, de la loi
du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques
économiques ». Ainsi, finalement, toute « atteinte au respect
des lois » de nature pénale ou non, par le biais de «
l'infrastructure des télécommunications », permettra au
parquet de procéder à des mesures attentatoires au principe
du respect de la vie privée, ce qui n'est par contre pas envisageable
lorsqu'il n'y a pas eu usage de « l'infrastructure des télécommunications
».
A le supposer légitime (quod non),l'objectif
poursuivi est ici encore mis en oeuvre par des moyens disproportionnés.
Les dispositions du Code d'instruction criminelle visent à concilier
deux intérêts contraires :
d'une part, le respect de la vie privée
des citoyens et, d'autre part, la nécessité d'une protection
plus efficace de la société contre le terrorisme, le grand banditisme
et le crime organisé; il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme relative à l'article 8 de la Convention que
dès lors qu'elle peut conduire à justifier que des écoutes
téléphoniques soient pratiquées, la loi doit fournir
des garanties suffisantes contre l'arbitraire et suffisamment de précisions
au citoyen qui lui permettent de savoir à quelles conditions il est
susceptible d'être mis sur écoute. Cela n'est manifestement
pas le cas des dispositions attaquées, puisque l'incrimination en
cause a un spectre -déjà dénoncé -tellement large
qu'elle vide de sens la condition de ne recourir aux écoutes téléphoniques
que pour des incriminations spécifiques, d'une gravité certaine,
visées précisément dans un texte de loi.
A. 7.2. Le Conseil des ministres ne peut
suivre le raisonnement tenu par la requérante lorsque celle-ci soutient
que les écoutes téléphoniques pourront être ordonnées
à l'occasion de la commission de toute infraction quelconque, non reprise
à l'article 90ter, § 2, car cette affirmation est démentie
par le texte même de cette disposition qui identifie précisément
les infractions pour lesquelles les écoutes peuvent être ordonnées,
infractions au nombre desquelles on compte, à présent, celles
visées à l'article 114, § 8, de la loi du 21 mars 1991,
modifié par l'article 152 précité.
Les garanties entourant la mise en oeuvre
des écoutes téléphoniques demeurent elles-mêmes
inchangées, de sorte que la loi attaquée ne saurait méconnaître
le prescrit constitutionnel.
-B -B.
1. Les articles 151 et 152 de la loi-programme
du 30 décembre 2001 disposent :
« Art. 151. L'article 111 [de la loi
du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques
économiques], abrogé par la loi du 19 décembre 1997,
est rétabli dans la rédaction suivante :
' Art. 111. Nul ne peut, dans le Royaume, via l'infrastructure des télécommunications,
donner ou tenter de donner des communications portant atteinte au respect
des lois, à la sécurité de l'Etat, à l'ordre public
ou aux bonnes moeurs ou constituant une offense à l'égard d'un
Etat étranger. '
Art. 152. A l'article 114 de la même
loi, modifié par les lois du 19 décembre 1997 et du 3 juillet
2000, sont apportées les modifications suivantes :
1° le § 1er est complété
comme suit : ' 3° le défaut de déclaration de service telle
que reprise à l'article 90, § 1er ';
2° au § 2, les mots ' 109terE,
§§ 5, 6 et 7, ' sont insérés entre les mots ' 109terD,
' et ' 109terF ';
3° le § 8 est complété
comme suit : ' 3° la personne qui viole des dispositions de l'article
111. ' »
B. 2. Il apparaît des termes de la
requête que l'article 152 précité n'est attaqué
qu'en tant qu'il modifie l'article 114, § 8, de la loi du 21 mars 1991,
lequel dispose désormais :
« § 8. Est punie d'une amende
de 500 à 50.000 francs maximum et d'un emprisonnement d'un à
quatre ans ou d'une de ces peines seulement :
1° la personne qui réalise frauduleusement des télécommunications au moyen d'un réseau de télécommunications afin de se procurer ou de procurer à autrui un avantage illicite;
2° la personne qui utilise un réseau
ou un service de télécommunications ou d'autres moyens de télécommunications
afin d'importuner son correspondant ou de provoquer des dommages;
3° la personne qui viole des dispositions
de l'article 111. »
La Cour limite son examen à l'article
151 et à l'article 152, 3°.
Quant
à l'intérêt de la partie requérante
B. 3. Selon ses statuts, l'a. s. b. l. Ligue des droits de l'homme a pour
objet de « combattre l'injustice et toute atteinte arbitraire aux droits
d'un individu ou d'une collectivité ». Elle « défend
les principes d'égalité, de liberté et d'humanisme sur
lesquels se fondent les sociétés démocratiques et qui
ont été proclamés » notamment par la Constitution
belge et la Convention européenne des droits de l'homme.
Sans qu'une telle définition de l'objet
social d'une a. s. b. l. doive être prise à la lettre comme un
moyen qu'elle se donne d'attaquer n'importe quelle norme sous le prétexte
que toute norme a une incidence sur les droits de quelqu'un, il peut être
admis qu'un lien suffisant existe entre cet objet social et les articles 151
et 152 de la loi du 30 décembre 2001. Les dispositions attaquées
dans la requête limitent en effet, au moyen de mesures pénales,
la possibilité de communiquer et, en ce sens, de s'exprimer, de toute
personne.
Il s'ensuit que l'a. s. b. l. Ligue des
droits de l'homme justifie d'un intérêt à demander l'annulation
des dispositions précitées.
Quant
au fond
B. 4. La requérante critique
les articles 151 et 152 de la loi du 30 décembre 2001 en ce qu'ils
établissent une différence de traitement entre les personnes
qui émettent ou tentent d'émettre les communications qu'ils
visent en utilisant l'infrastructure des télécommunications
et celles qui le font sans utiliser cette infrastructure ou commettent
d'autres infractions : les premières seraient discriminatoirement
privées de la garantie que constitue le principe de la légalité
des incriminations et des peines (première branche du moyen unique);
la sanction qu'elles encourent (un an de prison minimum) est de celles qui
permettent de placer leur auteur en détention préventive (deuxième
branche); elles pourraient faire l'objet de poursuites en qualité d'auteurs
d'une tentative non incriminée par la loi (troisième branche);
elles pourraient faire l'objet de poursuites engagées par le ministère
public pour des faits qui, si l'infrastructure des télécommunications
n'avait pas été utilisée, ne pourraient être
sanctionnés qu'à la suite d'une plainte de la victime (quatrième
branche); leurs communications ou télécommunications privées
pourraient faire l'objet d'écoutes téléphoniques dès
lors que les infractions visées par la loi attaquée font partie
de celles qui peuvent justifier une mesure de surveillance prévue par
l'article 90ter, § 2, du Code d'instruction criminelle (cinquième
branche).
B. 5. Les règles constitutionnelles
de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une
différence de traitement soit établie entre des catégories
de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et
qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit
s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée
ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité
est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et
le but visé.
B. 6. Contrairement à ce que soutient
le Conseil des ministres, la requérante compare les justiciables suivant
que les faits qui leur seraient reprochés ou qui seraient pris en
compte ont été ou non commis en utilisant l'infrastructure des
télécommunications et non suivant que ces faits sont antérieurs
ou postérieurs à la loi attaquée. Il ne saurait donc
être exclu d'emblée que la comparaison de ces catégories
fasse apparaître une discrimination.
B. 7. Les distinctions critiquées
par la partie requérante sont fondées sur un critère
objectif, à savoir celui de l'utilisation de l'infrastructure des télécommunications
pour donner ou tenter de donner les communications visées par les
dispositions attaquées.
B. 8.1. Les dispositions attaquées
font partie d'un ensemble de dispositions qui, en matière de télécommunications,
modifient la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises
publiques économiques afin, notamment, de permettre à l'Institut
belge des services postaux et des télécommunications (I. B.
P. T.) de disposer des données concernant l'identité et l'adresse
d'un détenteur de numéro de téléphone, ainsi que
des références des numéros appelés et des données
comptables relatives à la facturation (Doc. parl., Chambre,
2001-2002, n° 1503/ 1, p. 60) et de pallier une lacune : l'article 4
de la loi du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications, qui réprime
l'usage de radiocommunications, portant atteinte au respect des lois, à
la sécurité de l'Etat, à l'ordre public ou aux bonnes
moeurs ou constituant une offense à l'égard d'un Etat étranger,
n'avait en effet pas de pendant en matière de télécommunications
(ibid., p. 61). Lors de l'adoption de ces dispositions, le législateur
a constaté :
« Le rôle crucial des télécommunications
rend impératif de pouvoir agir très rapidement dans certains
dossiers[;] or, trop souvent, des enquêtes n'ont pu être menées
à terme dans des délais raisonnables par défaut d'information.
[…] La libéralisation du marché des télécommunications
a engendré une augmentation considérable du nombre d'opérateurs
et de fournisseurs d'autres services de télécommunications.
Le nombre d'abonnés et d'utilisateurs finals de ces services a également
augmenté de manière considérable depuis 1998 et cette
augmentation peut être qualifiée d'explosive pour l'année
écoulée. Il est par conséquent devenu extrêmement
difficile pour les services d'urgence de réagir aux appels d'urgence
qui leur sont adressés. En outre, les abus commis au départ
de certains services qui garantissent un anonymat total et donc l'impunité
à l'auteur, en cas d'appels malveillants ont augmenté de manière
telle que le fonctionnement de certains services de secours en est perturbé
et que certains services d'aide, par le retrait de collaborateurs bénévoles
suite à cette situation, sont menacés dans leur existence. »
(ibid., p. 60)
De même, dans la justification de
l'urgence qu'il invoquait en soumettant son projet à l'avis du Conseil
d'Etat, le Gouvernement indiquait :
« Les missions qui pourraient être
confiées à l'IBPT par les Parquets dans le cadre d'enquêtes
en cours, justifiées notamment par la situation politique internationale,nécessitent
d'attribuer à l'Institut la possibilité de pouvoir exercer plus
efficacement certains contrôles.
Tout d'abord, il est proposé d'introduire
une disposition prévoyant que l'utilisation d'un réseau fixe
de télécommunication à des fins illicites est un délit.
Cette disposition existe déjà pour les réseaux ayant
recours à des transmissions par radio.
Ensuite, l'Institut devrait avoir la possibilité
d'obtenir directement auprès des opérateurs l'identification
de clients.
Enfin, il est proposé de pénaliser
le fait de ne pas déclarer un service de télécommunication.
Ceci est particulièrement nécessaire dans le secteur des phones-shops
qui servent parfois de couverture au grand banditisme. » (ibid.,
p. 139)
B. 8.2. Les dispositions attaquées
s'inscrivent ainsi dans un ensemble de mesures par lesquelles le législateur
entend réagir contre les comportements abusifs constatés dans
un secteur ayant connu récemment un développement important.
Des mesures pénales telles que celles
qui sont prévues par les dispositions attaquées constituent
une mesure pertinente au regard d'un tel objectif. Elles se veulent d'ailleurs
le pendant de celles, analogues, prévues par l'article 4 de la loi
du 30 juillet 1979 relative aux radiocommunications, le législateur
ayant constaté qu'il « [n'existait] actuellement aucune disposition
similaire pour les télécommunications » et que «
les circonstances actuelles nécessitent de pallier d'urgence cette
lacune » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, n° 1503/ 1, p.
61).
B. 9.1. En sa première branche, le
moyen fait référence au principe de la légalité
des incriminations et des peines.
B. 9.2. En attribuant au pouvoir législatif
la compétence, d'une part, de déterminer dans quels cas et
dans quelle forme des poursuites pénales sont possibles, d'autre part,
d'adopter la loi en vertu de laquelle une peine peut être établie
et appliquée, les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution
garantissent à tout citoyen qu'aucun comportement ne sera punissable
et qu'aucune peine ne sera infligée qu'en vertu de règles adoptées
par une assemblée délibérante, démocratiquement
élue.
L'article 151 de la loi attaquée définit les communications
dont l'auteur peut être sanctionné en vertu de cette disposition
et précise que le mode de transmission de ces communications, à
savoir l'utilisation de l'infrastructure des télécommunications,
est érigé en délit lorsqu'il est adopté pour donner
des communications visées par la loi. Le législateur a pu considérer
qu'il s'agissait là d'un mode de communication qui, en ce qu'il est
spécifique et permet d'atteindre rapidement un grand nombre de personnes
pouvant se trouver très loin de l'auteur des communications, justifiait
la création d'un délit spécifique.
B. 9.3. L'article 151 attaqué ne
pourrait cependant se justifier en ce qu'il permet de punir l'auteur d'une
infraction définie en des termes aussi vagues que « communications
portant atteinte au respect des lois ». Le principe de légalité
en matière pénale, garanti par les articles 12, alinéa
2, et 14 de la Constitution ainsi que par l'article 7 de la Convention européenne
des droits de l'homme, procède notamment de l'idée que la loi
pénale doit être formulée en des termes qui permettent
à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement,
si celui-ci est ou non punissable. Or, quelle qu'ait pu être l'intention
du législateur, même une conduite aussi légitime, en démocratie,
que celle qui consiste à critiquer en termes sévères
une loi déterminée, ne pourrait être menée avec
la certitude de n'être pas exposé à une répression
pénale fondée sur un texte ainsi libellé.
L'expression « atteinte […] à
la sécurité de l'Etat » n'a pas un contenu normatif suffisamment
précis pour définir une infraction pénale.
Si les notions d'ordre public et de bonnes
moeurs sont acceptables en droit civil bien qu'elles se prêtent à
des définitions extensives, elles ne peuvent, pas plus que la notion
de faute, constituer à elles seules la définition d'une infraction
pénale, sans créer une insécurité inadmissible.
La condition d'utiliser certains moyens de communication n'est pas une restriction
suffisante, car elle laisse subsister cette même insécurité
pour tous ceux qui recourent à de tels moyens, lesquels n'ont en eux-mêmes
rien d'illicite.
Quant à l'offense à l'égard
d'un Etat étranger, elle ne peut, sans plus de précision, être
érigée en infraction sans attenter à la liberté
de manifester des opinions.
B. 10. Les autres branches du moyen ne pouvant
conduire à une plus ample annulation, elles ne seront pas examinées.
Par ces motifs,
la Cour
-annule les articles 151 et 152, 3°,
de la loi-programme du 30 décembre 2001;
-rejette le recours pour le surplus.
Ainsi prononcé en langue française,
en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément
à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
d'arbitrage, à l'audience publique du 14 mai 2003.