Aden

Nouvelles de marronnage culturel.
Numéro 43, 15/04/2001

En vérité, celui qui ne connaît pas la colère ne sait rien.

Henri Michaux, mouvements de l’être intérieur.

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L’édito.

Le mauvais triple d’Aden.

Je sais que c’est la période mais quand même. Nombreux d’entre vous m’ont sonné les cloches. Vous auriez reçu Aden en double, en triple, en quadruple. Y a même un type qui m’a prétendu l’avoir reçu 8 fois. Qui dit mieux ? Si Aden fut victime d’un clonage hasardeux, c’est simplement la faute à mes petits nerfs. Pop List qui organise l’envoi d’Aden a connu de gros problèmes techniques. Dimanche dernier, chaque fois que j’envoyais Aden, le programme se plantait et ne me confirmait en rien que l’envoi était effectué. Pourtant, il envoyait bien la sauce mais cela lui a pris 48 heures. Voilà ce qui explique l’inondation de mardi.

Autre problème, certains d’entre vous n’arrivent plus à déchiffrer Aden quand il est envoyé en html, d’où l’existence d’une deuxième version en format texte…Donc il est normal de recevoir Aden en deux exemplaires !

Les brèves.

Encre noire chez Minuit.

Jérôme Lindon, 75 ans, l'un des très grands éditeurs français, est mort. Jérôme Lindon a incarné pendant plus de 50 ans l'esprit de résistance au conformisme et à la complaisance littéraires en dirigeant les éditions de Minuit. Minuit a un passé prestigieux : en 1941, à Paris, en pleine occupation allemande, un dessinateur, Jean Bruller, et un écrivain, Pierre de Lescure, décidèrent de fonder une maison d’édition clandestine : les Éditions de Minuit. Le premier livre publié, Le silence de la mer, de Vercors (pseudonyme de Jean Bruller), commencera à circuler de main en main en octobre 1942.

Les éditions clandestines diffuseront, avec les risques que l’on devine, les plus grands écrivains français qui résistaient au nazisme : Eluard, Aragon,…

A la libération, Minuit restera dans le ton en publiant Premier combat, de Jean Moulin (1947), Un camp très ordinaire, de Micheline Maurel (1957), La nuit, d’Elie Wiesel (1958), la réédition de L’univers concentrationnaire, de David Rousset (1965) et, dans la collection " Documents ", la série d’Auschwitz et après, de Charlotte Delbo (1970).

La période de la guerre d'Algérie révélera tout le courage éditorial de Minuit : Germaine Tillion, Jacques Vergès et Georges Arnaud, Pierre Vidal-Naquet (L'Affaire Audin, 1959)…Mais surtout, la maison d’édition va publier La Question d’Henri Alleg. Ce livre jettera un pavé dans la mare en révélant les pratiques barbares de l’armée française en Algérie. Le livre sera immédiatement interdit. J’ai eu la chance d’interviewer Henri Alleg récemment. Il m’explique : " ‘La Question’ a été diffusée clandestinement (puisque le livre a été immédiatement saisi.) Heureusement, l’éditeur avait pris ses dispositions pour que tout ne soit pas saisi. On peut estimer qu'il y eut quelques dizaines de milliers d’exemplaires qui circulèrent clandestinement". Ainsi, Lindon avait su utiliser les méthodes de diffusions clandestines, acquises aux détriments des nazis, contre l’état français. Le livre vaudra d’ailleurs à l’éditeur de nombreuses condamnations. Ce qui n’empêchera pas Minuit de rester très dynamique. D’ailleurs, d’autres titres seront poursuivis par les tribunaux de la République. En 1960, c'est Lindon qui imprime le "Manifeste des 121" en faveur de l'insoumission en Algérie. Quatre ans plus tard, on lui fait violemment grief d'avoir signé la préface du livre de Jacques Vergès, Pour les fidayines.

Indirectement, les Editions Aden rendront bientôt hommage à la dimension algérienne des Editions de Minuit puisque je prépare pour fin mai, un livre d’entretiens avec Henri Alleg à propos de La Question. Et ça, c’est un scoop ! Chuuuut !

Source : AFP

La déprime d’Hubert-Félix.

J’aime bien les chansons Hubert-Félix. Mais parfois, je me demande si Thiéfaine n’est pas un agent secret d’une firme pharmaceutique quelconque spécialisée dans les antidépresseurs : " Je ne comprends pas pourquoi les gens recherchent le bonheur à l’état équilibré, ça doit être ennuyeux " Faut-il croire que le malheur, c’est cool ? " Le bonheur, c’est du chagrin qui se repose " disait Ferré. Et Thiéfaine adore (merde, moi aussi) : " Ferré a changé ma vision émotionnelle du monde et ma façon d’écrire. Il a fallu que je fasse le deuil de Léo pour ne pas faire du sous-Ferré. "

Erigeant la provocation en style de vie, Thiéfaine y perd un peu le nord : " En 68, j’ai toujours pris le côté inverse des choses. Comme j’étais un peu provocateur, je m’amusais à me dire de droite, ce que je ne suis pas plus. La politique ne m’intéresse pas. " Est-ce qu’aujourd’hui Thiéfaine prend à nouveau " le côté inverse des choses " ? ? ? Peut-être trouvera-t-on des éléments de réponse dans son dernier album. Thiéfaine, dans un de ses nouveaux morceaux, mélange du reggae à la voix d’Antonin Artaud qui récite " Pour en finir avec le jugement de Dieu ", le tout saupoudré des paroles du chanteur qui cause de la banlieue, de la faillite des politiques,…un cocktail détonnant.

Source : Le Monde du 23/03/2001

Dangereuse BD japonaise.

Dis-moi ce que tu lis en BD, je te dirai qui tu es. La bande dessinée est un pan de la culture extrêmement dynamique et qui touche souvent un public jeune. C’est pourquoi, la BD peut s’avérer être un lieu de manipulations politiques. Par le passé, Aden avait déjà dénoncé comment des négationnistes bretons utilisaient la BD pour nier les crimes nazis. ("Bande dessinée ‘réviso’ chez les bretons ", Aden n°3, disponible sur le site.) Aujourd’hui, nous retrouvons cette même tendance au Japon. L'extrême droite japonaise, malgré sa faiblesse électorale, fait beaucoup parler d'elle en diffusant des mangas où l’on retrouve sa conception de l’histoire : le Jiyushugi shikan, qu'on pourrait traduire par "libéralisme historique". Nobukatsu Fujiyoka, professeur à l'université de Tokyo, est l'initiateur de ce révisionnisme nippon qui, accompagné d'un collectif de professeurs d'universités et d'une centaine de députés du PLD (le Parti libéral-démocrate), use de son prestige afin de remettre en cause la responsabilité du Japon dans les crimes perpétrés par l'armée impériale au cours de la seconde guerre mondiale. Ces fachos en costume trois pièces utilisent les mangas pour diffuser massivement ces idées parmi les jeunes. Il faut dire que le Japon est en crise et que la jeunesse nippone pourrait bien se mettre à contester alors…il faut bien tenter de l’abrutir, non ?

Document.

Quand Le Soir broie du Noir.

Patrick Moens n’est pas un bleu quand il s’agit de causer Polar. Dans les années 80, l’homme sévissait à la librairie Séries B où il construisait le mythe que nous connaissons. Aujourd’hui encore, l’homme ne range jamais sa gabardine de détective quand il s’agit de causer roman policier. Il nous envoie ce document pour réagir à un crime de lèse-majesté dont le coupable ne devrait pas tarder à tomber vu le fin limier qui s’en mêle. Découvrons ensemble son rapport d’enquête.

Mais quelle mouche a piqué Alain Lallemand ?

Le supplément MAD du Soir du 4 avril 2001 était en partie consacré au polar. Riche idée que de consacrer un dossier à ce genre, un des derniers représentants du réalisme en littérature. Et lier, par la photo en première page, le polar et une manifestation dans les années soixante contre la guerre au Viêt-nam, augurait une bonne analyse.

Déjà, le choix d’Ellroy, réac notoire, était discutable. Mais que penser alors de l’article d’Alain Lallemand titré " A.D.G. a trente ans, découvrez-le d’urgence ". Si, en 1971, le lecteur pouvait effectivement s’y tromper (les cheveux longs d’A.D.G., son esprit " écolo " avant la lettre, ses jeux de mots irrévérencieux), le critique de 2001 devrait savoir qu’A.D.G. (pseudo d’Alain Fournier) n’est qu’une crapule fasciste : témoin de Jean-Marie Le Pen à son mariage , chroniqueur et conseiller de direction à Minute, le torchon du Front national, auteur de romans ouvertement racistes, prônant le colonialisme français en Nouvelle-Calédonie, il avait totalement disparu de la scène éditoriale dans les années 1980. Celui qui dédicaça son roman Joujoux sur le caillou à " Jean-Marie mon p’tit mec " était littérairement mort. On ne remerciera ni Folio de le rééditer, ni Alain Lallemand de l’encenser.

Patrick Moens.

Le courrier des lecteurs.

Le Matin suite et fin.

La mort du Matin a suscité beaucoup de réactions : Aden a donc décidé d’ouvrir un forum pour en causer…allez-y voir et lâchez-vous ! http://pub16.ezboard.com/flagoradadenractions

" Le Matin a liquidé sa base populaire d'un trait de plume."

Les progressistes pleurent le Matin. Personnellement ça me laisse froid. Pourquoi ? Je suis de la région de Charleroi. Ouvrier sidérurgiste à Cockerill-Sambre-Usinor (Newco-Duferco???), j'ai un travail dur et je ne suis pas habitué à des pirouettes intellectuelles. J'appelle un chat un chat. Matérialiste, je ne supporte pas les gens qui me tendent la main gauche en souriant, tout en me poignardant de la main droite. Dans le dossier de la sidérurgie, c'est ce qu'a toujours fait le P.S.. Depuis Willy Claes en 1973 jusqu'à Vancauwenberghe en 2001. Le Matin, avant, c'était le Journal de Charleroi, un organe du P.S. soutenu par la FGTB. Un genre de Nouvelle Gazette à la sauce rose.
Avec les difficultés financières, la rédaction a fait le pari d'un journal plus intellectuel. Ainsi le Matin a liquidé sa base populaire d'un trait de plume. Le Matin, sous une façade "indépendante", restait fâcheusement pro P.S.. Ce qui, pour moi, n'a rien de progressiste. Faire de beaux articles sociaux sans critiquer vertement la politique anti-sociale gouvernementale avec la participation active du P.S. ce n'est pas très de gauche. De plus, ce journal était plutôt Liégeois/Bruxellois qu'autre chose. Et pour avoir des nouvelles de Charleroi, il fallait gratter. Exemple : La restructuration en sidérurgie. La couverture (plutôt une serviette de bain) d'un événement majeur dans la région a été proche du nul. Voilà pourquoi je ne suis pas triste de la disparition du Matin.

Freddy Visconti

Françoise Nimal qui avait publié un très beau courrier dans le dernier Aden réagit :


" Que dire ? "

Que dire? Je comprends fort bien les arguments de ce monsieur, mais pour ma part, étant bruxelloise et intellectuelle, et je trouvais dans le nouveau Matin de quoi me satisfaire. On n'a pas les mêmes attentes... Pour moi, par exemple, je suis contente d'avoir un journal qui laisse une place assez large aux enjeux soulevés par les groupes moins représentés dans le reste de la presse que sont les handicapés ou les homosexuels. Voilà, une ou deux réflexion sur le vif...

Françoise Nimal


Et la presse de gauche ? ? ?

La semaine dernière, nous avions mis en avant quelques journaux de gauche pour consoler les lecteurs du Matin…Apparemment, il y a eu un oubli…

" Il ne faudrait pas oublier le Journal C4 "

D'accord, je reçois les infos de Aden et parfois je prends le temps de les lire - pas toujours, je n'ai pas toujours le temps - et c'est vrai que c'est sympa. Parfois je les reçois en double ou en triple comme aujourd'hui ça ce n'est pas utile. Quant à la presse alternative, il ne faudrait pas oublier le Journal C4 et ça vaudrait la peine que tu le lises au moins une fois.

A plus.

Brigitte Kaquet


" Voilà un bol de vitamines qu’est bon pour c’qu’on a… "
Ben voilà, je reçois Aden depuis des semaines et des semaines, pour ne pas dire des mois et des mois, et chaque fois je me dis : "Bon, ce coup-ci, je lui envoie un petit mot, pour lui dire tout le bien que je pense de sa cyber-gazette..." Et le temps pââââsse, pââsse et repâââsse, et je ne le fais pas, bougre de foutriquet. Et là, aujourd'hui, sais pas, ça doit être le soleil... Et adhoncques c'est chouette, Aden, on ne s'en lasse pas. Adelante, camarade, voilà un petit bol de vitamines qu'est bon pour c'qu'on a...

A bientôt,

Yannick Bovy, ex-journaliste d’Avancées.

Et le reste du courrier…

" Etre créatif et ludique dans sa propre langue. "

Une manière de résister à l'impérialisme culturel américain est de refuser d'utiliser leur langue lorsque des équivalents existent dans la notre. Ca serait bien si vous évitiez d'utiliser des termes tels que "Forwarder" qui ne veut rien dire ni en anglais ni en français. Et en plus vous avez déjà essayé de dire ça haute voix? Transmettre, ça sonne quand même mieux. Cela dit on n'est pas obligé de le faire avec des termes académiques quelques fois un peu chiants. Inventons, inventons. On peut, en retournant les sons appeler un Email un E-mile par exemple. Emile, c'est sympa, non? Et pour peu que par habitude ça devienne un milou, avouez que ce serait plus frais que "courrier". Etre créatif et ludique dans sa propre langue, c'est aussi une manière de continuer à exister face au déferlement amerlook, ceci dit en dehors de tout narcissisme linguistique: la plus belle langue du monde c'est celle qu'on parle. Et comme tout le monde en parle une...

Michel Noiret.

La brève sur Zinedine Zidane a aussi fait quelques remous…

" Le glissement d'un système de protection sociale à un système de répression de la misère… "

En tout cas bravo pour Aden, ça fait vraiment plaisir de lire quelque chose d'engagé et qui tienne la route. La brève sur Zinedine tombe au moment où je lis avec plaisir mais néanmoins angoisse et consternation "Les prisons de la misère" de Loïc Wacquant, aux Editions Raisons d'Agir (novembre 1999) - quelques 150 pages terrifiantes sur la "tolérance zéro", le glissement d'un système de protection sociale à un système de répression de la misère et de gestion punitive, répressive et carcérale des problèmes sociaux, au-delà d'hypothétiques problèmes de délinquance. Avec une analyse pointue des dérives racistes-sociales que ce système qui tend à se généraliser (l'Europe et même la Hollande, autrefois un exemple d'alternative progressiste... ou "laxiste", emboîtent sans complexe le pas aux Etats-Unis) induit. Cela rejoint assez bien les propos de Rachid Taha, mais c'est solidement argumenté. Je résume mal, mais en tout cas c'est à lire absolument (si ce n'est déjà fait).
Au plaisir de te lire,

Sophie.


" Je trouve l'argument un peu facile. "

En général j'apprécie tous les commentaires que vous faites ou que vous transmettez. En ce qui concerne le racisme et la pauvreté, je trouve l'argument un peu facile. S'il est vrai qu'à l'inverse les classes pauvres ont souvent été prises pour des classes "dangereuses, certaines communautés culturelles + ou - aisées comme les juifs en Allemagne avant la 2ème guerre, ont été prises pour bouc émissaire d'un racisme radical comme vous le savez. Il n'y a pas qu'eux, les Japonais dans certains pays d'Amérique latine, les communautés chinoises dans certains pays asiatiques etc.. Le racisme est un phénomène trop complexe pour qu'on le réduise trop facilement à un discours sur la pauvreté ou "de classe". C'est sans doute comme "pauvres dangereux" que les maghrébins sont exclus mais pas que... La jalousie ou le malaise à l'égard de certains groupes (y compris à l'égard des homosexuels) relèvent de phénomènes à l'œuvre dans notre étrange humanité. Lacan disait quelque chose comme :" le racisme c'est la haine de la jouissance de l'autre". L'égalité entre les groupes sociaux et les personnes est un combat à mener mais elle n'éliminera pas nécessairement le racisme.
Thérèse Mangot.

A la semaine prochaine…

Gilles Martin, gilamaison@skynet.be

@den, édition du 15/04/2001, n°43, tirage: 4870 adresses électroniques.

Le manifeste d'@den.

Le 'marron', cet esclave qui à l'époque de la servitude, brisait ses chaînes pour fuir l'ordre établi, et bien, le nègre marron m'a pris à la gorge. Et ce mot que je cherchais pour dire ma révolte de l'ordre culturel et de l'ordre tout court, ce mot qui souligne à merveille ce refus qu'on voudrait balancer à la gueule de ceux qui nous macdonaldisent, qui disneyisent, qui nous transforment en clochards de la culture, je le trouvais sur cette "île inquiète"(1): le marronage ! Aujourd'hui, en Occident, la chaîne n'emprisonne plus l'esclave au pied. Les chaînes de notre servitude sont aussi posées dans notre cerveau. Combien de Français, de Belges abrutis par Jean-Pierre Foucault ? A quoi rêvent encore les hommes écrasés par la Loterie Nationale et les rubriques zodiacales de je ne sais quel canard boiteux ? Pourquoi cet océan de verroteries ??? Le marronage m'apprend à vouloir casser mes chaînes et à prendre le maquis de la contre-culture. C'est là qu'est le vrai but d'@den car marronage signifie subversion et transgression d'un ordre contraire. En conséquence, je vous invite à partir dans la montagne bouter l'incendie de notre inaliénable révolte.

Gilles Martin

(1) La Martinique.