[NOTA: une fois encore: si vous voulez faire partager un texte, republiez-le! Ce n'est vraiment pas compliqué. Thanx. red kitten] -------------------- " La violence n'est pas forcément mauvaise. " Cette phrase, surtout en ces temps, fera bondir la majorité des lecteurs, extrémistes et provocateurs exceptés. Dans un élan touchant d'unanimité, Etats et individus, toute tendance philosophique, religieuse, politique confondue, ont condamné les actes de terrorisme qui ont frappé les Etats-Unis. La crainte de représailles disproportionnées a amené ces mêmes intervenants à appeler à la retenue, à un usage limité de la violence, qui ne toucheraient que les " coupables ". Pourtant, au-delà des manifestations sincères revendiquant un monde sans haine, nous cautionnons tous, certains inconsciemment, une violence. Nous ne réprimandons pas de la même manière les mêmes actes selon les auteurs ou les mobiles. Les assertions 'un résistant français a tué un SS allemand' et 'un terroriste a tué un civil' ne provoquent pas les mêmes réactions. Pourtant, d'un point de vue strictement humaniste, l'acte, l'homicide volontaire, devrait amener la même condamnation. Si la deuxième phrase provoque en effet l'indignation de la majorité d'entre nous, la première suscite l'approbation, voire l'admiration. Le vocabulaire choisi pour décrire les deux actions porte en lui le jugement de l'acte. Le terroriste a forcément tort, il se bat pour une cause totalitaire, contre le bien-être de tous, tandis que le résistant se bat contre une injustice, une occupation. Et c'est ce jugement qui rend acceptable une mort, et inadmissible une autre. La violence en soi ne serait donc pas condamnable, seuls ses desseins le seraient ? En fonction des objectifs menés, des degrés de violence seraient acceptables. Ainsi, l'ensemble des interventions occidentales sur les frappes américaines en Afghanistan se résume ainsi : les USA peuvent investir ce pays, dénicher Ben Laden et le ramener, cette mission pourra se faire au prix des vies des talibans, mais si possible avec le moins de victimes afghanes civiles et occidentales militaires. Deux types de violence s'opposent dans ce " duel " USA - Ben Laden : la violence institutionnelle, étatique, régie par des lois, justifiée par une théorie ou tout le moins une rhétorique, et la violence individuelle, tenue à aucune règle définie si ce n'est celle que s'impose l'auteur ou le groupe d'auteurs. Frapper de manière réfléchie La violence a plusieurs visages, plusieurs explications, elle n'est pas cette entité monolithique contre laquelle chacun s'insurge. La violence n'est pas l'apanage du Mal pour s'exprimer. Le Bien y recourt fréquemment ! Dans les discours de circonstances entendus dans la foulée des attentats du 11 septembre, où la nuance a rarement eu droit de cité, la violence a été identifiée comme irréfléchie, imbécile. On ne donne peu de crédit intellectuel à son auteur, aucune vision à long terme, aucune capacité de réflexion. L'homme violent est endoctriné, lobotomisé. Or, ce qui a le plus surpris dans l'attaque qu'a subie les USA est de déceler dans l'identité des terroristes des caractéristiques qui se contredisent : le fanatisme et l'intelligence, l'extrémisme et la patience, le dogme et l'intégration sociale, l'éducation et le choix de la violence. Dans une même logique (mais sans comparer ou lier ces violences), des discours construits de Black Blocs ont été téléchargés sur le site de " Indymedia Belgique " après les événements gênois. Réfutant l'idée de marionnettes manipulées soit par l'extrême gauche, soit par la police (représentant l'extrême droite), les Black Blocs revendiquaient une pensée sur les phénomènes globaux, mondialistes. Leur démarche s'inscrivait dans une vision du monde. Si on ne peut que craindre une société bâtie sur la violence, les " casseurs " n'étaient pas tous des jeunes désoeuvrés, manipulés, comme l'ensemble des médias les a présenté. Si l'essentiel des " autremondialistes " sont des pacifistes convaincus, s'ils entendent prendre leurs distances avec ce qu'ils qualifient eux-mêmes d'extrémistes, c'est plus une forme de violence qu'ils condamnent que la violence en elle-même. Ces mêmes pacifistes sont moins nombreux à condamner les arrachages d'OGM dans les champs expérimentaux. Pourtant, la problématique des OGM tient essentiellement dans sa commercialisation, et non dans la recherche. Il est plus logique de s'attaquer alors aux produits OGM déjà commercialisés. Les " autremondialistes " défendent des actes de destruction, ou plutôt de déconstruction. Ils étaient des milliers à demander l'acquittement de José Bové, estimant que les dommages subis par les éleveurs de chèvre justifiaient l'acte commis. Chacun est donc prêt à accepter une forme de violence en fonction des objectifs menés et de l'ampleur des actes. Quelles valeurs, quelle violence ? Une des frontières intangibles qui rend un acte inacceptable est la mort d'un homme. Pourtant, en reprenant l'exemple précité du meurtre par le résistant et le terroriste, cette violence extrême peut être avalisée, si elle est acceptée en fonction de certains critères, dont l'identité de la victime, et si elle est accomplie au nom de la Justice. Donner la mort peut même, dans certains pays (USA, Arabie Saoudite, Afghanistan…) signifier rendre justice ! Mais nous n'avons pas tous la même vision de cette dame aveugle. Ni de la paix. Chacun la souhaite, mais pas la même. Le Premier Ministre israélien Ariel Sharon n'a-t-il pas " appelé l'Occident, en particulier les Etats-Unis, à ne pas tenter de "s'entendre avec les Arabes aux dépens d'Israël" (AFP, 07/10/01) ? Par ailleurs, dimanche 7 octobre 2001, les frappes américaines sur le territoire afghan ont été qualifiées de " terroristes " par le régime des taliban, alors que l'objectif même de ces frappes était de déloger des " terroristes " ! Qui détient la Justice dans ces deux déclarations ? Selon Monsieur Verhofstadt, Premier Ministre du pays (Belgique) présidant l'Union Européenne, ces " opérations ciblées " (des USA) avaient un " caractère légitime ". Tony Blair, le Premier Ministre anglais, estimait quant à lui que " nous savons que parfois, pour sauvegarder la paix, nous devons combattre " Autre exemple, urbain cette fois-ci, de violence justifiée par l'autorité publique, l'application du système " tolérance zéro " du maire new-yorkais Giuliani est l'échange de la sécurité d'un groupe par la répréhension d'un autre. Pendant que la classe moyenne de New-York se félicite de rues devenues plus sûres , une violence systématique, légitimée, cible les groupes sociaux défavorisées (avec contrôles répétées, incarcération pour délit mineur, etc.). La perception de la guerre et de son pendant, la paix, tout comme la vision de la violence et de la justice, sont profondément liées à nos intérêts, nos références personnelles et socio-culturelles. Pour le combat citoyen, quelle contestation ? Depuis les événements de Goëteborg et de Gênes, la question que doit se poser la lutte pour une " autre mondialisation " est : jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour nos valeurs, notre combat ? Personne n'étant crédité pour parler au nom de la société civile, aucune réponse ne peut être donnée. Mais au-delà des condamnations aisées et médiatiquement porteuses de la violence, des pistes de violence (ou désobéissance) citoyenne sont tracées. Le héraut de cette " autre mondialisation " a lui même commis un acte appelé au choix " désobéissance civique ", ou " vandalisme ". Aux yeux de Monsieur Giuliani précité, Monsieur Bové aurait été grossir les rangs des taulards américains. Aux yeux de l'ensemble des mouvements, individus et associations qui se revendiquent de la société civile, l'action de l'éleveur de chèvres était justifiée par le mépris et l'agression que subissaient les producteurs de fromage de chèvre français. D'une certaine manière, José Bové répliquait au 'terrorisme' économique américain en démontant un de ses symboles. Qui, au sein des associations paysannes, qui de Greenpeace à Amnesty, en passant par les associations de consommateurs ou simples citoyens, a jugé cet acte " inacceptable " ? Ils furent peu. Le monde associatif est donc prêt à accepter une action radicale contenue, que les opposants libéraux identifieront comme " violence ". Accepter son obscurité Certes, la majorité des associations structurées comme les ONG ou les syndicats prennent leurs distances avec des mouvements plus belliqueux et développent des techniques de contestation pacifistes, dont le " sit-in ", ou la chaîne humaine. Le propos n'est pas de mettre ces manifestations d'une opposition sur le même pied que des actes ouvertement violents, comme la destruction systématique de banque ou autre symbole capitaliste. Au contraire, il s'agit d'établir une sorte de hiérarchie de violence et de tracer une ligne précise à ne pas franchir. Ce champ d'interrogations, de plus en plus investi par les gouvernements et les institutions désireuses de criminaliser l'associatif, l'identifiant comme un mouvement violent et anti-démocratique, doit être présent instiguer par les différents associations " autremondialistes ". A force d'être méprisés, voire persécutés lors des manifestations de grands sommets européens ou internationaux, des manifestants pacifiques risquent de basculer dans un choix plus radical de contestation, déçus par le peu d'écoute obtenu jusqu'à présent. Monsieur Riccardo Petrella ne disait pas autre chose en annonçant que " de nombreux représentants d'ONG admettent avoir perdu leur virginité démocratique, c'est-à-dire leur croyance dans la possibilité de lutter démocratiquement dans des pays démocratiques " . Si cette foi en un système démocratique vacille, les mouvements citoyens doivent dès lors donner des indications précises à leurs formes de manifestations, sous peine de participer à la confusion actuelle, où on ne sait plus qui est violent, qui est pacifiste, qui est pour la mondialisation et qui est pour la démocratie. Accepter sa forme de contestation, de violence (quels actes pour quelle lutte ?), la définir, la délimiter, et la revendiquer permettra au monde associatif d'éviter les confusions entre un mouvement organisé, mature dans ses opinions et ses voies pour les exprimer, et un mouvement peut-être tout aussi réfléchi et organisé, mais plus volontairement guerrier.