La répression lors des manifestations anti-mondialisation
Depuis quelque temps, toutes les manifestations anti-mondialisation ont donné lieu à une réaction policière disproportionnée : opérations policières musclées, arrestations massives, nombreuses accusations de participation à des attroupements illégaux, dont plusieurs se sont avérées non-fondées et ont été abandonnées par la suite, conditions abusives de remise en liberté ou de mise en liberté provisoire (interdiction de manifester, obligation de garder la paix et autres), etc.
Pour certains, cette répression serait justifiée car il s’agit de mater des petits casseurs ou autres faiseurs de trouble professionnels. Or, il n’en est pas ainsi, la répression peut toucher tous les manifestant-e-s. Comme écrivait Éric Desrosiers dans le Devoir du 27 octobre dernier au sujet de la manifestation du G-20, « Force est de constater qu’une grande part de la responsabilité des violents accrochages qui se sont produits lundi revient aux services policiers. Rappelons en effet qu’avant que la police ne sonne la charge, tout ce que l’on avait à reprocher aux quelques 500 manifestants était d’avoir barbouillé de craie et de peinture les trottoirs et la façade de l’hôtel Sheraton. Une demi-douzaine de cagoulards avaient peut-être également lancé deux ou trois cailloux dans des fenêtres et incendié un conteneur à déchets de peine et de misère. Loin de contribuer à réduire le degré de tension, le brutal assaut policier à coups de matraque, à jets de poivre de Cayenne et à charge de chevaux a littéralement mis le feu aux poudres, incitant les manifestants à répliquer avec tous les projectiles qui leur tombaient sous la main ».
La Ligue des droits et libertés se préoccupe fortement de cette intensification de la répression et des restrictions à la liberté d’expression des militants et militantes, à leur droit de manifester et de se faire entendre.
L’Assemblée générale des membres de la Ligue des droits et libertés, en juin 2000, a demandé que celle-ci exerce un rôle de vigilance quant à l’exercice des libertés fondamentales d’expression et de réunion pacifique et le respect des droits démocratiques lors des manifestations entourant le Sommet des Amériques compte tenu des violations nombreuses de ces droits et libertés lors de précédentes manifestations anti-mondialisation, notamment lors du Sommet de l’APEC et de Seattle pour ne nommer que les occasions où ces violations ont été solidement documentées par des organismes indépendants de défense des libertés civiles(note 1 ). Depuis, dans les derniers mois, un «groupe d’ex-manifestants de Windsor» et un organisme membre du Réseau québécois sur l’intégration continentale ont demandé à la Ligue d’agir dans le même sens.
Perspectives entourant le Sommet des Amériques
Du 20 au 22 avril se tiendra, à Québec, le 3e Sommet des Amériques, réunissant tous les chefs d’État des Amériques pour discuter de la création d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et de l’intégration continentale.
Plusieurs organisations ou regroupements ont annoncé la tenue de manifestations de protestation pendant le Sommet et dans les jours précédents. Certains de ces regroupements vont vouloir faire entendre un autre point de vue, dénoncer les effets injustes de la mondialisation ; d’autres ont annoncé vouloir bloquer la tenue du Sommet, soit par la désobéissance civile non-violente, soit, pour d’autres, par tous les moyens nécessaires. Certains organisateurs ont évalué le nombre de manifestants éventuels entre 5,000 et 20,000.
Les corps policiers pour leur part, (Service de police de Québec, Sûreté municipale de Sainte-Foy, Sûreté du Québec et GRC) ont annoncé publiquement qu’ils travaillaient en concertation pour l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan visant à assurer la sécurité du public, des dignitaires et des manifestants. Ce plan fera appel à 3000 policiers dans ce qui sera, selon certains officiers, « le plus grand dispositif policier mis en place dans l’histoire du pays » (Le Soleil, août 2000). Certaines mesures de sécurité ont été divulguées, telle la création d’un périmètre de sécurité et l’établissement d’une procédure d’accréditation pour les personnes résidant ou travaillant dans ce périmètre de sécurité, ainsi que la surveillance des organismes ou mouvements organisant les manifestations. Par ailleurs, ces corps policiers ont publicisé la mise en place de mécanismes de communications créés « dans un souci de transparence et d’ouverture à la population ». On a ainsi annoncé la nomination d’une porte-parole officielle, la création d’un site web, des rencontres fréquentes avec la presse et avec les organisateurs de manifestations.
La divulgation des mesures de sécurité a entraîné certaines réactions publiques immédiates. Ainsi le président du Syndicat de la fonction publique du Québec a dénoncé les entraves à la liberté de circulation des personnes, le manque de considération envers les citoyens et les atteintes aux droits démocratiques.
Dans la même période, le Service canadien de renseignement de sécurité(SCRS) a rendu public, sur son site web, un document d’analyse intitulé : « L’anti-mondialisation, un phénomène en pleine expansion » ( note 2 ). Il est mentionné que ce document « inspiré de sources ouvertes, porte sur un sujet susceptible de représenter une menace pour la sécurité publique ou nationale ». Partant de «la violence des manifestations qui ont perturbé la conférence de ministérielle de l’OMC à Seattle du 29 novembre au 3 décembre 1999», se basant sur des articles de journaux et revues, le document retrace le contexte et les cibles du mouvement anti-mondialisation, identifie les groupes et organisations qui animent ou influencent ce mouvement, leurs stratégies, leur utilisation des technologies de communication et leur mode de financement ainsi que les répercussions de ce mouvement au Canada.
La dernière partie du document s’intéresse aux perspectives du mouvement anti-mondialisation. On y conclut que la mondialisation continuera de donner lieu à des activités de protestations et des manifestations, dont l’ampleur et l’intensité varieront selon les circonstances ; que «la présence constante de policiers, la mise en place de barrières de sécurité, l’adoption d’autres dispositifs de contrôle des foules et le mauvais temps contribueront peut-être à réduire graduellement l’importance de certains rassemblements» mais que ces mesures provoquent parfois des réactions plus violentes encore parmi les éléments extrémistes «parmi les défenseurs des droits des animaux et les écologistes»; que des opposants à la mondialisation planifient des activités en prévision de certaines rencontres d’organisations internationales prévues au Canada, notamment le Sommet des Amériques d’avril 2001; que «compte tenu du discours violent dirigé à l’encontre de l’OEA, il n’est pas exclu que des actes violents puissent être posés à l’occasion de la réunion de Québec».
Plus près de nous, l’annonce avec éclat par le ministre de la Sécurité publique, M. Serge Ménard, de la réquisition de la prison d’Orsainville pour détenir les manifestants qui seraient éventuellement arrêtés et ses propos à l’effet que « Si tu veux la paix, prépare la guerre » ne peuvent que contribuer à une escalade de tension. La création d’un périmètre de sécurité englobant toute la vieille ville et à dimension variable est pour le moins préoccupante, de même que l’annonce de la réquisition des logements inoccupés et d’un mécanisme d’accréditation pour les résidents. Si la nécessité d’établir un périmètre de sécurité n’est pas questionnable, l’étendue de ce périmètre l’est. L’étendue de ce périmètre de sécurité doit être justifiée strictement par des considérations de sécurité et non, comme lors du Sommet de l’APEC, avec aussi la préoccupation d’éviter que les chefs d’État ne soient témoins des protestations. On ne peut laisser se créer une association dans l’esprit de la population entre manifestations et violence, car cela aurait pour conséquence, notamment, d’intimider les personnes désireuses de participer à des protestations publiques légitimes qui sont une composante essentielle de l’exercice de la démocratie.
Les principes guidant l’action de la Ligue des droits et libertés
Comme pour l’ensemble de son action, la Ligue s’appuie sur la Charte internationale des droits de l’homme, et sur les Chartes canadienne et québécoise dans la mesure où elles traduisent en droit interne les normes internationales. Les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association sont garanties par ces instruments internationaux et nationaux. Spécifiquement, les libertés d’expression et de réunion pacifique sont garanties par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 19 et 20) et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 19 et 21).
En droit canadien, les libertés d’expression et de réunion pacifique sont garanties par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés et l’article 3 de la Charte québécoise.
La Ligue doit veiller au respect de ces libertés fondamentales et dénoncer toute atteinte à ces droits constitutionnels. Si ces droits peuvent faire l’objet d’une certaine réglementation pour la protection du public ou l’accès aux lieux publics, ils ne doivent jamais être restreints pour des raisons de commodité administrative ou pour éviter des inconvénients quelconques. Il ne faut pas que les forces policières déterminent elles-mêmes les paramètres de l’exercice des libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique.
La liberté d’expression et la Cour suprême du Canada.
Pour la Cour suprême du Canada : « La liberté d’expression n’est toutefois pas une création de la Charte. Elle constitue l’un des concepts fondamentaux sur lesquels repose le développement historique des institutions politiques, sociales et éducatives de la société occidentale. La démocratie représentative dans la forme actuelle, qui est en grande partie le fruit de la liberté d’exprimer des idées divergentes et d’en discuter, dépend pour son existence de la préservation et de la protection de cette liberté » ( note3 ).
Jusqu’à maintenant, la Cour a donné une interprétation généreuse à la liberté d’expression en disant qu’elle sert une multitude de buts, couvre l’expression verbale et gestuelle, englobe tous les messages même les messages économiques, les messages impopulaires ou contestataires. Seule la violence ne serait pas couverte par la garantie constitutionnelle. Par ailleurs, non seulement le contenu du message est-il protégé mais également le véhicule de transmission du message, comme la langue, le piquetage, la distribution de tracts, l’affichage, le boycott, la manifestation de même que la liberté de presse.
Certaines restrictions à la liberté d’expression peuvent se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique. Ainsi, la Cour suprême a trouvé justifiées les restrictions suivantes : obscénité, propagande haineuse, libelle diffamatoire, interdiction de publicité destinée aux enfants. Par contre, les restrictions suivantes ont été jugées inconstitutionnelles : interdiction absolue d’affichage dans une ville, interdiction du piquetage ou du piquetage secondaire, interdiction pour les fonctionnaires de s’engager dans un parti politique, interdiction de distribuer des tracts dans les aéroports.
Elle devra se prononcer sous peu sur la constitutionnalité de l’infraction d’attroupement illégal prévue aux articles du code criminel. L’article 63 définit l’attroupement illégal comme « la réunion de trois individus ou plus qui, dans l’intention d’atteindre un but commun, s’assemblent, de manière à faire craindre, pour des motifs raisonnables, à des personnes se trouvant dans le voisinage de l’attroupement qu’ils ne troublent la paix tumultueusement ». Cette définition n’exige aucune preuve objective d’un trouble tumultueux de la paix, une simple crainte de la part de personnes dans le voisinage de l’attroupement est suffisante. Les forces policières peuvent, sans avis préalable, arrêter, détenir et inculper tout individu participant à une manifestation, même en l’absence de quelque geste de violence d’autres manifestants. Le seul fait d’être présent est suffisant pour être trouvé coupable. La constitutionnalité de cette disposition, à cause de son imprécision et de son caractère excessif, est attaquée devant les tribunaux un peu partout au pays et une cause a été portée devant la Cour suprême.
Les préoccupations spécifiques de la Ligue
L’effet dissuasif d’un dispositif policier massif sur l’exercice du droit de réunion et de manifestation pacifique
Il faut reconnaître la responsabilité des forces policières de mettre en place un dispositif important pour assurer la sécurité des chefs d’État ou autres membres du public lors du Sommet. On doit craindre toutefois la possibilité qu’un déploiement excessif et spectaculaire des forces policières ne vise pas uniquement à dissuader ceux qui voudraient utiliser la violence ou commettre des actes illégaux mais aussi, dans un souci de ne pas avoir de troubles ou d’éviter tout risque de confrontation, à dissuader nombre de citoyens désireux de participer à des manifestations pacifiques. Cette hypothèse se fonde notamment sur le rapport du SCRS comme nous l’avons mentionné plus haut. Par ailleurs, un tel déploiement massif de forces policières peut aussi contribuer à une escalade des tensions, puisque, comme l’affirme encore le rapport du SCRS, ces mesures provoquent parfois des réactions encore plus violentes.
Des interventions publiques délégitimant l’exercice du droit de manifestation
Le déploiement massif des forces de l’ordre pourrait s’accompagner d’interventions publiques, dans les médias, dont l’effet serait, en quelque sorte, de délégitimer l’exercice du droit de manifestation. C’est ce qu’on a vu lors de l’Assemblée générale de l’OEA à Windsor. D’une part, il y a eu la publication dans les grands journaux de Toronto d’articles par des diplomates ou ex-diplomates canadiens prenant à partie les organisateurs de manifestations au motif qu’ils «se trompaient de cible» puisque «l’OEA est une organisation vouée au renforcement de la démocratie et des droits humains dans les Amériques» comme si l’OEA n’avait rien à voir avec le processus d’intégration continentale. Ces interventions pouvaient certes être considérées comme l’expression d’opinions favorisant un sain débat public sur la nature et le rôle de cette organisation. Toutefois, il était pour le moins troublant de constater leur coïncidence dans le temps avec les déclarations des porte-paroles des forces policières et de la ville de Windsor mettant fortement l’accent sur les risques de violence de la part des manifestants attendus. Le climat créé par ces déclarations était fidèlement reflété dans le principal journal de Windsor, le Windsor Star, qui, la veille de l’ouverture de la réunion de l’OEA, publiait une photo d’une escouade anti-émeute in full gear, occupant près du tiers de la première page, avec comme vignette : «Windsor est prête pour les manifestants ».
S’il ne faut pas être naïf et reconnaître que certains individus et certains groupes se préparent à utiliser tous les moyens, y compris la violence, pour manifester leurs vues sur le Sommet des Amériques et la ZLEA, il est évidemment hautement préjudiciable à l’exercice du droit de manifester que de laisser se créer, à l’instigation consciente ou non des forces policières ou des autorités politiques, l’image publique d’une association entre protestation et violence. La plupart des manifestations anti-mondialisation, tenues jusqu’ici au Canada ou ailleurs, ont consisté en des protestations pacifiques, même si parfois remuantes. Il convient d’ailleurs de spécifier que le recours à un langage vigoureux est à distinguer de la violence et que le code criminel ne sanctionne pas l’impolitesse.
La tenue du 3e Sommet des Amériques et les négociations des ententes relatives à la création d’une ZLEA soulèvent des enjeux de fond aux plans social, économique, politique et culturel. Les médias assument, en ce sens, un rôle important pour que le droit à l’information du public soit garanti. La couverture des événements entourant la tenue du Sommet et le traitement de l’information doivent ainsi éviter le sensationnalisme, qui s’est parfois exprimé lors de rencontres internationales du même genre, comme nous l’avons illustré plus haut. C’est de cette façon que la portée et le sens des diverses manifestations légitimes et pacifiques devraient être mises en perspective par les médias.
Des mesures de sécurité excessives portant atteinte au droit de manifestation
Les forces policières responsables de la sécurité pour le Sommet des Amériques ont déjà annoncé la création d’un périmètre de sécurité et la mise en place d’un système d’accréditation pour toutes les personnes travaillant ou résidant dans ce périmètre. La nécessité d’établir un périmètre de sécurité n’est pas questionnable, mais l’étendue de ce périmètre l’est. L’étendue de ce périmètre de sécurité doit être justifiée strictement par l’objectif d’assurer la sécurité des participants au Sommet des Amériques et le respect du droit de réunion dont ils bénéficient aussi et non simplement par la volonté d’éviter que les chefs d’État ne soient gênés par les manifestations de protestations, comme cela a été le cas lors du sommet de l’APEC. Les manifestants doivent pouvoir non seulement attirer l’attention du public, mais aussi faire entendre leurs protestations à ceux à qui elles sont destinées. Lorsque les limites du périmètre de sécurité seront mieux connues, il importera de voir si elles ont été établies étroitement à des fins de sécurité ou pour écarter les manifestations et les réunions pacifiques. Il faudra être très vigilant à cet égard car les autorités policières ont déclaré en conférence de presse que ce périmètre sera « plus ou moins large selon la menace identifiée ». D’autre part, il faudra s’opposer aux mesures visant, comme l’a déclaré récemment la porte-parole des forces policières, à «minimiser les rassemblements» (Voir,12-18 octobre). À Vancouver, les forces policières avaient établi, sans aucun fondement légal, des «zones de manifestation» limitées même en dehors du périmètre de sécurité alors qu’à Seattle, les autorités municipales avaient adopté un décret transformant tout le centre-ville en «no protest zone» Le processus d’accréditation des résidents et travailleurs est aussi fortement contestable car il constitue des entraves aux droits à la liberté et à la liberté de circuler garantis par les chartes et les documents internationaux.
L’assimilation de formes légitimes et légales d’expression et de manifestation à des actes illégaux et d’actes pacifiques à des actes violents
Comme l’ont démontré autant les événements du Sommet de l’APEC que du Sommet de l’OMC, les forces policières ont tendance à assimiler certaines formes imaginatives ou dérangeantes d’exercice de la liberté d’expression à des actes illégaux ou violents. Le rapport du SCRS témoigne de la même approche : «Certains, parmi les plus agressifs, escaladent les immeubles ou d’autres structures élevées ou organisent des sit-in ou accrochent des banderoles pour attirer l’attention ». Quand, dans ce rapport, la pose de banderoles n’est pas assimilée à un geste agressif, elle est quand même considérée comme un obstacle, sinon une menace à la sécurité. Ainsi, lors du Sommet de l’APEC, la police a enlevé des banderoles le long du parcours du défilé motorisé sous prétexte qu’elles limitaient la visibilité des forces de sécurité, elle a obligé des manifestants à se départir de leurs pancartes sous prétexte qu’elles pouvaient être utilisées comme projectiles, alors que la distance entre le défilé et les manifestants rendait cela impossible.
En somme, les forces policières sont enclines à traiter sur le même pied les formes pacifiques et légales de la liberté d’expression et de manifestation et les gestes illégaux ou violents. Tout le monde est dans le même panier. D’où parfois une répression qui «déborde ». Il y a sans doute lieu d’interpeller publiquement les dirigeants des corps policiers responsables de la sécurité pour le Sommet des Amériques sur la nécessité de faire les distinctions qui s’imposent et de s’assurer du respect des libertés civiles. Cette interpellation peut servir aussi à alerter la population sur ces questions.
L’utilisation d’une force excessive par les corps policiers et les actes de brutalité policière
Au Sommet de l’APEC comme au Sommet de l’OMC à Seattle, l’utilisation d’une force excessive par les forces policières a été bien documentée par des organismes comme le B.C. Civil Liberties Union ou l’American Civil Liberties Union. Bien que dans les deux cas, les manifestations aient été très largement pacifiques, les responsables policiers ont autorisé l’utilisation de la force à des niveaux disproportionnés et injustifiables. Ils ont autorisé l’utilisation de poivre de Cayenne, de matraques, de gaz lacrymogène et même, à Seattle, de balles en caoutchouc, contre des personnes qui manifestaient paisiblement, contre des personnes qui n’avaient pas reçu de sommation de la police ou qui essayaient d’y obéir, ou encore contre des spectateurs. Des personnes qui ne posaient aucun danger pour la sécurité publique ou celle des officiers de police ont été arrosées de poivre de Cayenne de façon répétée. Lors d’arrestations de manifestants, des policiers se sont livrés à des voies de fait ou à des actes de brutalité.
Les arrestations et les détentions illégales ou arbitraires
Lors des manifestations anti-mondialisation, la police a procédé à de nombreuses arrestations illégales, sans mandat d’arrestation ou sans qu’il y ait eu d’infraction permettant l’arrestation sans mandat, par dizaine à Vancouver, par centaines à Seattle. Plusieurs personnes soupçonnées d’être des «leaders» ou des organisateurs des manifestations ont été arrêtées pour cette seule raison. La police a détenu pendant plusieurs jours, alors même que les événements étaient terminés, des personnes qu’elle n’avait aucun motif de soumettre à procès et contre lesquelles les accusations furent abandonnées. Les accusations maintenues furent rejetées par les tribunaux ou ne menèrent pas à des condamnations dans la plupart des cas.
Un grand nombre de personnes arrêtées furent maltraitées lors de leur détention, particulièrement celles demandant à voir un avocat ou désirant exercer leurs droits constitutionnels. À Vancouver, les personnes arrosées au poivre de Cayenne n’ont pas reçu les soins appropriés, les femmes arrêtées ont été soumises à des fouilles abusives, la majorité des détenus n’ont pas reçu une nourriture adéquate et ont été entassés en trop grand nombre dans les cellules; le droit à l’avocat n’a pas été respecté dans plusieurs cas; plusieurs des personnes détenues ont été relâchées dans des conditions difficiles (loin en banlieue, par exemple) ou sous des menaces d’être arrêtées à nouveau si elles tardaient à s’éloigner.
Une surveillance injustifiée et illégale / Le harcèlement avant les manifestations
À Vancouver, au moins un cas précis de surveillance injustifiée et illégale, c’est-à-dire ne reposant pas sur la commission d’un acte criminel ou une information fiable à l’effet qu’un acte illégal allait être commis, a été documenté. Cette surveillance a d’ailleurs débouché sur une arrestation arbitraire. D’autres cas de surveillance ont été rapportés sans qu’on puisse les vérifier. On peut supposer, sur la base de l’expérience antérieure, que de telles situations ont été relativement nombreuses.
Par ailleurs, de nombreuses personnes ont rapporté avoir été questionnées ou fouillées dans les jours précédant les manifestations ou en route pour celles ci. Des policiers auraient donné des contraventions et même procédé à des arrestations en «fabriquant» des accusations d’entrave à la circulation, notamment.
Bien que la question soit différente, il faut signaler aussi le harcèlement et le comportement discriminatoire de la police à l’endroit de journalistes de la presse « alternative ». À Vancouver, deux d’entre eux se sont fait retirer leur accréditation pour le Sommet de l’APEC parce qu’ils avaient démontré trop de sympathie pour les manifestants.
En conclusion
La Ligue des droits et libertés :
Réaffirme l’importance de l’exercice des libertés fondamentales d’expression et de réunion pacifique, car elles sont le fondement de tout système démocratique ;
Souligne que des restrictions ou limitations motivées par des impératifs politiques, économiques ou de commodité administrative sont inacceptables dans une société libre et démocratique ;
Est fortement préoccupée de l’intensification de la répression et des restrictions à la liberté d’expression des militants et militantes, à leur droit de manifester et de se faire entendre ;
Considère que les dispositions du Code criminel, les articles 63 et 66 portant sur l’attroupement illégal, sont des violations de la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique, en plus de nier les principes de justices fondamentales en criminalisant la simple présence sur les lieux d’une assemblée, dans le contexte de l’absence de trouble tumultueux ;
Réprouve toute forme de violence ;
Compte tenu des violations nombreuses de ces droits et libertés lors de précédentes manifestations anti-mondialisation, la Ligue exercera un rôle de vigilance quant à l’exercice des libertés fondamentales d’expression et de réunion pacifique et le respect des droits démocratiques lors des manifestations entourant le Sommet des Amériques.
Références
note 1 Nous faisons particulièrement référence au rapport de l’American Civil Liberties Union of Washington intitulé « Out of Control : Seattle’s Flawed Response to Protests Against the World Trade Organization » ainsi qu’au rapport du British Columbia Civil Liberties Association soumis au RCMP Public Complaint Commission au cours de l’enquête sur les agissements de la gendarmerie royale lors du Sommet de l’APEC en 1997. Ces deux textes sont disponibles sur les sites web de ces organismes.
note 2 Rapport No 2008/08, daté du 22 août 2000.
note 3 T.U.A.C. c. K Mart Canada Ltd, [1999] 2 R.C.S. 1083.