Il est de bon ton aujourd’hui, dans quasiment tous les milieux, d’être anti-Américains, comme on est d’ailleurs, anti-Israéliens. Ces deux Etats représentent aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique la force dominatrice qui écrase les peuples opprimés, et qui veulent à tout prix imposer leurs lois, celles du plus fort. Politique qui, selon leurs détracteurs, mène au désespoir et au suicide les plus faibles. Et tant pis pour eux s’ils sont la cible des terroristes, « Ils n’ont que ce qu’ils méritent ». Un sniper qui abat à coups de fusil près d’une dizaine d’Américains, cela n’émeut plus aucun occidental, comme d’ailleurs les corps calcinés d’Israéliens dans l’attentat de ce lundi à Pardess Hanna. Fini les sentiments, la compassion, les larmes. Des faits, rien que des faits, des chiffres, rien que des chiffres, pas davantage pour ces pays qui « donnent et qui vivent avec la mort». « Ils n’ont que ce qu’ils méritent ». L’anti-américanisme primaire me fait penser un peu à ce chômeur qui se moque du chef d’entreprise qui crie au voleur et à qui l’on vient de dérober sa BMW dernier modèle. Il ne se sent en rien concerné par ce vol qui, en quelque sorte, le console de sa misère. Qui plus est, Il va presque comprendre le malfaiteur, en espérant qu’il est, lui aussi, plongé dans le besoin. Et puis « quelle idée d’étaler sa richesse, il n’a que ce qu’il mérite ». Mais voilà, le monde n’est pas aussi carré et stéréotypé, le pauvre, l’opprimé innocent, le riche, l’oppresseur. Comme dirait Sammy Nacéri (vous savez, celui qui croit toujours qu’à Djénine il y a eu des milliers de morts palestiniens), pour promouvoir son dernier film « La Mentale » : « Nous voulons montrer qu’il existe des brigands propres, des gangsters qui pillent et dépouillent sans tuer ». Ben voyons, du moment où l’on n’assassine pas, on peut se permettre de faire l’apologie des truands et des malfaiteurs honnêtes qui ne volent que les riches, « que ceux qui le méritent », des Arsène Lupin bien sympathiques, des scientifiques qui auraient troqué leurs fusils à lunette pour des claviers d’ordinateurs plus propres mais tout aussi ravageurs et à qui l’on donnerait le démon sans confession. Décidément, il est de bon ton aujourd’hui d’être du côté des voleurs, des sans-papier, des hors-la-loi, des opprimés, des kamikazes désespérés. Dans ce registre, l’Amérique et Israël, « ces va-t-en-guerre », sont les cibles idéales avec « leurs missiles, leurs F16, leurs dollars, leur Coca, leurs Mac Donalds et leurs cultures transgéniques ». Leurs détracteurs y perdent un peu leurs repères et leur boussole, étoiles à cinq, étoiles à six branches, que leur importe, elles sont toutes sous le même drapeau, celui du tout répressif ou du tout-agressif. Il est de bon ton aujourd’hui d’être du côté d’Arafat plutôt que de celui de Sharon, de Saddam Hussein plutôt que de George W. Bush et pourquoi pas, des voleurs de banlieues plutôt que de Sarkozy. S’il en est ainsi, je veux bien être ringard, désuet, démodé, de mauvais ton, et être du côté de Sharon, de Bush ou de Sarkozy, et tant pis pour ma notoriété, mon étiquette de pacifiste et mon image d’homme tolérant. Je suis un passionné d’Israël, un amoureux de l’Amérique, un fervent d’une France sécurisée. Je veux garder mes repères : un kamikaze est un meurtrier sans pitié, un Etat qui abrite et subventionne le terrorisme est un Etat terroriste, il n’y a pas de gangsters propres et sympathiques, il faut appeler un chat, un chat. Celui qui se défend n’est pas forcément un criminel, celui qui assassine n’est pas toujours désespéré, je ne me réjouirai jamais lorsque un policier est à terre. Et que l’on arrête de me répéter que ceux qui comptent leurs morts, ce sont ceux « qui n’ont que ce qu’ils méritent ». Aujourd’hui, les kamikazes sont si inhumains et dévastateurs, que nous n’avons même plus la consolation de compter nos morts, tant ils ne sont que fumée. Que ceux qui osent me dire « qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent», viennent sentir l’odeur de la chair brûlée des victimes innocentes du World Trade Center, de Bali, des carcasses fumantes des bus de Tel-Aviv ou de Pardess Hanna en Israël et essaient de reconstituer les corps déchiquetés de femmes ou d’enfants. S’ils ne reconnaissent personne, demain ce seront peut-être les restes d’un père ou d’un frère qu’ils chercheront en vain, et c’est à ce moment-là qu’ils sauront que les terroristes ne frappent pas toujours « ceux qui le méritent ».