Alors que les USA préparent leur guerre contre l’Irak, en Belgique, le mouvement contre cette guerre est secoué par un débat énergique. Beaucoup se demandent «Pourquoi diable les pacifistes se font-ils la guerre maintenant?».

En effet, deux manifestations sont organisées, autour de deux plates-formes différentes:
Le 10 novembre, coordination / plate-forme STOP.USA [ www.stopusa.be ]
Le 17 novembre, coordination / plate-forme ASSEZ! [ www.motherearth.org/nowar/ ]

Mais les apparences sont trompeuses: il ne s’agit pas d’une querelle de chapelle, d’une compétition ou de réglements de comptes personnels. Le débat actuel est une question de contenu: des différences majeures existent entre ces deux plates-formes, même si elles n’apparaissent pas tout de suite, différences qui donnent un contenu très différents aux deux manifestations.

»» Si l’on s’arrête au slogan, les deux plates-formes se ressemblent (plus ou moins)

Stop the United States of Aggression
Pas de guerre contre l'Irak
Arrêtez les bombardements
Levée de l'embargo contre l'Irak
Aucune ingérence étrangère
Un Etat palestinien maintenant
Soutien à la résistance du peuple palestinien
Pas de guerre contre l'Iraq
Aucune participation Belge ou Européen
Arrête tous les armes de destruction massif dans le monde entier
Pas d'embargo
Paix et justice en Palestine
Application du droit international par tous les pays
Pas de guerre pour le pétrole
France et Angleterre: droit de veto


»» Mais déjà à ce niveau, a y regarder de plus près, on remarque des différences assez marquées:


Outre des différences de formulations qui masquent de différences de conception ( «Un Etat palestinien maintenant» ne permet aucune interprétation, là où «Paix et justice en Palestine» est assez interpretable ) on voit déjà deux optiques se dessiner:
STOP.USA revendique «Aucune ingérence étrangère», en opposition radicale aux politiques néo-coloniales et au paternalisme, alors que ASSEZ! en appelle au «droit international» et va jusqu’à réclamer «France et Angleterre: droit de veto » !

En fait cette revendication est un soutien direct aux politiques gouvernementales et européennes, qui réclament plus de pouvoir (et une armée d’intervention) pour pouvoir mener une politique étrangère propre. Cette politique sera-t-elle tellement différente de celle des USA? Certainement pas beaucoup, elle utilisera les mêmes moyens pour conquérir les mêmes objetifs. La seule chose qui changera sera ceux qui en profiteront.
Au contraire, STOP.USA rejette cette vision occidentale et paternaliste, en s’opposant à l’ingérence et en affirmant un soutien à la résistance populaire.

»» Ce qui compte, c'est la plate-forme

En jettant un bref coup d’oeil aux seul slogans, on apperçoit déjà les différences fondamentales. Mais en lisant attentivement les plates-formes, c’est à dire les textes qui sont les déclarations politiques des coordinations, ces différences apparaissent de manière plus nette.

»» Où est passé la Palestine?

Mais il faut commencer par signaler ceci: dans le cas de ASSEZ! les slogans ont étés rajoutés après les vives critiques faites contre le texte de la plate-forme. Ce qui explique certaines étrangetés: certaines revendications des slogans ne se trouvent pas dans la plate-forme, ce qui est un comble! Contrairement au slogans, on n’y trouve pas un mot sur la question de la Palestine et la revendication «France et Angleterre: droit de veto» n’y est pas expliqué ni même mentionnée! Très fort.

Les textes complets des plates-formes
pour lire dans les textes originaux



STOP.USA [ 10 nov. ]
[ texte »]



ASSEZ! [ 17 nov. ]
[ texte »]


»» La phrase qui a le plus fâché:

« Il convient de prendre des mesures qui allègent la vie de la population irakienne. Ce n'est que de cette façon que l'agressivité montante vis à vis du monde occidental peut s'amenuiser. »

Cette phrase, conclusion de la plate-forme de ASSEZ!, est assez ... choquante, en fait.
- on n’appelle plus du tout à une véritable solution mais à des «mesures qui allègent la vie de la population irakienne».
- mais ces mesures dans le plus pur style “emplâtre sur une jambe de bois” n’ont pas comme base les droits du peuple irakien, mais la peur d’un sentiments anti-occidental! [sic]
En pourrait traduire ça par: “faisons un peu d’humanitaire, histoire que les victimes du (néo-)colonialisme ne se révoltent pas contre l’Occident”

A cette phrase, les iniateurs de STOP.USA ont répondu quelque chose comme «Mais les peuples ont raison de se révolter contre l’Occident et son colonialisme et nous devons les supporter». Ce sont là des positions diamètralement opposées.

La plate-forme ASSEZ! contient aussi des contradictions troublantes, on peut y lire:
«Les inspecteurs de l'ONU ont déclaré en 1998 que l'Irak ne disposait plus de la capacité militaire nécessaire pour être un réel danger pour la paix dans le monde.» puis, quelques lignes plus bas: «Seules des inspections internationales en désarmement [...] peuvent amener une solution à la menace d'une attaque irakienne potentielle.»

L’Irak n’a pas la possibilité de s’armer, mais il faut la désarmer. Formellement, la plate-forme s’oppose à la guerre et à l’embargo, mais défend les arguments des USA pour justifier la guerre, car comment imposer des inspections supplémentaires [et inutiles] sinon par la guerre?

La plate-forme STOPUSA met également partciculièrement l'accent sur le rôle du pétrole, et pointe Bush et le USA d'une manière assez ... offensive.

»» Des différences fondamentales

Les différences entre les deux plateformes sont en fait l’expression profondes de deux conceptions du monde et de la lutte contre la guerre:
STOP.USA appuie les luttes populaires, et est représenté par des personnes comme Roberto D’Orazio, symbôle de la lutte ouvrière ou Diab Abou Jahjah, figure de l’immigration arabe qui lutte pour ses droits.
ASSEZ! appuie le droit international et compte sur le gouvernement belge pour arrêter la guerre.

»» Une nouvelle situation, un débat positif

Celà marque un changement dans le mouvement pour la paix, et plus générallement les mouvements sociaux en Belgique. Jusqu’ici il y avait toujours une volonté de réunir les grandes ONGs et les organisations plus radicales, populaires et anti-capitalistes. Aujourd’hui la situation a changé, pour plusieurs raisons, comme le bilan tiré après D14 [manifestation contre le sommet européen de décembre 2001], la très forte mobilisation contre l’occupation de la Palestine au printemps 2002, etc ...

La proximité des grandes ONGs avec les partis gouvernementaux, leur volonté d’être en bon terme avec les institutions pour permettre le lobbying creuse le fossé entre elles et les organisations de base, en lutte ouverte avec l’ordre établi.
La situation est aujourd’hui plus claire entre les différents courants et opinions. Le résultats ne s’est pas fait attendre: il y a maintenant un véritable débat, beaucoup plus ouvert, dans lequel chacun/e doit prendre position.
Celà ne peut que être positif pour le mouvement pour la paix.

Il y aura deux manifestations contre la guerre en Irak en novembre, mais ni le mouvement contre la guerre, ni le débat ne s’arrêteront là.

[ articles déjà parus + débats sur www.indymedia.be » ]

.