Robert Hatem (Cobra) Il n'est ni un intellectuel, ni un penseur, ni un universitaire. Il ne se prévaut même pas d'un titre de chercheur ou de politologue. Robert Hatem, plus connu sous le nom de Cobra (son surnom pendant la guerre du Liban) se présente comme l'homme qui, durant vingt ans, fut « l'ombre », « le chien de garde », « l'homme à tout faire », et accessoirement « le souffre-douleur » de Elie Hobeika. Cobra a rencontré Hobeika en 1975, au tout début de la guerre du Liban. Le premier était un milicien de base engagé dans la résistance chrétienne (qui ne s'appelait pas encore Forces Libanaises). Le second était alors un petit chef aux ambitions démesurées. À force de manigances, de coups bas et de dérives sanglantes, Hobeika est devenu chef des Forces Libanaises (anti-syriennes), dissident, puis, en 1990, ministre et pilier du gouvernement libanais pro-syrien. Et, pendant toute cette époque, Cobra, l'homme de confiance, a aveuglément suivi son maître, lui obéissant au doigt et à l'œil, accomplissant ses basses œuvres, et dissimulant fidèlement tous les documents et autres preuves pouvant nuire à celui dont il était devenu l'esclave consentant. Jusqu'en 1996 quand, écoeuré par des magouilles financières qu'il couvrait (sans recevoir de contrepartie), l'homme de confiance s'est révolté. Il détenait des preuves : Hobeika a décidé de l'éliminer. Cobra a donc pris la fuite, avec ses précieux documents, hors du Liban. Et il s'est attelé à la rédaction de ce témoignage, dont une première version a été publiée en anglais, en 1999, avant donc l'assassinat de Hobeika (janvier 2002). Le livre fut aussitôt frappé d'interdit par la censure libanaise LE LIVRE « Dans l'ombre d'Hobeika… en passant par Sabra et Chatila » Auteur : Robert Hatem (Cobra) Editeur : Jean Picollec Nombre de pages : 256 Prix : 24 € Par Marwan Haddad contact@proche-orient.info Non, Ariel Sharon n'est pas coupable des massacres de Sabra et de Chatila. Le 15 septembre 1982, lendemain de l'assassinat de Bachir Gemayel, Sharon avait présenté ses condoléances à la famille du président élu du Liban, puis tenu une réunion à laquelle participaient les hauts responsables des Forces libanaises et de l'État-major israélien. C'est là qu'il fut décidé de hâter l'entrée de Tsahal à Beyrouth-Ouest, et de « nettoyer » les camps de Sabra et Chatila qui abritaient deux mille terroristes palestiniens. « Nettoyer » signifiait, dans l'entendement de Sharon, évacuer les combattants palestiniens et les livrer vivants à l'armée israélienne, dans son QG installé à la Cité Sportive de Beyrouth. Le commandant des Forces libanaises, Fady Frem, avait refusé d'entraîner ses troupes dans le coupe-gorge des camps : trop dangereux. Son lieutenant, Elie Hobeika, décidait alors « d'y aller » en rassemblant deux cents hommes armés et drogués, dont les commandos de Maroun Machaalany, ses troupes de choc. Sur place, le 16 septembre, en fin d'après-midi, Hobeika lançait son mot d'ordre : « Extermination totale ». Avant de rejoindre le QG israélien où, au deuxième étage, l'attendait un Sharon écumant de rage : « Tu n'étais pas censé faire ça ! »… Vrai ? Faux ? Ce témoignage, très détaillé, est en tout cas fort troublant. Comme d'ailleurs l'ensemble de cet ouvrage qui raconte, vues de l'intérieur, toutes les années de la guerre du Liban et celles qui ont suivi la pax syriana, soit la période allant de 1975 à 1996. Chaque affirmation est étayée de noms, de dates, de faits, et d'une quantité de documents - dont plusieurs sont reproduits en annexe. Pendant toutes ces années, Cobra a été le témoin privilégié d'une sale guerre, l'ombre attitrée de celui qui en fut l'un des seigneurs, et que chacun savait être un homme plus corrompu que la moyenne, agent syrien infiltré dans les rangs de la résistance chrétienne, parti de rien pour devenir en peu de temps (et sans activités connues) l'une des plus grosses fortunes du Liban. Robert Hatem lui-même était considéré comme un personnage peu fréquentable, et il ne cherche d'ailleurs pas à se blanchir. Tout juste regrette-t-il son aveuglement qui lui fit accomplir les pires horreurs sans état d'âme. Au Liban, pendant les années de guerre, on le connaissait sous son seul surnom de Cobra. Et chacun savait qu'il valait mieux ne pas se trouver sur son passage. Après lecture de ce témoignage, on sait au moins pourquoi… L'homme ne s'embarrasse pas de considérations politiquement correctes. Il livre en vrac ses souvenirs qui se mêlent à l'histoire du Liban. Et, du coup, il soulève des lièvres et brise des tabous. Par exemple ? Les liens entre Israël et la résistance chrétienne (un épisode qui s'est curieusement effacé de toutes les mémoires libanaises). Le rôle actif de la Syrie, commanditaire des attentats qui ont visé plusieurs personnalités, chrétiennes et musulmanes (Sélim Hoss, Tony Frangié, Bachir Gemayel, Dany Chamoun…), et les noms des agents ayant perpétré ces actes. Ou encore la constitution de mafias, toujours actives pour certaines, et à côté desquelles les hommes de la Cosa Nostra font figure d'enfants de chœur. Le livre est dédié « à tous nos camarades martyrs tombés au champ d'honneur, et à tous les jeunes Libanais qui ont sacrifié leur vie pour que vive le Liban ». Emportés par leurs idéaux, ceux-là n'avaient rien compris à la guerre des chefs dans laquelle ils étaient embarqués…