International
Russie : Le code du travail en débat
Le 21 décembre dernier, le débat sur un nouveau code de travail devait entrer à la Douma. Le code actuel, soviétique, est dépassé, à tel point que l’Inspection du travail enregistre quelques millions de violations de ses normes chaque année. Quatre projets sont sur la table, dont deux bien plus puissants en termes de rapports de force que les autres. Analyse.
Il s’agit, d’une part, du projet gouvernemental, ultra-libéral, proposé par le Ministère du Travail, et, d’autre part, de celui du KPRF (Parti Communiste de Guennadi Ziouganov) et d’OVR (Patrie-Toute la Russie, le parti de Loujkov et Primakov), signé en outre par des députés de « l’Union des Forces de droite et deux « députés du peuple ».
Le 14 novembre dernier, l’hebdomadaire Moscovskie Novosti (les Nouvelles de Moscou) publiait un débat entre Michaïl Dmitriev, principal instigateur du premier projet, vice-ministre du travail en 1998 et actuellement premier adjoint du ministre du Développement économique et du Commerce, et Andreï Issaev, vice-président du Comité parlementaire au travail et à la politique sociale, membre d’OVR, leader de « l’Union du travail » (un détachement politique de la Fédération des syndicats indépendants de Russie), le principal idéologue du projet numéro deux. Nous vous proposons ici quelques extraits de ce débat. Eclairant…
Andreï Issaev: Par « souplesse », le gouvernement entend la possibilité pour les employeurs de résilier les contrats de travail à durée indéterminée et de largement recourir à l’emploi à court terme. A l’heure actuelle, on ne peut licencier une personne engagée de façon permanente que pour des fautes sérieuses, pour des motifs précisément définis par la législation. Si l’on prend la décision de réduire les effectifs, les licenciés bénéficient de toute une série de garanties : il faut les prévenir deux mois à l’avance, leur payer des allocations et les aider dans leur recherche d’un nouvel emploi. Ces garanties disparaissent dans la variante gouvernementale du code.
On y permet en outre la transformation de pratiquement tous les contrats à durée indéterminée en contrats à durée déterminée et donc le maintien du travailleur dans une situation instable : va-t-on oui ou non renouveler son contrat en fin d’année? D’autant plus que les employeurs peuvent refuser de prolonger non pas parce qu’il a mal travaillé, mais parce qu’il n’a pas plu au manager. Cette législation renforce le droit des employeurs à l’arbitraire.
Michaïl Dmitriev : C’est aujourd’hui que l’arbitraire règne en maître dans les relations de travail. Dans un contexte de marché, personne ne respecte une législation non marchande.
A.I. : Il y a deux façons de répondre à cette violation massive, sans limite, des droits des travailleurs. La première : voter un Code du Travail qui défende ces droits et se batte pour leur respect. La deuxième, plus simple, est recommandée par le gouvernement et consiste à légaliser « l’absence de limites ».
M.D. : Le gouvernement essaie simplement d’accorder la législation avec les normes de l’économie de marché. Des procédures effectives de licenciement existent dans tous les pays développés. (…) Rappelons-nous le milieu des années 90. La chute de la production a pratiquement réduit à zéro le taux d’occupation de la population active. Les gens se rendaient à l’entreprise mais n’ont pas touché de salaires normaux pendant des années. Aujourd’hui dans le pays, on assiste à une ascension en flèche de la production. (…) L’occupation a augmenté de trois pour cent !
Cependant, dans ce contexte de transition, personne ne peut prédire le futur, savoir à quel point la croissance sera stable. Et les employeurs sachant qu’ils ne pourront, en cas de nécessité, renvoyer du personnel, craignent d’embaucher. Ils préfèrent signer des contrats à durée indéterminée et mettre à profit le système des heures supplémentaires (…).
A.I. : Le Code du Travail gouvernemental ne limite cependant pas le droit des employeurs à faire travailler les employés plus que ne le prévoit la loi. Faciliter le licenciement favorise une augmentation de l’exploitation. Le nouveau code fixe la journée de travail à huit heures mais autorise les 12 heures « sur déclaration du travailleur ». Et cela sans qu’aucune rémunération supplémentaire ne soit prévue (…).
Contraindre le travailleur à « vouloir » travailler non pas 40 heures mais 56 heures par semaine n’est pas bien compliqué dans une petite ville où, sur cinq entreprises, une seule fonctionne.
M.D. : C’est un faux danger. Les entreprises n’auront pas besoin d’allonger artificiellement la journée de travail si elles peuvent facilement engager et licencier des travailleurs supplémentaires.
A.I. : Le gouvernement veut dynamiser l’économie en sacrifiant les droits des travailleurs. Pourtant, la productivité est supérieure et l’économie plus efficace là où la journée de travail compte huit heures, si pas sept ou six, là où les droits des travailleurs sont défendus et où on lui propose de sérieuses garanties sociales, comme en Allemagne ou dans les pays scandinaves.
M.D. : Dans ces pays, le chômage est deux à trois fois plus élevé qu’aux Etats-Unis où la législation du travail est plus flexible et les garanties sociales bien moindres. Voulons-nous que la Russie répète le modèle de l’Europe de l’Ouest : un taux de chômage élevé dans une économie normalement développée ?
A.I. : C’est précisément le code gouvernemental qui fonde les prémisses d’une augmentation du nombre de chômeurs. Au lieu de chercher les possibilités d’une croissance effective de la production, les employeurs suivent le chemin d’une diminution drastique des effectifs. Or, si la production augmente à certains endroits, beaucoup de régions et de branches de l’industrie traversent une profonde dépression.
M.D. : Il faut y garantir la mobilité de la force de travail et attirer des investissements pour créer de nouveaux lieux de travail. Pour la mobilité, il est indispensable de disposer d’un marché du logement mais cela ne relève pas du Code du Travail. (…)
A.I. : La recherche d’investissements pour créer de nouveaux lieux de travail et augmenter la mobilité des travailleurs n’en est qu’au stade de la planification. En attendant, des centaines de milliers de sans-emploi apparaîtront dès que le Code gouvernemental entrera en application. Qu’adviendra-t-il dans la Région d’Ivanovsk, où les fabriques de tissage licencieront deux tiers des travailleurs ?
M.D. : Probablement une intensification de la migration de la force de travail vers les régions voisines. Les gens se rapprocheront des centres offrant de plus en plus d’emplois. En particulier autour de Moscou. S’il n’y a aucun endroit pour vivre, ils prendront l’électrique (train de banlieue).
A.I. : Les personnes sans travail sont inadaptées socialement et représentent une menace à la stabilité de la société, à l’ordre public.
M.D. : Ce n’est pas parce qu’ils ont une place, sans salaire, qu’ils deviennent plus enclins à respecter l’ordre. Il est bien qu’actuellement la dette des salaires se réduise. Mais si le principe de l’interdiction du licenciement perdure, les non-paiements des salaires pourraient redevenir la norme. (…)
A.I. : Le gouvernement prévoit aussi de priver les travailleurs de garanties qui ne coûtent rien aux employeurs. Par exemple, une femme ne pourra plus s’occuper de son enfant pendant trois ans tout en conservant sa place. Même les employeurs ne protestent pas contre ce dû.
M.D. : Ils ne protestent pas parce qu’ils l’ignorent. Il n’est pas réaliste qu’un employeur du secteur privé « garde » une place pendant trois ans et garantisse un retour au travail avec les même conditions de salaire. A quoi bon prévoir dans la législation des normes irréalistes qui provoquent leur non-respect ? Nous prenons une autre voie : prévoir dans la loi un renforcement de l’aide à la maternité et à l’enfance par le fonds d’assurance sociale. Il s’agirait entre autres d’augmenter de manière significative les moyens donnés pour la mère pendant la période d’arrêt de travail et de prolonger son congé payé.
A.I. : Dans le projet gouvernemental, on élimine toutes les procédures de co-décision avec les syndicats sur les problèmes concernant les intérêts des travailleurs. Au lieu de l’accord, on prévoit la consultation. (…)
M.D. : Le syndicat ne doit avoir aucune responsabilité en ce qui concerne les aspects économiques de l’activité de l’entreprise et la possibilité de licenciement pour des motifs économiques, principale condition pour le succès d’une telle loi. Pour le moment, le droit des syndicats revient à un veto. C’est du non-sens.
A.I. : Mais il faut distinguer les activités financière et de propriété de celle liée au climat social de l’entreprise, aux relations de travail. Comme le montre l’expérience des pays développés, les décisions concernant les intérêts des travailleurs doivent obligatoirement être prises en accord avec leurs représentants légaux. Nous proposons une variante de compromis qui donnera la possibilité de régler normalement les conflits de travail. Si le syndicat ne donne pas son accord à une réduction des effectifs, le refus devra être écrit et fondé, de façon à ce que l’employeur puisse obtenir son annulation devant les Cours.
Et la journaliste de Moscovskie Novosti de conclure, à la fin du débat : Le code libéral proposé par le gouvernement a les moyens de dégourdir notre faible économie. Il est cependant probable qu’une partie significative de la société russe ne soit pas prête à approuver un remède à ce point radical contre la dépression. Le fait que sous le code alternatif se retrouvent les signatures de membres de groupes de députés les plus divers témoigne du fait que l’affaire ne relève pas de l’idéologie mais de la psychologie sociale. Le pouvoir, assoiffé de changements rapides, cherchera-t-il un compromis avec les partisans des méthodes conservatrices, ou tentera-t-il le coup de force pour faire passer son propre projet à la Douma ? Dans ce dernier cas de figure, il est impossible de savoir qui l’emportera. Et il est peu probable que la version dure accélèrera la réforme des relations de travail : un projet non consensuel louvoiera entre premières et deuxièmes lectures à cause de la volée d’amendements initiés par les différentes parties. Dans tous les cas, la Russie devra vivre encore quelques années avec son vieux code. Le plus souvent en le violant.
En attendant, les méthodes « kremliniennes » de pression sur la Douma et ses députés sont tristement célèbres. En outre, la population, peu convaincue de l’effectivité des lois en général, ne semble pas mesurer les enjeux d’une telle décision. A Moscou, le 1er décembre dernier, de 100 à 150 personnes seulement ont répondu à l’appel des syndicats venus manifester leur rejet du projet gouvernemental.
Nathalie MELIS
Le referendum n’aura pas lieu
Le 29 octobre, la Commission électorale centrale a annoncé son refus d’entériner la demande de référendum des écologistes russes (lire Avancées, décembre 2000). Sur les 2.490.042 signatures rassemblées (selon les dernières données de Greenpeace), la Commission n’en a reconnu que 1.873.216. Selon la Constitution, il en faut 2 millions pour que la demande soit examinée par le Président. Selon Greenpeace Russie, les motifs du refus étaient des plus formels : absence de la mention de la Région du signataire (les listes avaient été triées sur une base régionale), absence de date…
Pour rappel, suite à la suppression, au printemps dernier, du Comité de protection des Forêts et du Comité étatique à l’Ecologie, et alors que depuis le début de l’année le projet de loi destiné à légaliser l’import des déchets nucléaires revenait plus fort que jamais sur la table de la Douma, les verts s’étaient mobilisés pour envoyer un geste clair au Kremlin.
Ils ne nourrissaient que peu d’espoirs quant au résultat, étant donné les méthodes du pouvoir et les intérêts en jeu. Mais ils ne sont pas près de baisser les bras. Dès le lendemain du verdict, les verts expliquaient qu’il était tout à fait imaginable qu’un maximum de signataires lésés contestent la décision devant les Cours. D’autant plus que les Commissions électorales régionales, chargées d’une première vérification, ont entériné plus de 2 millions de signatures.
En attendant, le pouvoir a continué l’offensive anti-écolo en créant, de façon indirecte bien sûr, un mouvement écologique anti-référendum, dont la première assemblée se serait tenue le 22 novembre. A la tête du sommet, on retrouvait des lobbyistes connus du Minatom, des députés et… un écologiste célèbre. Le hic, c’est que ce dernier, dès qu’il a appris la nouvelle, a envoyé une lettre aux médias assurant que non seulement il n’était pas présent à ladite assemblée mais qu’en outre il refusait totalement de faire partie de cette initiative, qu’il qualifie « de nouvelle tentative de division des écologistes »…
Nathalie MELIS