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Papous d’Indonésie:
Jakarta réprime durement les sécessionnistes papous

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe: Theys Eluay, le leader du mouvement indépendantiste papou, celui-là même qui n’a de cesse de réclamer un dialogue pacifique avec les autorités indonésiennes, a été jeté en prison, avec plusieurs autres dirigeants papous! Les militaires indonésiens quadrillent les grandes villes, tuent des manifestants; un climat de guerre civile s’est abattu sur l’Irian Jaya - Papouasie occidentale…

La tension est très vive dans ce territoire du bout du monde, que certains auteurs se complaisent naïvement à décrire comme un pays vivant à l’âge de pierre. Si quelques-unes des 250 ethnies qui peuplent la Papouasie occidentale ont gardé un mode de vie très traditionnel, cette prodigieuse mosaïque ethnique est aujourd’hui plus que jamais confrontée au monde moderne: pillage de ses ressources en or, cuivre, gaz, pétrole, déforestation et répression… Depuis la conquête de leur pays par les Indonésiens en 1963, les Papous, sans défense, sont pris dans le tourbillon d’une mondialisation qui ne leur offre qu’un statut de marginaux.

Faisant face à l’exploitation de leurs richesses et aux violations des droits de l’homme dont ils sont quotidiennement l’objet (lire Avancées n° 87 et 92), les Papous ont structuré un mouvement très organisé et efficace visant à obtenir l’indépendance.

Le Foreri, Forum pour la réconciliation de la société irianaise formé le 22 juillet 1998, joue un rôle coordinateur fondamental dans la recherche pacifique d’une solution à ce problème. Deux autres structures sont symptomatiques de l’évolution du mouvement papou: le PANEL, qui regroupe 501 membres et qui fonctionne comme un embryon d’assemblée législative, et le Présidium, 31 membres, organe suprême et exécutif du peuple papou. Le 4 juin dernier, 3.000 délégués papous, intellectuels, prêtres ou chefs tribaux déclaraient publiquement leur volonté sécessionniste à l’issue du congrès de Jayapura, capitale de la province. Depuis, des centaines de manifestations indépendantistes, jusque dans les vallées les plus isolées, se sont déroulées dans le plus grand calme, avec l’assentiment tacite du président indonésien, Abdurrahman Wahid. Ces manifestations étaient néanmoins ressenties comme autant de provocations par les colons indonésiens et les forces de l’ordre, très attachés à l’idéal d’une nation unie, aujourd’hui menacée de désintégration.

Dès la fin du mois d’août, des renforts militaires étaient acheminés en Irian Jaya. Parmi ces renforts, 700 Kopassus, les terribles troupes de choc, tristement célèbres à l’époque de Suharto pour avoir massacré et torturé les populations civiles au Timor oriental et en Aceh (Sumatra).

Le 6 octobre, à Waména, dans la cordillère centrale, la police voulut décrocher le drapeau de l’Etoile du Matin, le symbole indépendantiste papou. Les Papous ont voulu s’y opposer, arguant du fait que le président indonésien autorise l’utilisation de ce drapeau. Les policiers ont alors ouvert le feu, abattant plusieurs personnes. Ce qui ressemble fort à une provocation policière a déclenché une vague de violence. Les Papous, armés d’arcs et de flèches, ont déferlé sur la ville, incendiant des bâtiments et tuant au moins 25 Indonésiens… En représailles, renouant avec les méthodes de l’ère Suharto, des Papous ont été arrêtés et torturés. Le 1er décembre, les militaires ont à nouveau durement réprimé plusieurs manifestations, à Merauke et à Fakfak, faisant huit victimes et arrêtant plusieurs leaders papous - dont Theys Eluay.

Les militaires indonésiens semblent vouloir marquer un coup d’arrêt aux velléités d’indépendance et en finir avec les Satgas et Pasukan Koteka, milices indépendantistes papoues qui quadrillent le pays. Le commandant des Satgas est en prison et le quartier général de cette milice, installé dans un centre culturel de Jayapura, a été «évacué». Depuis ces évènements, la tension est à son comble. Les Papous ont riposté en menant une attaque de nuit sur un poste de police à Abepura, à quelques kilomètres de Jayapura, tuant deux policiers et dévastant le marché contrôlé par des migrants indonésiens musulmans.

Dans la foulée, les Indonésiens ont fait une rafle sur le campus universitaire voisin, arrêtant et battant sévèrement une centaine d’innocents… Ori Dorongi, 19 ans, a été battu à mort par la police. Des témoins affirment avoir vu des étudiants poignardés, battus par la police jusqu’à ce que leur visage soit totalement détruit.

Fait très inquiétant, les forces de l’ordre refusent d’obéir au président Wahid qui leur a demandé de relâcher les leaders papous emprisonnés, dont Theys Eluay. L’armée est-t-elle en passe de reprendre le pouvoir dans cet immense pays de 210 millions d’habitants?

Ces dérapages montrent que tous les éléments d’une conflagration majeure sont réunis et font craindre un bain de sang. Il reste à espérer que les appels des dirigeants papous en faveur du dialogue soient entendus par l’Occident et par les démocrates indonésiens. Si la répression aveugle continue, le désespoir gagnera inévitablement la population papoue, et le Foreri risquerait fort de ne plus être écouté. La situation deviendrait alors incontrôlable… Reste à savoir si un nouveau foyer de guerre civile ne ferait pas le bonheur des militaires, éternels «pompiers-pyromanes», toujours prompts à déstabiliser le déjà très affaibli président Wahid.

Ernst LELONG

ICRA INTERNATIONAL