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Brésil : Persécution des travailleurs ruraux

Répression des Sans-Terre, criminalisation des mouvements populaires, coupes sombres dans les budgets sociaux, sabotage du processus de réforme agraire... Au lendemain des excellents résultats électoraux engrangés par le Parti des Travailleurs et à la veille du Forum social mondial qui se tiendra à la fin du mois à Porto Alegre (voir par ailleurs), la situation reste toujours aussi difficile au Brésil – et particulièrement pour les paysans. Rencontre avec Jelson Oliveira, secrétaire exécutif de la Commission pastorale de la Terre (CPT) de l’Etat du Paraná, au Sud du Brésil.

 

Quelle est la politique économique suivie actuellement par le gouvernement brésilien ?

Le Brésil vit depuis quinze ans une inflation extrêmement forte qui a provoqué une crise sociale et économique sans précédent. Or, le gouvernement du président Cardoso, soutenu par le monde capitaliste, suit une politique néolibérale concrétisée par les privatisations d’organismes publics et des coupes scandaleuses dans les budgets de l’éducation, de la santé et des programmes de réforme agraire.Actuellement, au Brésil, sous la présidence de Fernando Enrique Cardoso, il n’y a pas de place pour les pauvres. La politique brésilienne est complètement soumise aux politiques de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) et au poids de la dette extérieure. Le Brésil s’endette encore pour rembourser les intérêts de sa dette... On peut estimer que notre pays a déjà payé l’équivalent d’une fois et demi sa dette extérieure en taux d’intérêt !

Quelles sont les conséquences de cette politique sur la vie des paysans sans terre ?

D’une part, le gouvernement développe une politique de «réforme agraire assistée par le marché» basée sur la loi de l’offre et de la demande, qui tend à remplacer les processus de redistribution de la terre qui avaient été mis en place par la Constitution de 1988. D’autre part, le gouvernement, qui prétend prendre en compte les revendications des travailleurs, a réduit le budget de l’Institut national pour la Colonisation et la Réforme agraire (INCRA) pour les années 1998-2000 de 208 millions de dollars et a investi ces moyens financiers dans le Fonds d’amortissement de la dette publique.L’INCRA, affaibli et au service des grands propriétaires fonciers, prétend qu’il ne dispose pas des fonds nécessaires pour octroyer des crédits aux petits paysans ou aux personnes qui ont reçu une terre dans le cadre de la réforme agraire. Au Brésil, aujourd’hui, on compte 630 cas d’occupation de terres par 85.000 familles qui attendent des terres pour y vivre et y travailler. Au lieu d’installer ces familles en expropriant des terres appartenant à de grands propriétaires, le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour saper la base sociale des travailleurs.

De quelle manière ?

Les gouvernements fédéraux et fédérés ont commencé à criminaliser, à opprimer et à poursuivre les familles des travailleurs pour lesquelles la terre est le seul espoir de pouvoir vivre dans la dignité. Cette année, le nombre d’assassinats a diminué (7 personnes sont mortes dans des conflits pour la terre) mais le nombre de personnes emprisonnées a augmenté d’une manière dramatique (258 personnes au total, dont 7 sont toujours en prison).En outre, des menaces, des actes de torture et de harcèlement, des attaques et des expulsions forcées ont eu lieu tout au long de cette année. Tout récemment encore, le 16 novembre précisément, un paysan du MST, le mouvement des Sans-Terre, Sebastiaõ Maya, a trouvé la mort lors d’une expulsion dans l’Etat du Parana. Cette politique répressive a pris une ampleur telle que la Conférence nationale et épiscopale du Brésil (CNBB) et l’Association brésilienne d’avocats (OAB) se sont retirées des négociations en cours entre le gouvernement et les travailleurs, négociations dans lesquelles elles avaient un rôle de médiateur. Ces organisations ont exprimé leurs préoccupations concernant la position très ferme du gouvernement et les nombreuses tentatives de criminalisation des mouvements sociaux. Selon elles, cela peut mener à créer un climat favorable à la violence et à l’oppression au sein de l’opinion publique. Le gouvernement affirme pour sa part que la situation n’est plus sous son contrôle et que, en conséquence, il a l’obligation d’empêcher à tout prix le renforcement des mouvements populaires dans le pays. D’une part, l’oppression s’aggrave et, d’autre part, la mobilisation sociale autour du thème paysan augmente.

Quelle est l’alternative défendue par les paysans sans terre ?

Tant que le gouvernement dévalorise l’agriculture paysanne et fait marche arrière dans le processus de réforme agraire, il mène le pays au sous-développement, à la soumission et à la dépendance externe. Pour le moment, la résistance et la lutte des travailleurs constituent les seuls instruments pour faire face à ce système basé sur la concentration et l’exclusion.Nous revendiquons un changement profond de la structure foncière du pays, par exemple en imposant une superficie maximale des terres pouvant appartenir à une personne ou à une famille. Nous cherchons également à sensibiliser et à impliquer tous les citoyens à notre lutte. Tout d’abord parce que les campagnes ont toujours nourri les villes. Ensuite, parce que les problèmes de l’exode rural et de l’expansion des banlieues pauvres des grandes villes brésiliennes sont aussi directement liés au manque de politiques de développement des espaces ruraux.Donner une terre, c’est-à-dire une source de revenus, aux cinq millions de familles sans terre serait également un moyen de relancer l’économie nationale. Nous revendiquons également le droit à l’éducation et à la santé de ces communautés. En ce sens, il s’agit d’une lutte globale.Enfin, nous développons une vision moderne de lutte pour les droits des paysans sans terre. Notre projet est ainsi porté par une vision modernisatrice de la campagne, notamment par l’introduction des nouvelles technologies ou de cultures alternatives (agriculture biologique, plantes médicinales traditionnelles, ...).

C’est cette position que vous défendrez lors du Forum mondial social qui aura lieu à Porto Alegre ?

La CPT participera au groupe de discussion sur la terre lors de ce Forum. C’est évidemment ce discours-là que nous tiendrons. Il sera également intéressant de pouvoir comparer notre expérience avec celles de paysans d’autres pays.

Les résultats des récentes élections au Brésil permettent-ils d’espérer un changement positif ?

Le parti des Travailleurs (PT) a remporté les élections locales dans de nombreuses villes en octobre passé. L’électorat a donc sanctionné les politiques suivies jusqu’ici par les partis traditionnels. De nombreux scandales de corruption et de narcotrafic avaient également terni l’image des hommes politiques au pouvoir. Mais si le PT est le parti qui s’est le plus engagé en faveur des revendications des paysans sans terre, je ne suis pourtant pas démesurément optimiste.

Pourquoi ?

Il s’agissait d’élections municipales. Or, à ce niveau, les responsables politiques ont peu de compétences en matière de réforme agraire. En outre, selon nous, la politique de réforme agraire doit être une politique fédérale. Parce qu’il s’agit d’une lutte qui nous concerne tous, mais aussi parce que, au niveau local, les hommes politiques sont soumis à de très fortes pressions de la part des grands propriétaires terriens... La lutte pour la réforme agraire est donc toujours d’actualité.

Propos recueillis par Anne VEREECKEN, Foodfirst Information & Action Network (FIAN-Belgium)