Cité

Pour une vraie réforme fiscale !

En octobre 2000, le gouvernement arc-en-ciel avalisait la réforme fiscale proposée par le ministre des Finances, Didier Reynders, réforme touchant à l’impôt des personnes physiques. Cette réforme reçut un satisfecit de la part du Parlement. Les deux syndicats, favorables à une vraie réforme fiscale, apportant davantage d’égalité entre les revenus du travail et du capital, ont mis l’accent sur les aspects pervers de cette réforme. L’Appel des Six Cents estime qu’elle accentue encore la nature profondément injuste et inégalitaire du système fiscal. Analyse.

 

La réforme fiscale

Les allégements d’impôts proposés, d’un montant global de 134,5 milliards (près de 11% du produit annuel de l’impôt des personnes physiques), devraient s’étaler jusqu’en 2006. Les premiers effets de ces allégements d’impôts ne se feront sentir qu’en 2002, sur la déclaration d’impôt de 2001.

Cette réforme, qui comprend à la fois une baisse des impôts sur les personnes et la suppression de discriminations fiscales entre couples mariés et cohabitants, veut augmenter par ce biais le revenu disponible des ménages. Elle a de ce fait reçu un satisfecit de la classe politique et un accueil positif de l’opinion publique.

Après 20 ans de politique d’austérité, de blocage salarial, de manipulation de l’index et de réduction du pouvoir d’achat (depuis 1980, la part des rémunérations des salariés dans le revenu national a diminué de 15%), le moindre ballon d’oxygène est certes le bienvenu. Il est même perçu comme un dû, dans le contexte de reprise économique, de flambée des profits des grandes entreprises (dans plusieurs pays de l’Union européenne, ils ont atteint pour le premier semestre 2000 le niveau de l’ensemble de l’année 1999), d’explosion des grandes fortunes.

Mais, à y regarder de plus près, cette réforme est loin de combler les attentes légitimes. Bien au contraire, elle accentue encore la nature profondément injuste et inégalitaire du système fiscal et met davantage encore en péril la fonction redistributive de l’Etat, sa capacité de financement des services publics. D’abord, cette réforme ne fait que relâcher un peu la pression sur le pouvoir d’achat et profitera surtout aux plus hauts revenus.

Un gain moyen de crédit d’impôt de 20.000 francs par an est prévu pour les revenus nets imposables jusqu’à 650.000 francs par an. Quelque 700.000 personnes, dont les revenus sont trop faibles pour être imposés, verront ce solde de crédit d’impôt prendre la forme d’un petit complément de revenu. Près de 83% des contribuables, dont les revenus nets imposables se situent entre 650.000 et 1.140.000 francs, bénéficieront d’un gain moyen de crédit d’impôt de 7.500 francs par an, grâce à l’adaptation des barèmes fiscaux.

Le véritable cadeau fiscal touche les revenus supérieurs à cette deuxième tranche, pour lesquels la réforme fiscale supprime les taux d’imposition de 52,5% et de 55%, les plafonnant dorénavant à 50%. Ce sera un gain moyen évalué à 35.000 francs par an pour environ 200.000 contribuables. Tribune, le périodique de la CGSP, a publié un tableau de la baisse des impôts en fonction du revenu. Ainsi, pour un revenu imposable de 3 millions, la baisse d’impôt sera de 47.750 francs; pour un revenu de 4 millions, 97.750 francs; pour 5 millions, 147.750 francs et pour 6 millions de revenu imposable, la baisse sera de 197.750 francs.

Philippe de Buck Van Overstraeten, administrateur-délégué de Fabrimétal, la puissante organisation patronale, s’en montre reconnaissant: Nous approuvons la démarche. Et, pour nous, le fait que cette réforme bénéficiera essentiellement aux hauts revenus est tout aussi positif.

L’injustice fiscale

Les mesures séduisantes sur la baisse des impôts des personnes physiques tentent d’occulter l’injustice fiscale: la défiscalisation des grandes entreprises, la quasi-absence d’impôts sur les patrimoines financiers et les revenus qui en résultent. Elles cherchent à accréditer et amplifier les mesures politiques en cours: le blocage des salaires (la norme salariale), la contraction des dépenses publiques pour les besoins sociaux, la privatisation des services publics ou encore la diminution continuelle de la quote-part patronale à la sécurité sociale.

Déjà, l’investissement public en Belgique est à 50% de la moyenne européenne. Pour arrêter la dégradation des services collectifs, il faudrait un refinancement important du secteur public et donc une augmentation des rentrées fiscales.

Aussi, la baisse des impôts sur les petits et moyens revenus doit-elle être compensée par une hausse de l’impôt sur les entreprises et les grosses fortunes. On est loin du compte! La Belgique reste un paradis fiscal pour les multinationales. L’impôt sur les bénéfices des sociétés est en principe de 40%. Mais l’impôt effectif ne dépasse guère 20%, grâce à l’ingénierie fiscale et les multiples possibilités légales de dégrèvements. Pour les firmes multinationales, c’est le pactole: via leurs «centres de coordination», elles ne paient que 1% à 2% d’impôt (soit quelque 45 milliards de francs en moins, chaque année, dans les caisses de l’Etat!), alors que leurs bénéfices n’ont fait qu’augmenter ces dernières années (pour l’année 1998 déjà, le montant total des bénéfices des entreprises s’élevait à 1.541 milliards, soit une progression de 23,6% par rapport à l’année 1997).

De plus, le gouvernement «arc-en-ciel» a renforcé le dispositif de réduction structurelle des cotisations patronales à la sécurité sociale, mis en place par le précédent gouvernement, sans obligation de création d’emploi en retour: une enveloppe supplémentaire de 32,4 milliards, soit une réduction de 32.000 francs en moyenne par travailleur et par an. Le gouvernement a déjà laissé entendre qu’il doublerait ce cadeau à l’horizon 2002.

La Belgique reste également un paradis fiscal pour les grosses fortunes. Aujourd’hui, les 10% des Belges les plus fortunés possèdent la moitié de toutes les richesses du pays et ce sont eux qui paient le moins d’impôt. Les patrimoines mobiliers (financiers), c’est-à-dire les dépôts bancaires, les comptes-titres, les bons de caisse, les actions, les obligations, sicav... et les revenus de ces patrimoines (plus-values boursières, etc.) échappent quasi totalement au fisc. Tout simplement parce qu’ils ne sont pas connus, donc pas recensés. En Belgique, il n’existe pas de cadastre des patrimoines mobiliers. Or ces biens composent aujourd’hui les deux tiers des fortunes. Résultat? Le précompte mobilier a rapporté moins de 90 milliards de francs à l’Etat belge en 1999. Au total, l’impôt sur le capital a drainé 126 milliards de francs vers le Trésor, à comparer à un impôt global de 2.698 milliards. Une misère, évidemment!

La Belgique reste un des derniers pays de l’Union européenne où les organismes financiers ne sont tenus à aucune obligation de communication au fisc des comptes bancaires et leurs titulaires. Secret bancaire! La Belgique est un des derniers pays qui ne connaît pas la moindre forme d’impôt sur la fortune. Même le Luxembourg applique un tel impôt pour ses ressortissants.

 

Levée du secret bancaire!

Dès lors, la levée du secret bancaire (accompagnée de la suppression des titres au porteur et des limitations imposées au pouvoir d’investigation des administrations fiscales) est un préalable, d’abord pour établir un cadastre des patrimoines mobiliers et favoriser ainsi la transparence sur les flux financiers. C’est également une mesure indispensable pour intensifier la lutte contre la fraude fiscale (plus de 600 milliards par an!) et la criminalité organisée, pour permettre également une plus juste perception de l’impôt, sur base des revenus et des patrimoines.

Cette mesure – la levée du secret bancaire – permettant la mise en place d’un cadastre des fortunes et un impôt sur celles-ci, peut être prise, sans attendre une «harmonisation européenne». C’est ce que rappelle une note commune de la FGTB et de la CSC parue avant le vote sur la réforme fiscale: La FGTB et la CSC sont conscientes que certaines avancées ne pourront se faire qu’à l’échelle européenne. L’Union européenne ne peut toutefois pas toujours servir d’alibi: certaines mesures peuvent être prises à l’échelle belge pour assurer une meilleure connaissance de certains revenus et, par ce biais, une meilleure contribution de ces revenus aux recettes de l’Etat. Et de citer, parmi ces mesures, la suppression du secret bancaire fiscal, de même que la suppression des actions et autres titres au porteur.

Alors, va-t-on se résigner à attendre 2010 pour voir la levée généralisée du secret bancaire au niveau européen? C’est ce que viennent de préconiser les ministres de l’Economie et des Finances des Quinze (Ecofin). Et encore, cet accord dépendrait du bon vouloir de la Suisse et d’autres «paradis fiscaux» de collaborer avec l’Union européenne!

A la rencontre des besoins sociaux

Ces mesures devraient logiquement entraîner une réduction substantielle de la pression fiscale sur les couches de la population les moins riches, qui paradoxalement supportent le plus gros de l’effort en ce qui concerne la perception de l’impôt. En effet, le budget de l’Etat est alimenté par l’impôt sur les revenus connus par le fisc, essentiellement les revenus des salariés, appointés, allocataires sociaux, communiqués automatiquement à l’administration des impôts.

Ces mesures devraient être accompagnées d’une défiscalisation accentuée de l’épargne populaire, générée par le travail.

Les recettes fiscales supplémentaires, liées à une plus grande justice fiscale, permettraient bien évidemment à l’Etat de mieux rencontrer les besoins sociaux, d’assurer un secteur public performant, de garantir à chacun(e) un revenu minimum individuel décent, de mener une politique d’accueil digne d’un pays démocratique, etc.

Ce sont les 10% les plus riches de ce pays (dont la fortune moyenne est estimée à 60 millions de francs) qui empochent la plus grosse part des intérêts de la dette publique (quelque 700 milliards par an, soit plus du quart du budget total de l’Etat!). Véritable système de cocagne où le gouvernement aide les rentiers à placer leur épargne avantageusement plutôt que de taxer la richesse! Selon les estimations, un impôt de 1% sur le patrimoine des 10% les plus riches rapporterait 136 milliards par an (année de référence: 1997). De quoi financer une série de besoins sociaux!

 

Ensemble sur des objectifs communs!

L’Appel des six cents (aujourd’hui plus de 10.000 personnes des milieux syndicaux, associatifs, culturels, académiques, politiques) porte ces propositions, en liaison avec le mouvement ATTAC. Les deux organisations syndicales avancent également ces mesures fiscales. La CSC nationale lance une campagne pour une fiscalité plus juste, avec une pétition demandant au gouvernement de ne plus prendre pour prétexte l’Europe ou le monde entier, pour justifier des dispositifs typiquement belges, qui empêchent de mettre davantage à contribution les patrimoines. C’est pour cette raison que dans notre pays, une action doit être entreprise en vue de supprimer le secret bancaire et de mettre en place un cadastre des fortunes. La pétition propose également le remplacement des titres au porteur par des actions nominatives et un impôt sur les plus-values boursières.

La FGTB s’est également prononcée à maintes reprises pour la levée du secret bancaire, un cadastre des fortunes et un impôt sur celles-ci. L’occasion se présente donc pour une campagne commune des deux organisations syndicales.

En juillet 2000, Ecolo lançait une lettre et un questionnaire relatifs au secret bancaire, soulignant qu’aucune de ces mesures (un cadastre des patrimoines, un impôt exceptionnel sur les grandes fortunes...) ne pourra être mise en place et ne sera vraiment efficace, sans une disposition préalable: faciliter la levée du secret bancaire.

En juillet 2000, la Belgique occupera la présidence de l’Union européenne, et cela pour six mois. Une belle occasion pour une campagne commune pour une fiscalité juste. Il y va d’un véritable débat de société, d’un débat sur la répartition de la richesse sociale et sur son utilisation.

Denis HORMAN

Animateur de l’Appel des Six Cents