arch/ive/ief (2000 - 2005)

De jeunes médecins irakiens s'organisent pour le droit à la santé
by Bert Debelder Tuesday, Aug. 09, 2005 at 4:02 PM

Le Dr Salam Ismail, jeune chirurgien orthopédiste irakien, est secrétaire général de l'association - jeune elle aussi - 'Médecins pour l'Irak'. Dr Geert Van Moorter a fait la connaissance du Dr Salam à Bagdad. Médecine pour le Tiers Monde l'a invité du 18 au 22 juillet 2005 à la People's Health Assembly en Equateur pour témoigner des conséquences de la guerre et de l'occupation dans son pays.

De jeunes médecins i...
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Devant quelque 600 auditeurs venus de 80 pays, le Dr Salam a raconté ce qui s'était passé à l'hôpital de Hadeeth, une petite ville où il travaillait à l'ouest de l'Irak: "Le 7 mai, une voiture piégée a explosé pas très loin de l'hôpital. Les troupes américaines organisaient dans cette région l'opération militaire 'Matador', et l'explosion était dirigée contre un convoi US. Mais l'hôpital a été touché lui aussi. Pendant cinq jours, les militaires US ont fermé hermétiquement Hadeeth. Ils prétendaient que les insurgés se trouvaient dans la clinique. Ils ont entouré l'hôpital et ont tiré à l'intérieur avec des grenades sonores. Ils ont coupé l'électricité, et des tireurs d'élite ont commencé à tirer dans le tas. Ils criaient par mégaphone qu'ils allaient tirer sur tout ce qui bougeait, et ils ont effectivement tué un homme. Après minuit ils ont envahi l'hôpital. Ils ont détruit tout le matériel médical, et ont fait sauter pratiquement tout ce qu'ils rencontraient. Une de leurs balles a tué un patient, Saeed Jabbar, 35 ans. Les autres patients ont dû quitter leur lit et se frayer un chemin vers une place plus sûre. Les troupes US ont incendié aussi le magasin de la clinique. Le dépôt a brûlé pendant neuf heures, et plus de 300.000 dollars d'équipement médical et de médicaments ont été brûlés …"

Dr Salam a ajouté que probablement 150.000 civils irakiens sont déjà morts à cause de la guerre et de l'occupation, dont deux médecins de son propre 'Doctors for Iraq Society'. Il a terminé son témoignage avec le constat que la santé ne sera possible en Irak que s'il y a la paix, si l'occupation s'arrête. Et il a appelé à l'engagement, avec une allusion à cet autre grand médecin, Che Guevara.

Nous sommes allés rendre visite au Dr Salam pour une interview supplémentaire.

Dr Salam, d'où viennent vos positions fortes contre l'occupation US?

Dr Salam: "D'abord je veux souligner que je ne suis pas un politicien. Je ne suis membre d'aucun parti politique, je suis un médecin indépendant, et ma loyauté appartient seulement au peuple irakien. Après deux ans d'occupation américaine, je vois partout dans mon pays des gens dans la misère. Même les droits humains les plus élémentaires sont bafoués, et cela n'est même pas documenté. En tant que médecin je dois dire que je préfère l'Irak d'avant la guerre à celle d'aujourd'hui. A cette époque là, j'avais au moins les moyens de travailler en tant que chirurgien, maintenant il n'y a plus rien du tout. Il y a une corruption sans limite, une détérioration du niveau de l'enseignement scientifique, privatisation des soins de santé,…"

Il y a quelques rapports indépendants, extérieurs concernant l'état de la santé en Irak, comme celui du Dr Geert Van Moorter, Dahr Jamail, rapporteur de l'ONU, Jean Ziegler,…

Dr Salam: "Et encore heureux, parce qu'en ce moment en Irak même, il n'y a aucune instance qui fait des statistiques de la santé. Il n'y a pas d'étude sur la mortalité. Le ministère irakien de la santé refuse de faire ce genre d'enquêtes. Mais permets-moi d'éclairer encore quelques problèmes spécifiques, qui n'ont pas ou ont été insuffisamment abordés dans les rapports que tu cites.

D'après tous les rapports, les soins de santé en Irak sont littéralement pris pour cible

Dr Salam: "Exact. Le droit du patient au libre accès aux soins de santé est souvent violé. Les troupes d'occupation tirent sur les ambulances, font des raids sur des hôpitaux, détruisent les appareils médicaux et tuent même des patients dans leur lit d'hôpital. Pendant le siège de Fallujah beaucoup de malades et de blessés sont morts parce qu'aux check-points ils n'ont pas eu l'autorisation d'aller à l'hôpital.
Nous, médecins, travaillons dans la plus grande insécurité. En 2004 seulement, il y a eu au moins 71 médecins tués. Des centaines quittent le pays, dont beaucoup de spécialistes avec de l'expérience. Le très renommé spécialiste Dr Talib Khairullah a été obligé de quitter l'Irak parce qu'il aurait été membre un jour du parti Baath.
Les troupes américaines et l'armée irakienne rentrent impunément dans les cliniques et intimident ou maltraitent le personnel hospitalier. En décembre 2004, des soldats irakiens ont frappé quatre médecins dans l'hôpital Al Yarmouk de Bagdad. Début 2005 des militaires irakiens sont entrés dans l'hôpital Général Bakoba, à l'est du pays. Ils ont frappé un médecin et arrêté un autre. Des médecins qui protestaient, ont été frappés aussi."

Mais vous essayez de réagir. Parlez-nous un peu sur votre organisation en Irak?

Dr Salam: "Après l'invasion américaine quelques médecins ont jugé qu'il fallait d'extrême urgence unir leurs forces et d'aider les gens qui souffrent sous l'occupation. En octobre 2003, nous avons fondé l'association 'Médecins pour l'Irak'. Au début, nous avions deux sections, avec en tout 99 membres. Une section s'est braquée sur la recherche scientifique et la formation, en mettant entre autres à disposition des étudiants et des jeunes médecins des livres médicaux et des cours. L'autre section a fait du travail humanitaire et a envoyé des équipes médicales vers les zones de conflit. Aujourd'hui, nous avons déjà 250 membres, et une nouvelle section: faire la promotion du droit à la santé, et protéger les droits humains des patients et des travailleurs de la santé.
Nous attachons beaucoup d'importance à la formation de médecins irakiens. Je suis très fier de mes jeunes collègues: en pleine occupation nous avons atteint notre objectif de permettre à 60 jeunes médecins de terminer leur formation. Nous avons invité le vice-ministre irakien de la santé pour la distribution des diplômes. L'homme se demandait comment nous avions pu former tous ces médecins dans des conditions aussi difficiles ! C'est sur ce chemin que nous voulons continuer. S'il le faut nous organiserons des stages et des cours en Jordanie ou en Egypte."

Pour finir, Dr Salam, quelles actions de solidarité internationale voyez-vous possible?

Dr Salam: "La situation en Irak est actuellement trop dangereuse pour des missions d'étude ou de solidarité étrangères. Et les organisations humanitaires n'ont pas toujours l'estime de la population. Prenons maintenant la Croix-Rouge italienne. Leur équipe a occupé sans gène l'espace de consultation du seul hôpital pour diabétiques de Bagdad. Tout autour ils ont érigé... un mur de barbelés …, pour se protéger! Nous l'appelons 'le mur italien'. Sur le gazon à l'avant, ils ont dessiné une grande croix avec des fleurs rouges. Dans un pays à majorité islamique, il faut oser!

La vraie solidarité est évidemment différente. L'action prioritaire par excellence pour nous aujourd'hui est de dénoncer toutes les violations au droit à la santé par les militaires américains et irakiens. Le sort des prisonniers aussi mérite notre attention. Et toute aide à notre projet de formation de jeunes médecins est la bienvenue: envoyer des livres médicaux et des CD, organiser des cours pour nos stagiaires par des spécialistes dans un pays voisin de l'Irak, permettre à nos jeunes médecins de faire des stages de courtes durées à l'étranger,…

Pour finir, je voudrais insister sur le fait que l'on ne peut plus jamais permettre un pays d'imposer des sanctions économiques contre un autre pays. Parce qu'après l'Irak, c'est peut-être le tour de la Syrie ou de l'Iran. J'ai vécu ce genre de sanctions de très près. Je peux te l'assurer: quand j'ai fait mon stage comme étudiant en médecine, de 1996 à 1998, je n'arrivais plus à compter le nombre d'enfants j'avais vu mourir inutilement suite à ces sanctions…"

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by Line Hedebouw Tuesday, Aug. 09, 2005 at 4:08 PM

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