Venezuela: L'expropriation des usines fermées by Jorge Martin Tuesday, Aug. 02, 2005 at 1:02 PM |
Dans son émission de télévision hebdomadaire "Aló Presidente", le président Hugo Chavez a annoncé que 136 usines actuellement fermées étaient soumises à un examen en vue d’une expropriation. "C'est comme la terre non travaillée", a-t-il dit. "De même que nous ne pouvons pas admettre de terres qui ne sont pas cultivées, de même nous ne pouvons pas accepter des industries qui ne fonctionnent pas."
Le programme était émis depuis Cumana [qui se situe dans l'Etat de Sucre].
Chavez participait également à l’inauguration de l’Union coopérative
agro-industrielle du cacao, une entreprise qui, après avoir été fermée
pendant neuf ans, vient d’être rachetée par des travailleurs pour en faire
une coopérative, grâce à un prêt du gouvernement à un taux d’intérêt
favorable. Chavez a expliqué que ce type de coopérative était un de ces
projets qui "génèrent le bien-être collectif à travers le travail commun,
dépassant ainsi le modèle capitaliste qui promeut l'individualisme. Nous
avons identifié environ 700 entreprises fermées. C’est inadmissible", a
affirmé le président, qui a lu une liste des noms des entreprises pour
lesquelles un processus d’expropriation a déjà débuté. Il y en a 136
autres qui sont en examen, et il y a également de nombreuses autres
compagnies qui sont partiellement paralysées. Le nombre total de
compagnies passées en revue s'élève à 1149.
Il a mentionné le cas d’une entreprise de pisciculture dans le port de
Guanta [près de Puerto La Cruz] qui est sur le point de commencer à
produire. "Mais comme les employeurs ne veulent pas la faire fonctionner,
nous devrons alors exproprier et la gérer nous-mêmes". Mentionnant bon
nombre d' entreprises qui sont actuellement closes, mais qui possèdent
toutes les installations techniques et tous les actifs nécessaires pour
commencer la production, il a cité les exemples d'une usine textile, une
scierie, une fabrique de meubles, un hôtel, une fabrique de produits
laitiers, une usine de chaussures et une aciérie.
Paraphrasant un dicton populaire vénézuélien, Chavez a déclaré que "celui
qui a un commerce doit le garder ouvert ou alors le vendre, s'il ne le
garde pas ouvert ni ne le vend, alors nous l'exproprierons". Mais il est
clair que ce dernier ne faisait pas allusion aux petits magasins, puisque
les compagnies qu’il venait de citer sont susceptibles d' employer entre
100 et 500 ouvriers.
Il a ajouté que, pour tous les employeurs voulant garder leurs entreprises
ouvertes, l’Etat était prêt à les aider en leur octroyant des prêts à taux
d’intérêt réduit, mais à la condition que "les employeurs accordent aux
ouvriers une participation au management, à la direction, et aux profits
de la compagnie".
Maria Cristina Iglesias, la ministre du Travail, est également intervenue
dans l’émission en lançant un appel "aux syndicats, aux travailleurs, aux
anciens travailleurs de ces compagnies pour qu'ils les récupèrent". Et
d’ajouter: "C'est avec la force des travailleurs que nous pourrons vaincre
cet ennemi interne qu'est la dépendance qui nous garde éloignés de nos
ojectifs dans la lutte contre la pauvreté."
"Ceci est la révolution"
"Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme", a ajouté Chavez qui a
également dit que "la démocratie révolutionnaire constitue la transition,
le pont, le chemin vers le socialisme du XXIe siècle, un socialisme qui
sera bolivarien, vénézuélien, latino-américain". Et il a appelé la
population à "laisser de côté les fantômes avec lesquels l'idée de
socialisme a été associée".
Précédemment, le président avait divulgué les résultats d’un sondage
d’opinion selon lequel la majorité des Vénézuéliens préfèrent le
socialisme. L’enquête, faite par une compagnie privée à la fin du mois de
mai et au début de juin, révèle que 47,9% des Vénézuéliens préfèrent un
"gouvernement socialiste" alors que 27% seulement défendent le
capitalisme.
Mais Chavez a expliqué qu’il restait encore 25% de gens qui n'ont pas
répondu à la question et que l’offensive idéologique devait donc être
renforcée. Depuis que Hugo Chavez a déclaré que le chemin vers la
révolution vénézuélienne passait par l’instauration du socialisme, c’est
devenu le débat principal à l’intérieur du mouvement révolutionnaire
bolivarien, et dans la société en général. Même le président de la
fédération patronale Fedecamaras a été obligé de déclarer, il y a quelques
mois, qu’il n’était pas question de choisir entre le socialisme et le
capitalisme, mais plutôt de "prendre les meilleurs aspects de deux
systèmes".
Plus récemment, le général de division à la retraite Muller Rojas, dans
son discours devant l’Assemblée nationale du 5 juillet 2005, réunie en
session spéciale à l’occasion du jour de l’Indépendance, a lancé un appel
pour créer une nouvelle Société patriotique (l’organisation qui avait mené
la lutte pour l’indépendance il y a presque 200 ans), précisant toutefois
que cela devrait être aujourd’hui "une société patriotique pour le
socialisme". Quant à Chavez, dans un discours devant les officiers de
l’armée, il les a invités à faire entrer le débat sur le socialisme "dans
les baraquements" et de mettre au rebut les vieilles idées et les préjugés
qui leur avaient été enseignés dans le passé au sujet du socialisme.
Au sein du mouvement des travailleurs, ces idées ont été reçues avec
enthousiasme. La discussion principale est maintenant de savoir ce qu’on
entend par socialisme, comment appliquer la cogestion et quel est le rôle
des travailleurs dans le processus révolutionnaire et dans l’économie. Il
est clair qu’il existe encore de nombreuses interprétations de ce que l’on
entend par socialisme. Pour les sections plus modérées dans le mouvement
bolivarien, le socialisme signifie fondamentalement la démocratie sociale,
ou, comme ils le disent eux-mêmes, "le socialisme de Zapatero", se
référant au président social-démocrate espagnol.
Mais pour les travailleurs et pour les pauvres, il est clair que le
socialisme signifie une rupture radicale avec le capitalisme. Chavez
lui-même a expliqué que "à l'intérieur des limites du capitalisme les
problèmes de la misère, de la pauvreté, de l'injustice, auxquels les
Vénézuéliens doivent faire face ne peuvent pas être résolus".
C'est dans l’immense usine d’aluminium ALCASA dont l’Etat est propriétaire
que l’expérience la plus avant-gardiste de ce que l’on appelle "la
cogestion" est mise en place. Il est assez clair que pour les travailleurs
le mot "cogestion" signifie précisément le contrôle et le management par
les travailleurs. De ce fait, une affiche imprimée par ALCASA met en avant
le "contrôle ouvrier" comme slogan principal.
Cela a été expliqué clairement par Edgar Caldera, l’un des dirigeants
syndicaux d’ALCASA dans un article du 29 mai 2005: "S’il y a une chose que
les travailleurs doivent comprendre clairement, c’est que notre cogestion
ne doit pas devenir une arme pour renforcer le mode de production
capitaliste qui exploite. Nous ne pouvons répéter la triste histoire de
l’Europe, où le système de cogestion a été utilisé pour se débarrasser des
droits et des acquis des travailleurs."
A ALCASA, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui élisent leurs managers.
Ces managers conservent le même niveau de salaire qu’ils avaient avant
d’être élus et sont soumis au droit de révocation par les travailleurs.
Dans le même article, Edgar Caldera donne un exemple de la façon dont le
contrôle par les ouvriers signifie en même temps une production plus
efficace et une élimination de la bureaucratie, du mauvais management et
de la corruption. Il explique comment dans la Ligne de Réduction III
[segment du procès de production de l'aluminium], une compagnie de
l’extérieur avait été chargée de la maintenance et des réparations. Mais
c’était en fait une source de corruption et, dans la pratique, cela
signifia que, pendant environ sept ans, 10% des cellules de la ligne de
production restèrent inactives. Lors d’un meeting de masse, les
travailleurs ont donc décidé de renvoyer le contractant externe et
d’engager le nombre nécessaire de travailleurs pour faire le même travail
dans l’entreprise. Le résultat fut que les pannes diminuèrent dans un
temps record et que depuis lors la ligne de production travaille à pleine
capacité.
Cette expérience a énormément élevé le niveau de conscience politique des
travailleurs concernés. Du 16 au 18 juin a eu lieu un meeting de
travailleurs impliqués dans des expériences de contrôle ouvrier et les
conclusions qui ont été tirées sont très pointues. Tout au long du
meeting, il y a eu une compréhension claire du fait que ce qui est connu
au Venezuela comme cogestion constitue en fait un pas en avant vers la
construction d’une société socialiste. Un des points sur lesquels il y a
eu accord est très clair: "Il faut inclure dans les propositions pour une
cogestion révolutionnaire le fait que les compagnies doivent être
propriété de l’Etat, sans distribution de parts pour les travailleurs, et
que tous les profits doivent être distribués en fonction des besoins de la
société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils
de planification socialiste doivent être compris comme des organes qui
mettent en œuvre les décisions prises par les citoyens en assemblées."
Contradictions
Tout ce processus de discussion politique et d’action par les travailleurs
et les pauvres n’est pas exempt de contradictions. Par exemple, dans
l’ancienne fabrique de papier Venepal, maintenant INVEPAL, la première
firme à avoir été expropriée par le gouvernement bolivarien, les
responsables syndicaux ont dissout le syndicat et espèrent racheter la
part de l’Etat dans la compagnie afin d’être les seuls propriétaires et de
pouvoir garder tous les profits de la production. D’autres responsables
syndicaux les ont mis en garde contre ce projet, en insistant sur le fait
que cette façon d’agir maintenait en place le capitalisme et que cela
pourrait même les mettre en conflit avec d’autres travailleurs dans le
futur.
A INVEVAL, l’ancienne Compagnie nationale de fabrication de soupapes, CNV,
qui a été expropriée par le gouvernement le 1er mai 2005, les difficultés
ne sont pas le fait des travailleurs eux-mêmes, mais plutôt de la
bureaucratie de l’Etat. Au cours la signature du décret d’expropriation,
Chavez a dit clairement que les travailleurs devaient avoir une majorité
de représentants dans les conseils de direction et que l’organe
décisionnel suprême devait être l’Assemblée générale des travailleurs.
Mais lorsqu’en date du 27 juin un représentant du Ministère de l'économie
populaire a lu aux travailleurs les statuts proposés pour la compagnie,
ceux-ci ne faisaient aucune mention de la participation des travailleurs.
L’assemblée présente a donc rejeté cette proposition et a commencé un
processus de mobilisation pour exiger le contrôle ouvrier. Afin d’élargir
leur lutte au-delà de INVEVAL, les travailleurs sont maintenant en train
de tisser des liens avec des travailleurs d’autres compagnies où des
expériences semblables sont menées.
Et comme dernier exemple, dans la compagnie d’Etat de production et de
distribution d’électricité CADAFE, il y a eu toutes sortes de tensions
avec la direction de l’entreprise, dès le tout début de la mise en œuvre
de la cogestion (à l’époque où les travailleurs exerçaient le contrôle
ouvrier pour prévenir le sabotage durant le lock-out des patrons de
décembre 2003). La direction voulait d’abord limiter le pouvoir des
travailleurs à la prise de décisions sur des aspects secondaires (comme,
par exemple, le genre de décorations de Noël dans le bâtiment de la
compagnie à Valencia!) Les travailleurs et leur syndicat ont donc dû
lutter pour chaque pouce de contrôle ouvrier qu’ils détiennent maintenant
dans la compagnie. La direction avance maintenant un autre argument: "Il
ne peut y avoir de participation ouvrière dans les industries
stratégiques."
L’argument fait choc avec la réalité, car c’est précisément pendant le
lock-out patronal de 2003 que les travailleurs du pétrole ont rétabli la
production de l' entreprise PDVSA, et que les travailleurs de l’aluminium
et de la sidérurgie des immenses sites de Guayana se sont battus
physiquement pour se frayer un chemin vers les installations de gaz et
pouvoir ainsi réactiver l’approvisionnement de leurs usines. C’est aussi à
ce moment que les travailleurs du métro de Caracas ont maintenu le trafic
de celui-ci et que les travailleurs de l’électricité de CADAFE ont
maintenu l’approvisionnement en électricité, empêchant ainsi le sabotage
de l’industrie.
Le mouvement des travailleurs vénézuélien est en train de vivre une
transformation massive et à prendre conscience de sa propre force. C’est
là que réside l’espoir pour le futur de la révolution bolivarienne.
Une chose dont les travailleurs ont une conscience très claire, comme
Chavez l’a dit dans son programme "Aló Presidente", c' est qu'une
révolution est un processus dans lequel surgissent de nouvelles idées et
de nouveaux modèles, tandis que de vieilles idées meurent, et "dans la
révolution bolivarienne, c'est le capitalisme qui sera éliminé".
Traduction Revue A l’Encontre (http://www.alencontre.org