arch/ive/ief (2000 - 2005)

Dans les eaux troubles de la campagne "make poverty History"
by Stuart Hodkinson Tuesday, Jul. 05, 2005 at 2:25 PM

a campagne "Make Poverty History" (MPH) ["Faire de la pauvreté del’histoire ancienne"] semble être une success story sans précédent dans l’histoire des politiques de développement au Royaume-Uni. Réunissant syndicalistes, organisations caritatives, ONG et un casting de célébrités tape-à-l’œil, MPH domine la couverture médiatique nationale et son très symbolique bracelet blanc est en train de faire le tour du globe. Comment alors expliquer qu’à l’approche du sommet du G8 les différentes factions au sein de la Coalition complotent les unes contre les autres dans la presse ? Et pourquoi de nombreuses voix en provenance du Sud clament-elles : “rien sur nous... alors sans nous" ?

En ce vendredi de mai, un inhabituel air de panique semble s’être emparé du Congrès Britannique des Syndicats (TUC) au sein duquel va se tenir l’assemblée mensuelle de ‘Make Poverty History’. Des officiels se dépêchent de donner les dernières instructions de sécurité : “Assurez-vous que seuls les membres soient admis à l’assemblée” dit l’un d’entre eux. “La réunion, bien que publique, n’est ouverte qu’aux adhérents de MPH”.

La tension est compréhensible. Deux accablantes affaires mettant en cause MPH sont sur le point d’éclater dans les journaux britanniques. En couverture de l’hebdomadaire centre-gauche, News Statesman, l’article ‘Pourquoi Oxfam fait faux bond à l’Afrique’ a suscité la colère profonde des membres de la Coalition envers Oxfam. L’article met en lumière les relations étroites entre cette ONG et les représentants du gouvernement britannique et accuse Oxfam de laisser le Premier Ministre ainsi que son Chancelier Gordon Brown coopter MPH pour en faire une organisation satellite au service du très discutable agenda anti-pauvreté du Parti Travailliste.

De son côté, le journal de droite, le Sunday Telegraph, est sur le point de divulguer qu’un nombre important de bracelets blancs de MPH - le fameux symbole de la campagne - a été produit dans des sweatshops chinois avec la bénédiction d’Oxfam.

Ces révélations embarrassantes n’ont certes été une surprise pour personne. Depuis au moins six mois, plusieurs ONG de développement et environnementales n’ont eu de cesse d’afficher leur malaise face à une campagne riche en célébrités mais pauvre en politiques. Un membre de la Coalition MPH explique sous couvert d’anonymat qu’ “il y a souvent eu une divergence totale entre les prises de position internes et la communication externe sur la scène internationale. Nos véritables exigences sur le commerce, sur l’aide au développement, sur la dette et nos critiques de la politique du gouvernement britannique ont constamment été mises en arrière-plan au bénéfice d’une stratégie médiatique tournant autour de célébrités blanches et louant à l’infini Tony Blair et Gordon Brown, censés être à l’avant-garde sur les questions de développement”.

Ce n’est certainement pas ce que les militants avaient en tête fin 2003 lorsque Oxfam prit l’initiative d’organiser une série de rencontres informelles dans le but de créer une coalition exceptionnelle contre la pauvreté pour l’année 2005. Cela devait coïncider avec la présidence britannique du sommet du G8 et de l’Union Européenne, l’évaluation des cinq premières années du programme de l’ONU ‘Objectifs du Millénaire pour le développement’ lancé en 2000, la sixième Rencontre Ministérielle de l’OMC tenue à Hong Kong et le 20ème anniversaire de Live Aid.

En Septembre 2004, la campagne Make Poverty History était officiellement lancée pour représenter la mobilisation britannique de la coalition internationale G-CAP “Appel général pour l’action contre la pauvreté” [1].

Depuis, MPH est devenue une coalition militante impressionnante, avec plus de 460 organisations membres comprenant les principaux syndicats et ONG de développement britanniques, des associations caritatives et religieuses ainsi que quelques représentants de la diaspora africaine. Le cocktail de célébrités et de jargon humaniste a attiré l’attention des politiciens et des mass medias, en particulier après l’annonce par la rock star Ben Geldof de la tenue d’une série de concerts gratuits à Londres, Paris, Philadelphia, Rome et Berlin sous la bannière ‘Live 8’ [2]

En dépit de ce succès, le profil public de la campagne, ses demandes politiques et la proximité de Blair et Brown ont suscité un malaise au sein de la coalition qui n’a pas manqué de se faire sentir. De nombreux critiques affirment que sur le papier au moins les demandes politiques de MPH au gouvernement britannique sont très progressistes, en particulier dans son appel à “la justice des échanges et non pas au libre-échange“. Une justice qui contraindrait les pays du G8 et l’Union Européenne, le Royaume-Uni en particulier, à cesser d’imposer leurs politiques néo-libérales aux pays pauvres par le biais d’accords commerciaux ou pire encore en contrepartie d’un allégement de la dette ou d’une aide accrue. MPH exige également que les pays riches doublent immédiatement l’aide aux pays pauvres en la portant à 50 millions de dollars par an pour tenir ainsi une promesse vieille de 35 ans de consacrer 0,7% du revenu national à l’aide au développement. La Coalition exige aussi la suppression intégrale de la dette impayable des pays les plus pauvres via une procédure internationale équitable et transparente sans que ceci ne se traduise par une réduction du budget de l’aide au développement. Enfin, MPH appelle à la régulation des multinationales et à la démocratisation du FMI et de la Banque mondiale.

Oxfam, Comic Relief and Co : alternatives populaires ou instrument du néo-libéralisme ?

L’article du New Stateman, a mis principalement en accusation le leadership d’Oxfam, la plus grande et plus influente ONG britannique de développement. Malgré sa très bonne image de marque, Oxfam est devenue ces 20 dernières années un réservoir de ressources humaines pour les conseillers du gouvernement britannique, en particulier sous le New Labour, ainsi que pour les représentants de la Banque Mondiale.

Pour ne citer que quelques exemples : le conseiller de Blair en matière de développement international, Justin Forsyth, travaillait initialement comme Directeur des campagnes pour Oxfam ; Shrit Vadera, ancienne directrice de la Banque Américaine, UBS Warburg, et spécialiste des partenariats entre sphères privées et publiques, est à la fois membre du Conseil d’administration d’Oxfam et conseillère de Gordon Brown. Moins connu, John Clark a quitté Oxfam en 1992 pour rejoindre la Banque Mondiale où il a été responsable d’un programme favorisant le dialogue avec la société civile, mais dont le véritable objectif était de coopter les mouvements sociaux. Enfin, jouant un rôle central au sein de MPH, Sarah Kline d’Oxfam est une ancienne employée de la Banque Mondiale qui n’en finit plus de s’émerveiller de l’approche de “dialogue constructif” de son ONG avec le FMI et la Banque Mondiale.

L’indépendance politique d’Oxfam est sévèrement compromise par les près de £40 millions de fonds publics qu’elle perçoit chaque année. Sur ces £40 millions, le Département pour le Développement International (DfId), grand chantre des privatisations dans les pays en voie de développement, subventionne à lui seul l’ONG à hauteur d’environ £14 millions par an. Oxfam est évidemment loin d’être la seule ONG britannique à recevoir des fonds du DfID et il est pour certaines possibles de recevoir de l’argent public tout en gardant une distance critique par rapport au gouvernement. Mais il est plus souvent inévitable que ces rapports de financement pèsent sur la balance et limitent l’indépendance politique ; la menace de coupes budgétaires limitant fortement le champ d’action politique.

Les ressources colossales d’Oxfam ainsi que son profil international lui assurent une position dominante au sein de MPH. L’année dernière, les revenus annuels d’Oxfam ont dépassé les £180 millions reléguant des ONGs plus progressistes comme WDM (World Development Movement) ou War on Want au rang d’avorton avec une capacité financière de tout juste un million de livres sterling chacune. L’armée d’attachés de presse, de chercheurs et de militants d’Oxfam peut donc tout naturellement abuser des opportunités médiatiques offertes par la campagne.

Faire d’Oxfam le bouc émissaire de la cooptation de la Coalition MPH par le New Labour, c’est cependant oublié le rôle central joué par l’association caritative Comic Relief et son co-fondateur, le célèbre Richard Curtis. L’un des plus brillants et prolifiques scénaristes britanniques, Curtis est devenu célèbre dans les années 1980 avec la série télévisée Blackadder/La Vipère noire et a produit depuis des “classiques” comme Mr Bean, Quatre mariages et un enterrement ou encore Coup de foudre à Notting Hill. La fortune et la célébrité ont cédé le pas à l’influence politique et en 2001, le quotidien britannique centre-gauche, The Guardian, classait Richard Curtis à la 10ème des personnes les plus influentes dans l’industrie des médias au Royaume-Uni, devant tous les rédacteurs en chef nationaux à l’exception de Paul Dacre du Daily Mail.

L’engagement personnel de Curtis pour l’Afrique remonte à 1985 quand, à l’apogée de la famine éthiopienne, il visite des camps de réfugiés à l’invitation d’Oxfam. Cette expérience le marquera et il persuadera dès son retour ses amis du showbiz de monter Comic Relief, une association caritative qui tente de conscientiser les esprits sur les problèmes de la pauvreté, de la famine et des maladies en Afrique grâce à des comédies aux budgets colossaux.

En dépit de son incroyable succès - plus de £337 millions amassés depuis sa création - les émissions télévisées biannuelles de Comic Relief sont critiquées pour leurs lacunes politiques et en particulier pour leur représentation de l’Afrique comme un pays-continent ravagé par les catastrophes naturelles et les guerres tribales sans aucune analyse du rôle de la colonisation, des programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale ou encore de celui des multinationales.
L’approche apolitique de Comic Relief sur l’Afrique influence profondément les débats au sein de MPH et c’est Richard Curtis qui conduit la machinerie publicitaire de la Coalition.

Drôles de philanthropes...

Le pouvoir de Curtis provient en partie des ressources humaines et financières qu’il apporte à la campagne. C’est lui qui a réussi à convaincre l’homme d’affaire écossais, Sir Tom Hunter de faire don d’un million de livres sterling à la campagne MPH ainsi que l’équivalent de quatre millions de livres sterling de temps d’antenne publicitaire. Cela a permis le financement de la publicité ‘Click’ dans laquelle des stars internationales comme George Clooney, Bono et Kylie Minogue cliquent leurs doigts toutes les trois secondes pour marquer symboliquement la mort d’un enfant africain. Curtis a utilisé son inégalable carnet d’adresses pour s’assurer que la stratégie médiatique de MPH soit façonnée autour des célébrités.

Alors que la plupart des membres de MPH reconnaissent que le soutien des célébrités a joué un rôle important dans le succès exceptionnel de la campagne (les ventes du bracelet blanc de MPH s’élèvent à presque 4 millions et leur site web est visité par des millions d’internautes chaque jour), beaucoup pensent que le prix payé est trop élevé.

D’abord à cause du rôle douteux de Sir Tom Hunter qui n’est pas considéré comme un philanthrope ordinaire. La Fondation Hunter, dont les capitaux sont estimés à £678 millions se spécialise dans les partenariats entre sphères privées et publiques et le développement de l’esprit entrepreneur chez les jeunes enfants en Écosse. Depuis 2001, il subventionne le Scottish Executive’s Schools Enterprise Programme qui permet au secteur privé de familiariser dès l’âge de cinq ans les enfants aux joies du monde des affaires. Le directeur de la Hunter Foundation, Ewan Hunter, affirme que le dénigrement de ce programme est malvenu car il s’agit d’une “initiative internationale qui favorise l’esprit de réussite chez les enfants. Pour information nous consultons longuement les syndicats concernés, les municipalités, les gouvernements, les enseignants et les enfants avant de nous engager dans un quelconque programme éducatif”. La relation enfants/monde des affaires n’est pas ici remise en question...

Hunter avait auparavant fait scandale au sein de la Coalition en vendant des éditions spéciales du bracelet blanc avec des logos de six marques internationales parmi lesquelles figuraient HilFiger Denism dont le propriétaire Tommy Hilfiger Corporation est accusé d’acquérir des vêtements en provenance de sweatshops basés en Amérique Latine et Asie de l’Est. Selon Stephen Coats, Directeur Exécutif de Labor Education in the Americas Project, qui surveille et soutient les droits fondamentaux des travailleurs en Amérique Latine, le passif de Hilfiger en terme de droits du travail est en dessous des standards sociaux minimums : “Tommy Hilfiger est sur liste rouge pour avoir refusé de reconnaître ses torts quant aux conditions de travail des ouvriers dans une usine de sous-traitance avec laquelle il faisait des affaires”. En octobre 2003, la compagnie fut accusée par des militants des droits du travail de ne pas assumer ses responsabilités lorsque des preuves furent apportées sur les abus commis à l’encontre des travailleurs de l’usine de Blue Jean Tarrant dans l’Ajalpan au Mexique. Hilfiger a préféré rompre le contrat et fuir plutôt que d’indemniser et d’améliorer les conditions des travailleurs.

Ces révélations n’ont fait qu’exacerber les tensions existantes au sein de Make Poverty History. John Hilary de War on Want ironise : “à moins qu’Hilfiger se soit reformée sans que nous ne soyons au courant, ce n’est pas le genre de compagnie avec laquelle nous souhaitons être associés”.

Mais ce n’est pas tout. L’agence publicitaire Abbot Mead Vickers (AMV), la plus grande société publicitaire du Royaume-Uni, qui avait antérieurement travaillé avec Comic Relief a été invitée à bord pour soutenir la stratégie de communication de la campagne. L’une de ses propositions vigoureusement rejetée par les membres de MPH fut un panneau d’affichage dans lequel les visages de Ghandi et Nelson Mandela posaient à côté de celui de Gordon Brown ! AMV’s compte parmi ses clients Pepsi Cola, Pfizer, Sainsbury, Camelot et the Economist mais aussi Diageo, une multinationale de la boisson qui s’avère être ironiquement la propriétaire du Gleneagles Hotel dans lequel séjourneront les leaders du G8.

Selon Lucy Michaels du centre de recherche Corporate Watch, Diageo, est connue pour avoir fait pression sur les pays de l’OCDE et du G8 pour imposer la libéralisation des investissements dans les pays en voie de développement. Sa politique commerciale en Afrique est profondément controversée. “Diageo fait une promotion agressive de ses produits en Afrique en attaquant des industries locales de fabrication de bière. Elle a récemment publié un ‘Rapport citoyen sur les échanges commerciaux en Afrique de l’Est’ dans lequel elle considère que l’alcool maison pose “un sérieux risque social et sanitaire” en dépit du jugement du Centre International des Politiques sur l’Alcool, soit dit en passant subventionné par Diageo, selon lequel la “bière illicite est généralement de bonne qualité et vitale pour les foyers et l’économie locale”.

Mais les critiques argumentent que l’aspect le plus destructeur de l’implication de Curtis est son intervention personnelle dans la communication publique de MPH pour assurer que ses stratégies s’alignent sur son agenda politique, illégitime et irresponsable : “c’est avec grand désarroi que nous avons mis à nu la philosophie de Richard” s’indigne un membre de la Coalition : ”Il pense que nous devrions soutenir les efforts du gouvernement britannique pour inciter les autres pays membres du G8 à adopter ses positionnements sur la dette et sur l’aide au développement et s’oppose catégoriquement à toute critique à l’égard de Blair ou de Brown”.

Il y a plusieurs mois lorsque le mécontentement était au plus haut, plusieurs membres de MPH ont attiré l’attention sur les contradictions entre les positions politiques conclues au sein de MPH et sa campagne publique très pro-gouvernementale. La réponse d’un représentant de Comic Relief fut d’expliquer que Curtis “trouvait délicat de s’opposer au gouvernement étant donné son amitié personnelle avec Gordon Brown”.

Rien d’étonnant, étant donné les circonstances, que plusieurs ONG de la coalition MPH aient senti qu’il était de leur devoir de saper l’axe Oxfam-Curtis-Brown en faisant part de leur mécontentement à la presse, et que les membres de la Coalition MPH se soient empressés de se distancer du gouvernement en accélérant de plusieurs semaines la publication d’un rapport critiquant les politiques gouvernementales.

Une campagne qui rapporte gros

Malgré l’exaspération qui règne, les voix dissidentes restent à l’intérieur de MPH et refusent de parler à découvert. “Bien que nous détestions le message et l’aspect commercial de la campagne, certaines ONG sont en train d’amasser de très grosses sommes à travers la vente des bracelets blancs“ admet l’une de ses voix. “Nous avons plus de personnes dans nos bases de données, intéressées par nos campagnes parce que les questions de commerce, de dette et d’aide au développement sont soudainement redevenues à la mode. De nouveaux bailleurs de fonds frappent à nos portes pour développer des projets de recherche et la campagne MPH est en fait en train de payer mon salaire pour ces trois prochaines années”.

La frustration ne serait probablement pas aussi intense si les pratiques organisationnelles étaient véritablement plurielles et démocratiques. Mais alors que le G8 approche, les apparatchiks de MPH ont pris toutes leurs dispositions pour s’assurer que lors du rassemblement principal du 2 juillet à Edinburgh seuls le message monolithique et les intervenants de MPH puissent être vus et entendus.

Sur leur site web MPH ne fait aucune mention du grand nombre de manifestations et événements contestataires qui auront lieu pendant toute une semaine contre le G8 en Écosse. L’équipe coordinatrice de MPH qui comprend Oxfam, Comic Relief et le TUC (Trade Union Congress), ont à deux reprises posé un veto contre l’adhésion de la Coalition anti-guerre dans MPH en avançant que les questions de justice économique et de développement étaient clairement distinctes de celle de la guerre et que sa participation à Edinburgh le 2 juillet obscurcirait le message de MPH. Oxfam aurait-elle oubliée qu’elle fait actuellement campagne pour un traité sur les armes sous prétexte que “l’armement incontrôlé attise la pauvreté et la souffrance” ?

La Coalition anti-guerre n’a même pas été autorisée à tenir un stand pendant le rassemblement de MPH. Dans un email adressé à la Coalition MPH, Milipedia, une compagnie ‘éthique’ chargée de la logistique de l’événement demandait à MPH de “considérer l’opportunité d’exclure les personnes montant des stands indésirables, des événements ad hoc, etc” et de dresser une liste “de potentiels infiltrateurs pour décider des seuils de tolérance et des mesures à prendre”. Ceci précédait des rumeurs affirmant que le SWP (Parti des Travailleurs) se préparait à vendre ses journaux au rassemblement d’Edinburgh, à scander ses slogans anti-capitalistes et à porter des T-Shirts et des bracelets rouges portant la référence MakeCapitalismHistory.

L’email envoyé en réponse à l’annonce que la Coalition anti-guerre allait organiser un rassemblement à 16h30 le 2 juillet, rend également compte que la municipalité locale, la police et les organisateurs de MPH sont en train de travailler ensemble pour s’assurer que la Coalition anti-guerre n’ait pas de tribune propre afin de préserver “leur exclusivité sur l’événement et sur la diffusion des messages clef”.

Il ne s’agit pas uniquement de domination politique. Une partie des préoccupations de MPH réside dans la menace qui plane sur son monopole commercial lors du principal rassemblement - la coalition est propriétaire de la licence commerciale pour le 2 juillet qui lui permettra d’exclure tous les commerçants illégaux hors du site, y compris des activistes. Comic Relief a également fait enregistrer le slogan MakePovertyHistory comme une marque déposée auprès de l’Union Européenne et menace de poursuivre ‘tout détournement de la marque’

Mais les problèmes au sein de MPH sont beaucoup plus profonds que les divisions politiques parmi les cercles non gouvernementaux britanniques. Une question se fait en effet de plus en plus pressante même dans la bouche des journalistes les plus établis : où sont les voix de la société civile africaine et les autres mouvements sociaux du Sud dans une campagne qui est censée les concerner en premier lieu ?

Rien sur nous... alors sans nous

Kofi Malawi Klu, un militant panafricaniste, ancien coordinateur international de la campagne Jubilee 2000 à la fin des années 90 est furieux du manque de représentativité de MPH. « Nous avons un slogan dans le mouvement de libération africain qui dit : ‘rien sur nous... alors sans nous’. Make Poverty History est un incroyable retour en arrière à cet égard, même par rapport à la campagne Jubilee 2000 qui n’était déjà pas très progressiste. La campagne est majoritairement menée par des ONG du Nord et son message principal tourne autour de pop stars milliardaires à la peau blanche sur le point de sauver une Afrique qui décidément ne pourra jamais s’en sortir seule. Les mouvements politiques africains qui se battent pour la libération à la base sont complètement ignorés. »

L’absence du Sud dans le leadership de MPH se reflète inévitablement dans la campagne politique. Par exemple, les ONG et mouvements du Sud sont généralement réticentes à faire des demandes au G8 : “Le G8 est une instance complément illégitime de gouvernance globale ; les pays du G8 et leurs multinationales sont et restent historiquement responsables de la plupart des problèmes des pays en voie de développement“ commente Nicola Bullard, du très respecté centre de recherche Focus on the Global South : “Faire pression sur le G8 va à l’encontre de la décision très claire prise par des centaines de mouvements sociaux, ONG et syndicats du Sud et du Nord pendant le Forum Social Mondial 2005”.

Il en va de même pour les demandes politiques de MPH. Bien que les mouvements du Sud voient d’un bon œil l’élargissement de l’agenda de la campagne par rapport à celui de Jubilee 2000 qui ne se consacrait qu’à la question de la dette, ils trouvent que la position de MPH sur la dette diverge fortement de celles des mouvements de bases africains et autres militants du Sud. “MPH, tout comme le gouvernement britannique, demande l’annulation de 100% de la dette des pays les plus pauvres” explique Brian Ashley de Jubilee South. “Cette approche n’aborde pas la question fondamentale de l’illégitimité d’une dette qui est d’une part un stigmate de la colonisation, d’autre part la conséquence d’une très forte augmentation des taux d’intérêt dans les années 70 et 80 dont les pays concernés du Sud ne sont pas responsables. Et de plus, les dettes contractées initialement ont déjà été payées à plusieurs reprises et font du Sud le créancier du Nord. En ce qui nous concerne, nous exigeons une annulation totale, inconditionnelle et immédiate de la dette de tous les pays du Sud et pas seulement de celle des pays les plus pauvres, comme le demande la coalition MPH“.

Pour les militants du Sud, ce débat est quasiment identique à celui qui avait conduit en 1999 à la scission Nord-Sud du mouvement Jubilee 2000, avec la création du réseau Jubilee South, qui à l’heure actuelle réunit 80 organisations et mouvements sociaux de 40 pays du Sud. Les objectifs de départ de Jubilee South étaient de créer une plus forte solidarité Sud-Sud, pour renforcer la voix collective, la présence et le leadership du Sud dans le mouvement international contre la dette et pour une transformation sociale mondiale qui parte de la base.

Alors que MPH est membre de G-Gap, Appel pour l’Action contre la Pauvreté dont le leadership compte tout de même certains militants du Sud, beaucoup à l’image de Jubilee South et Focus on the Global South notamment, ont refusé de rejoindre G-Gap déclinant l’invitation d’Oxfam et d’Action Aid à la réunion de Johannesburg en septembre 2004 qui a abouti au lancement de MPH. “Jubilee South a décidé de ne pas y aller pour la très simple raison qu’on ne lance pas une campagne au nom du Sud sans avoir antérieurement complètement briefer, consulter et travailler avec les réseaux du Sud” commente Brian Ashley. Nicola Bullard ajoute que : “Focus on the Global South considérait la réunion de Johannesburg comme une manière d’attirer de nombreuses organisations radicales du Sud pour donner une légitimité à une campagne prédéterminée au Nord. Nous pensons qu’il est important de mobiliser et construire les mouvements à la base“.

Ce qu’il y a de plus dangereux dans la compromission de MPH avec le gouvernement et dans l’exclusion des militants critiques du Nord et du Sud, c’est peut-être qu’elles permettent à l’Etat et aux médias de séparer les contestataires en deux camps celui des bons qui assisteront à la mobilisation principale le 2 juillet à Edinburgh et celui des méchants qui décideront de s’engager dans des actions de désobéissance civile contre une institution qui après tout est illégitime et des gouvernements responsables de la mort de millions d’innocents chaque année.

Il n’est pas trop tard pour Geldof, Bono, Curtis et compagnie d’utiliser leur soutien populaire pour inspirer les millions de membres de MPH de s’unir contre le G8 et son projet de spoliation des ressources africaines. Autrement ce n’est pas la pauvreté mais l’Afrique qui deviendra de histoire ancienne.

Stuart Hodkinson est rédacteur en chef associé de Red Pepper (www.redpepper.org.uk/ et chercheur. Il peut être contacté à stuart@redpepper.org.uk.