Bel Younech by Gui Badoux Sunday, Jun. 12, 2005 at 4:33 PM |
Les forces marocaines, sous la pression de l'Europe, traquent les migrants subsahariens qui se cachent dans la forêt de Bel Younech, à quelques kilomètres de Gibraltar.
Un petit morceau du rêve européen
« Nous sommes des gens ordinaires. Tout ce que nous demandons, c'est une vie normale, travailler, fonder une famille. »
C'est en ces termes que s'exprime Roland, un des nombreux migrants subsahariens bloqués aux frontières de l'Europe, dans la forêt de Bel Younech, au Nord du Maroc, à quelques kilomètres de l'enclave espagnole de Ceuta. Roland est diplômé d'études commerciales et il possède aussi un diplôme de dessinateur. Il a déjà réalisé de nombreuses planches pour un projet de bandes dessinées. A côté de lui, d'autres jeunes hommes diplômés, anciens fonctionnaires ou employés d'entreprises, d'anciens commerçants, des étudiants, des gens calmes, pondérés. Il y a aussi des femmes et des enfants, et des hommes parfois plus âgés. Tous, ils ont été contraints de quitter leur pays, soit parce qu'ils y étaient en danger, soit parce qu'il leur faut trouver un moyen de faire vivre leur famille. Parce que l'exil n'est jamais un choix, mais l'ultime possibilité de survie pour ces hommes et ces femmes qui se cachent aujourd'hui.
Mais l'Europe a fermé ses portes, et c'est au Maroc qu'ils attendent un avenir meilleur, dans des conditions de vie déplorables.
Dans le but de repousser plus loin ces hommes et ces femmes en quête d'un simple bonheur humain, l'Europe exerce depuis plusieurs années des pressions importantes sur les pays frontaliers de l'Union, tel que le Maroc. Afin de satisfaire aux exigences des dirigeants européens, le Maroc a accepté de surveiller ses frontières extérieures et fait preuve d'un zèle particulièrement répressif à l'encontre de ces populations civiles inoffensives. En février, les forces de l'ordre marocaines ont bloqué l'entrée de la forêt menant aux campements de Bel Younech, empêchant ainsi les gens de sortir librement et d'accéder au village le plus proche, où ils avaient l'habitude d'aller chercher de quoi boire et manger.
Malgré la levée de cette surveillance quotidienne, les opérations de ratissage ont repris en mai. Ces rafles sont généralement accompagnées d'arrestations, de vols de nourriture, de saccage des cabanes, de violences et de blessures pour les personnes réfugiées, qui chutent dans la montagne en essayant de s'échapper.
Ceux qui sont arrêtés sont refoulés vers la frontière algérienne, sans aucun souci de leurs droits, de leur pays d'origine, de leur devenir.
Dans cette traque, tous les coups sont permis. Oubliés, les beaux discours sur les droits humains. Ces droits ne sont valables que pour les hommes qui ont un visa Shengen. Les autres sont un peu moins que des hommes, du gibier, des criminels qu'il faut repousser, contrôler, expulser, enfermer.
La responsabilité de ces opérations de ratissage, ces refoulements, incombe certes aux autorités marocaines mais c'est aussi un choix de l'Europe. Des personnes sont blessées, affamées, d'autres meurent noyées au large des côtes espagnoles ou sous les essieux d'un camion. C'est le choix des dirigeants européens.
Un collectif a été créé afin de demander la cessation immédiate des opérations de ratissage et le respect des droits fondamentaux des personnes réfugiées dans la forêt de Bel Younech. Nous voudrions que les citoyens marocains et européens prennent conscience du caractère à la fois inhumain et illusoire de cette politique qui ne considère l'émigration que sous l'angle de la répression. Nous les appelons à agir avec nous, à faire savoir que cette répression, ce mépris, ne sont pas décidés en leur nom.