La victoire du « non » en France ouvre de nouvelles perspectives by Henri Tuesday, May. 31, 2005 at 11:09 AM |
Félicitons tous ceux qui en France et même à l’étranger ont contribué à ce résultat. Félicitons les membres d’Attac France, qui contre les différents partis traditionnels (comme ceux de droite de l’UMP et de l’UDF, mais aussi comme ceux soi-disant de gauche comme le PS et les Verts), ont assumé ce rôle ingrat d’opposition et de « fouteurs de merde », ont consacré leurs efforts à aller vers les citoyens les plus modestes et les plus humbles pour leur expliquer ce que signifiait réellement cette « Constitution ».
Les chiffres officiels sont tombés ce dimanche 29 mai 2005 à 22h. 54,89% des Français qui se sont exprimés ont voté « non » à la ratification du traité constitutionnel européen. C’est une grande victoire. Et ce, d’autant que le taux de participation a été exceptionnellement élevé et que les abstentions ont été particulièrement faibles.
Félicitons tous ceux qui en France et même à l’étranger ont contribué à ce résultat. Félicitons les membres d’Attac France, qui contre les différents partis traditionnels (comme ceux de droite de l’UMP et de l’UDF, mais aussi comme ceux soi-disant de gauche comme le PS et les Verts), ont assumé ce rôle ingrat d’opposition et de « fouteurs de merde », ont consacré leurs efforts à aller vers les citoyens les plus modestes et les plus humbles pour leur expliquer ce que signifiait réellement cette « Constitution ».
Grâce à eux, le chemin vers une autre Europe, démocratique, populaire, citoyenne, sociale, pacifique, solidaire (et on pourrait ajouter bien d’autres qualificatifs), a pris une luminosité et une coloration particulière. Il n’est plus la voie de la pénombre. Il devient celui du possible. Merci à eux, encore un fois.
55% des Français ont rejeté le traité constitutionnel européen. C’est le résultat net et sans bavures du référendum tenu ce dimanche 29 mai 2005 dans l’hexagone. Il n’est pas possible de contester cette avance.
On a connu tellement de scrutins électoraux noirs, avec l’avancée des forces d’extrême droite en France ou en Belgique ou l’avènement de gouvernements ultra-libéraux, qu’il est difficile de ne pas goûter son plaisir à ce dénouement.
On doit également envoyer nos félicitations à toutes celles et tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à ce succès. A commencer par nos amis d’Attac France, qui n’ont pas hésité à s’attirer les foudres des directions des partis socialiste et écologiste en s’engageant à fond pour la victoire du « non ».
La victoire de la France d’en bas
Une chose est de gagner un référendum, une autre est d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Et là aussi, la bataille s’engage. Les responsables européens n’hésitent pas à toutes les manœuvres pour minimiser et détourner le véritable caractère du vote « non » en France. Ainsi, ils affirment que c’est un jour noir pour l’Europe, alors que cela ne peut être un jour noir que pour eux. Ils prétendent que le « non » français est le résultat de la peur chez les citoyens de l’hexagone, alors que ce sont eux qui alimentent par tous les moyens cette peur. Ils disent qu’il est impossible de tracer un bilan, puisque la victoire du « non » est celle des « extrêmes », pour reprendre leurs termes. A RTL, télévision aux mains du puissant groupe médiatique allemand Bertelsmann (dans lequel Albert Frère, ancien patron de RTL, détient une participation importante), les commentateurs – peut-on parler vraiment de journalistes ? – présentent le succès du « non » comme celui du mensonge. Rien de moins.
Les dirigeants européens soulignent aussi qu’il ne s’agit que du vote d’un pays et d’une population et que, par ailleurs, huit autres Etats se sont prononcés en faveur du traité. Ils oublient adroitement de signaler que c’est le premier véritable vote populaire, car sept signataires l’ont été uniquement après un « débat » parlementaire – et encore, peut-on parler de débat ? – et le huitième, l’Espagne a ratifié après une campagne d’information d’à peine trois semaines : 58% des citoyens se sont abstenus et finalement le traité constitutionnel n’a été « approuvé » que par moins d’un Espagnol sur trois. Mais l’avantage de cette présentation est qu’elle permet à ces dirigeants de se moquer du vote citoyen français et de justifier la poursuite des ratifications dans les autres pays.
Certes, le « non » français provient de courants diversifiés reprenant non seulement l’extrême droite, les souverainistes français, mais aussi la gauche du PS, le parti communiste, les trotskystes, anarchistes et autres. Mais peut-on s’arrêter à cette constatation ?
Ce qui marque, c’est plutôt que le vote négatif provient en majorité des ouvriers, de ceux qui ont un revenu inférieur à 3.000 euros par mois, de ceux qui ont moins de 65 ans. Difficile de ne pas y voir la France d’en bas, de celle qui subit année après année les restructurations, les rationalisations, les délocalisations, qui ne profitent qu’à une minorité de super-millionnaires. C’est elle qui a dit : « non, on arrête ; de cette Europe-là, qui nous annonce encore davantage de souffrances sociales, on n’en veut plus ».
C’est ce message qu’il faut faire passer. C’est cette conclusion qu’il faut tirer. C’est ce succès qui est porteur d’espoir. Car c’est celui du simple citoyen. C’est celui de l’ humble, du modeste, celui qui ne veut pas faire de ce monde une jungle de compétition et de domination.
Le « oui » d’en haut
Car, en face, les partisans du « oui », ceux qui, en tous les cas, se sont trouvés sous les feux complaisants des médias, ce sont les représentants de la France du « haut ». C’est l’élite, ceux qui aspirent un jour à diriger soit le gouvernement, soit une grande entreprise. Ou qui se trouvent déjà à cette position sociale.
C’est la France du baron Ernest-Antoine Seillière, président du Medef (Mouvement des Entreprises de France), la fédération patronale française, et bientôt à la tête de l’UNICE, la confédération patronale européenne. Celui-ci se permet de déclarer, après le référendum du 29 mai dernier, que ce vote « a de lourdes conséquences » et que cela « empêche l’Europe de s’organiser mieux pour promouvoir ses intérêts » [1].
C’est la France des Giscard d’Estaing. Valéry a été président de la France, mais également de cette « fameuse » Convention, lancée en 2002 pour écrire le « traité constitutionnel européen » (que les Français viennent de rejeter). Son cousin germain, Philippe, a réalisé toute sa carrière chez Thomson. Un autre cousin, Jacques, a fini sa carrière à la Cour des comptes. Et le fils de celui-ci, Antoine, a été successivement directeur financier à la Lyonnaise des Eaux (aujourd’hui fusionnée avec Suez), puis à Schneider Electric, pour passer dernièrement chez Danone. Paul du Saillant, fils d’Isabelle, sœur de Valéry, dirige le groupe familial belge Lhoist, spécialisé dans la chaux et ses dérivés. Et on pourrait ainsi continuer le pedigree des représentants de la famille.
C’est la France des Sarkozy. L’un, le plus connu, Nicolas, est président de l’UMP, le principal parti de droite et candidat aux élections présidentielles de 2007. L’autre, le frère, Guillaume, travaille au Medef, comme membre du Conseil exécutif, et il est aussi président de l’Union des industries textiles. Avec la nomination du baron Seillière à l’UNICE, il se présente avec Francis Mer, ancien président d’Arcelor et ministre de l’Economie de Raffarin, comme candidat au poste de vice-président du Medef.
C’est la France de l’UNICE, la confédération patronale européenne. Dans un communiqué, celle-ci ose souligner : « Représentant 20 millions d’entreprises qui emploient plus de 120 millions de travailleurs en Europe, l’UNICE est en faveur de ce traité, parce qu’il est équilibré dans les valeurs et les politiques qu’il propose et parce qu’il crée les fondations pour la gouvernance claire, démocratique et efficace dont l’Union a tant besoin. Le traité constitutionnel n’est pas seulement soutenu par les employeurs, mais également par la Confédération européenne des syndicats » [2].
L’UNICE ne manque pas de culot d’oser prétendre parler au nom des 120 millions de travailleurs qu’elle emploie. On se croirait revenu au beau milieu du XIXème siècle où le patron est quasiment comme un père pour ses ouvriers, jusqu’à décider à leur place ce qui est bon pour eux. Mais il est intéressant de noter qu’eux, les dirigeants de l’UNICE, ils se prononcent clairement en faveur du traité. Ils indiquent nettement ce qui leur paraît important pour leurs intérêts, à savoir l’introduction de la notion de compétitivité comme objectif en soi de l’Union [3] et la gouvernance « efficace dont l’Europe a tant besoin ». Car les patrons européens savent parfaitement qu’il leur faut une structure politique pour appuyer leurs intérêts dans toutes les parties du monde, y compris et à commencer par l’Europe.
L’élite à gauche
L’UNICE ajoute que cette adhésion est aussi celle de la Confédération européenne des syndicats (CES). Ce qu’elle omet de préciser est qu’aucun travailleur d’aucun pays n’a été consulté pour ce soutien. Au contraire, ce sont les dirigeants syndicaux qui ont imposé cette orientation, sans débat. Là où il y a eu discussion, comme à la CGT française ce sont les salariés de la base qui ont obligé leurs représentants à changer d’avis et à défendre le « non » [4].
Ceci nous permet de relativiser grandement les positions officielles que ce soit aussi bien de la direction de la CES que des partis socialistes. Même si ce sont des organisations de travailleurs ou composées de nombreux de travailleurs, leurs directions appartiennent clairement à cette Europe de l’élite.
Qu’a Dominique Strauss-Kahn de commun avec un salarié d’entreprise, lui qui vit de juteux conseils aux entreprises ? Que dire de Pascal Lamy, ancien commissaire européen au Commerce, qui court davantage à la recherche des honneurs et des mandats et qui vient d’être nommé à la tête de cette OMC, où il était un des leaders [5] ? Que dire de son successeur, Peter Mandelson, proche de Tony Blair et grand ami des milieux d’affaires anglo-américains ? Doit-on ajouter le cas de Karel Van Miert, commissaire à la Concurrence, ancien président du SP en Flandre et aujourd’hui administrateur de plusieurs sociétés dont Philips et Agfa ?
Mais doit-on vraiment être étonné ? Ces responsables, officiellement « socialistes », ne sont que des alliés non des salariés et des citoyens, mais des présidents des plus grandes entreprises. Ils participent aux mêmes groupes plus ou moins secrets qui débattent, en dehors de toute publicité, donc à l’abri de l’opinion publique, de l’avenir du monde.
Ainsi en est-il du groupe de Bilderberg. Créé en 1954, par le frère de la reine Béatrix des Pays-Bas, celui-ci met en relation les dirigeants économiques et politiques des deux côtés de l’Atlantique. Ils se réunissent une fois par an, lors d’un week-end, où la presse est interdite et eux-mêmes ne peuvent sortir à l’extérieur pour éviter d’ébruiter les discussions. On y voit régulièrement les Rockefeller, Henry Kissinger et d’autres personnalités du même type. Mais certains responsables de partis sociaux-démocrates y sont aussi conviés : Willy Claes, ancien ministre belge SP et ancien secrétaire de l’OTAN, Pascal Lamy (tiens, tiens !), Wim Kok, ancien président du PvdA hollandais, de la FNV (les syndicats néerlandais) et aujourd’hui expert pour la Commission européenne, Pierre Beregovoy, ancien Premier ministre de François Mitterrand, Lionel Jospin (comme on le retrouve !), Dominique Strauss-Kahn, Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, Karel Van Miert, Tony Blair, Peter Mandelson, John Monks, président de la CES ( ! ! !), Romano Prodi, président de la Commission européenne sortante…
Dans la même veine, d’autres groupes se sont créés en France avec pour but de rapprocher le point de vue de ces leaders sociaux-démocrates et des chefs d’entreprise. Il en va ainsi de la fondation Saint-Simon, qui a vu le jour en décembre 1982, sous l’impulsion de François Furet, Pierre Rosanvallon et d’autres encore. On retrouve cette même clientèle dans le nouveau club semi-secret « Le Siècle », dans lequel sont membres, par exemple, Dominique Strauss-Kahn, Jean Peyrelevade, Martine Aubry, fille de Jacques Delors (président de la Commission de 1985 à 1995), Hubert Vedrine, Elisabeth Guigou, tous membres du parti socialiste français.
Vers l’Europe d’en bas
C’est ce clivage fondamental que les dirigeants européens veulent ignorer ou récupérer. Ils aimeraient masquer, cacher cette différence. Car alors apparaît la réalité de la construction européenne actuelle : elle sert les intérêts non généraux, non des citoyens, mais des grandes entreprises et de la finance. Elle est poursuivie par des gens qui adhèrent, qui participent à cette élite économique et financière. Elle se propose d’enrichir un peu plus ceux qui ont une fortune de plus d’un million de dollars et qui sont actionnaires de ces sociétés géantes. Et cela ne peut se faire qu’au détriment des salariés, des chômeurs, des allocataires sociaux et des populations du tiers-monde.
Dès lors, le vote « non » au référendum, c’est la victoire de la France d’en bas contre la France d’en haut. Et c’est la conclusion que veulent éviter ces responsables européens. Car ce clivage existe non seulement dans l’hexagone, mais dans toute l’Europe. Il est prégnant dans cette bonne vieille Belgique, symbole de la politique du compromis. Et avec une consultation populaire, il serait apparu ici aussi. On aurait été loin de l’approbation par 85 ou 90% du traité constitutionnel, comme cela a été le cas à la Chambre et au Sénat.
Mais, d’autre part, ce succès du « non » donne un fantastique espoir pour l’ensemble des salariés européens. Il montre ce que peut donner un combat démocratique, mené même à armes inégales (puisque tous les dirigeants des partis officiels sont pour le « oui » et que les médias inondent la population de leurs arguments proconstitutionnels).
C’est un appel qui se justifie également pour la Belgique. Certes, la Chambre et le Sénat ont déjà signé le traité, dans l’indifférence organisée [6]. Mais il y a d’autres assemblées législatives, celles des Régions et des Communautés. Il est encore possible d’arrêter la ratification dans le pays. On peut aussi revendiquer une consultation populaire en Belgique. La victoire populaire du « non » en France souligne de façon significative que, de toute façon, les ratifications parlementaires n’ont pas de validité démocratique. Et si le traité est refusé, comme il représente la synthèse des accords européens précédents, pourquoi ne pas demander la renégociation de ceux-ci ? Pourquoi ne pas exiger qu’on change les termes du traité de Maastricht, par exemple ?
Ceci ne sont encore que des pistes. Elles doivent être discutées et débattues. Mais ce sont ces chemins que le « non » français a rendu possible. C’est la voie de l’Europe populaire, citoyenne, démocratique, sociale, solidaire, pacifique, qui est en marche. C’est celle qui symbolise et que veut la France d’en bas. A nous de porter ce message dans toute l’Europe.
Henri Houben