arch/ive/ief (2000 - 2005)

Les Etats-Unis ne veulent pas d’indiscrets en Irak
by Geert Van Moorter Monday, Mar. 14, 2005 at 6:15 PM

Geert Van Moorter, médecin, était en mission pour Médecine pour le Tiers Monde en Irak pendant et après la guerre. Après la fusillade contre la journaliste italienne Sgrena, il a envoyé ce commentaire éclairant à la rubrique Tribune libre du Soir. Utile pour mobiliser pour la manif européenne contre la guerre du 19 mars!

La journaliste italienne Giuliana Sgrena a été prise pour cible par les soldats américains le 4 mars, le jour de sa libération à Bagdad. Dans une réaction Sgrena dit que, peu avant les faits, ses ravisseurs l’avaient mise en garde : « Les Américains pourraient encore intervenir. Ils ne veulent pas que tu reviennes. » Selon son conjoint, l’attaque était délibérée car Sgrena en savait trop.


Ca me rappelle le tir contre l’hôtel Palestine, le 8 avril 2003, qui a tué deux journalistes. J’étais alors en Irak pour Médecine pour le Tiers Monde. Au moment des faits, je me trouvais deux étages plus bas et j’ai aidé au sauvetage. En guise d’excuse, l’armée américaine a dit qu’on avait tiré sur ses hommes depuis l’hôtel. Mais personne, sur place, n’a entendu de tirs. Plus tard, un soldat américain m’avait expliqué avec fierté comment, de son char, il pouvait clairement voir une tête à 2000 m. Le tankiste qui à tiré sur l’hôtel Palestine à donc pu distinguer nettement les journalistes et leur caméra. Le rapport secret de l’armée US conclut que ses troupes n’ont commis aucune faute.


Ce même jour, le bureau d’Al Jazeera a été victime d’un raid aérien. Un journaliste a été tué. Paul Pascual, de Reuters, m’a confirmé que l’armée américaine savait où Al Jazeera était installé: il avait, à la demande d’Al Jazeera elle-même, transmis les coordonnées GPS du bureau au Pentagone pour qu’on ne leur tire pas dessus.


En mars 2004, deux journalistes d’une autre chaîne arabe, Al Arabiya, ont été abattus d’une balle dans la tête alors qu’ils faisaient demi-tours d’un check-point (barrage routier) américain auprès duquel ils s’étaient fait identifier.


En août 2004, le gouvernement irakien installé par les Etats-Unis a fermé les bureaux d’Al Jazeera pour un mois après que le ministre US de la Défense, Donald Rumsfeld, les a accusés d’anti-américanisme.


Eason Jordan, directeur de l’information chez CNN, a déclaré en janvier 2005, lors du Forum économique mondial de Davos, que plusieurs journalistes en Irak ont été la cible de l’armée américaine. Il a démissionné peu après, suite à des pressions. On l’a mal compris, a-t-il dit.


La Fédération internationale des Journalistes (FIJ) accuse les Etats-Unis de vouloir contrôler et intimider les médias en Irak. Selon la FIJ, il n’y a eu aucune explication sérieuse ni enquête sur la mort de 13 journalistes tués par les troupes américaines en Irak.


Toutes des bavures ?

Qu’est-ce que les Etats-Unis ont à cacher?

En Irak, les Etats-Unis sont confrontés à une résistance croissante. Une résistance qu’ils essaient de briser en menant une sale guerre. Ils «éliminent les terroristes» dans des villes et villages entiers. J’ai pu voir les résultats dans les hôpitaux: de nombreux civils tués et blessés par des bombes (e.a. des bombes à fragmentation), abattus aux check-points, lors de perquisitions à domicile, en rue.


J’ai pu constater que l’armée US elle-même est un facteur d’insécurité. Ses soldats tirent sur tout ce qui leur semble suspect. Même sur les ambulances, malgré l’interdiction de la Convention de Genève. Un soldat interrogé à ce propos m’a répondu: «Cette ambulance aurait pu être pleine d’explosifs». Ils savent qu’ils peuvent agir impunément. D’ailleurs, l’exemple est venu de Bush lui-même, quand il a lancé son attaque préventive contre l’Irak.


En août 2003, j’ai demandé à un MP (police militaire) américain ce qu’il faisait s’il voyait des suspects s’enfuir. Il a répondu: «On les liquide». Il ne devait même pas rédiger de procès-verbal quand un soldat américain abattait un Irakien. Et si jamais il fallait faire un rapport, «on adapte l’histoire en disant que le type s’est enfui en tirant».


Et en novembre 2004, lors de l’assaut contre Fallujah, nous avons vu à la télé un soldat américain achevant un blessé dans une mosquée. Il n’y voyait aucun mal. Ce genre d’attitude n’est pas rare, en Irak occupé. Mais les images ont fait le tour du monde, et l’homme a donc dû rendre des comptes. Fin février, l’armée américaine l’a dégagé de toute poursuite.

Cette guerre a déjà tué au moins 100.000 Irakiens

Les actions des troupes américaines et britanniques tuent bien plus de civils irakiens que les attentats suicides. Soyons clairs, personne ne peut approuver des attaques contre des civils innocents, ni celles de l’armée américaine, ni celles de certains groupes en Irak qui n'ont rien à voir avec une résistance légitime à l'occupation. D’après la prestigieuse revue médicale The Lancet (29.10.2004), au moins 100.000 Irakiens de plus sont morts suite à la guerre. La moitié d’entre eux de mort violente, dont 84% des oeuvres des armées US et britannique (4% de la résistance). Les Etats-Unis veulent cacher leur sale guerre. Lors du siège de Fallujah, l’hôpital de la ville a été occupé, de sorte que les récits des médecins ou les images des victimes n’ont pu atteindre le monde. Et ce sont donc les attentats suicides qui sont aujourd’hui à la une.


En Irak, c’est aujourd’hui le chaos total. J’ai fait, avec des collègues irakiens, une enquête sur la santé en Irak. Deux ans après la chute de Bagdad, la situation est dramatique. Personne n’est en sécurité. Pouvoir d'achat, situation alimentaire et conditions de vie se sont dégradés. Plus de la moitié de la population est sans travail, donc sans revenu. Le prix de la nourriture et des transports a plus que doublé. Il y a de graves problèmes d’électricité, d’eau potable, d’eaux usées, d’ordures. Suite à cela, le taux de mortalité infantile a fortement augmenté. Et l’infrastructure médicale ne s’est pas encore améliorée.


Les occupants semblent ne se soucier que de leurs propres intérêts et sécurité. Tout soutien à l’occupation – y compris la formation de soldats, policiers et juges irakiens, à laquelle la Belgique va participer – renforce l’emprise des Etats-Unis sur l’Irak. Une grande partie de la richesse du pays, le pétrole, risque ainsi d’aller aux multinationales occidentales. Cela ne profitera pas à la population irakienne. Et le chaos risque de demeurer.



La plupart des Irakiens veut le départ des troupes d’occupation. Plus vite ce sera fait, plus il y aura de chances de véritable progrès pour la population irakienne.