Nouvelle théorie américaine: les pauvres, en réalité, sont heureux! by gresea Thursday, Feb. 03, 2005 at 4:08 PM |
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Des universitaires de Pinceton vont construire un nouvel "indice de développement humain" visant à démontrer... qu'il ne faut pas être riche pour être heureux. Et cela cache quoi?
Publiée voici peu, l’information n’a pas fait grand bruit. C’est le Financial Times (10 janvier) qui l’a annoncé : les Américains vont élaborer un nouvel outil statistique pour comparer les performances des pays. Ce sont des professeurs de l’université de Princeton, dont un Prix Nobel, Daniel Kahneman. Il existe déjà des tas d’outils de ce type, ils font le bonheur des rapports des grandes agences onusiennes et cela vaut ce que cela vaut. Pas grand chose. Comme le rappelle George Monbiot, en matière de mesures comparatives de la pauvreté, les chiffres "sont, du point de vue méthodologique, viciés au point d'être inutilisables" (Guardian Weekly, 21 janvier).
Le truc, la nouveauté des Américains est de comparer croissance économique et... bonheur. Un tableau accompagne l’article, il montre que les gens du Ghana, pays pauvre s’il en est, sont aussi heureux que les gens des Etats-Unis. L’argent ne fait pas le bonheur. C’est une vérité profonde et, à gauche, on ne cesse de le répéter : on élimine les inégalités, on paie des salaires d’ouvrier aux patrons et personne ne s’en trouvera plus malheureux, que du contraire. Ils sont révolutionnaires, à Princeton.
Sauf que ce n'est pas cela qu’ils ont en tête, probablement, mais plutôt de "prouver" que les pauvres peuvent sans problème rester pauvres, car ils resteront heureux, et que le Tiers-monde doit cesser de réclamer sa part des richesses dans la croissance mondiale : car c’est pas cela qui leur apportera le bonheur. Bref, un outil statistique réactionnaire.
Veut-on une réplique cinglante à ce genre d'âneries? On la trouve dans l'écrit superbe de Jacques Brouckaert (ancien ouvrier Caterpillar et BP Feluy) que Contradictions vient de publier (n°108, 4ème trim. 2004, l'acheter, le lire!): rivé à sa chaîne de production déshumanisante, il reçoit un jour, comme ses camarades d'infortune, la visite de quelques VIP venus voir comment "cela" fonctionne. L'un d'eux s'approche de lui et lui pose cette question incongrue: "Est-ce que votre travail vous plaît?". Deux mondes! Deux planètes! (La réaction de Jacques: "Je me souviens de l'avoir fixé droit dans les yeux pendant quelques secondes et avoir repris aussitôt mon regard fixé vers nulle part, mes gestes robotisés à une cadence plus infernale que d'habitude. C'est ma manière de parler aux visiteurs." Gageons que le VIP n'aura rien compris. A Princeton, non plus).