arch/ive/ief (2000 - 2005)

Lettre aux institutions europeénnes
by Sergül Albayrak Thursday, Dec. 30, 2004 at 3:02 PM
tayadkomite@hotmail.com

Lettre posthume de Sergül Albayrak morte le 28 décembre après s'être immolée sur la place Taksim.

Lettre aux instituti...
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A l'attention des institutions de l'Union européenne :

Le 26 décembre 2004, une jeune femme dénommée Sergül Albayrak s'est immolée par le feu sur la place Taksim. Deux jours plus tard, elle meurt des suites de ses blessures. Sergül était une résistante du "jeûne de la mort". Elle vécut pendant plusieurs années en Europe. Peu avant sa libération, elle avait rédigé une lettre aux institutions de l'Union européenne. Cette lettre avait été publiée dans le n° 66 de la revue rédigée par les prisonniers eux-mêmes du nom de « Zeybek Atesi » datant du 6 décembre 2004. Dans cette lettre, elle met en cause l'UE et son appui au régime turc dans sa mise en service des prisons de type F et crie au mensonge à propos de la démocratisation cosmétique de la Turquie. Au moment où elle écrivit cette lettre, elle était arrivée à l'article de la mort. Son cri de rage contre l'indifférence face au régime inhumain de l'isolement carcéral et la complicité de l'UE dans le massacre des prisonniers s'achèvera par son ultime acte de protestation sur la place Taksim.
Vous trouverez l'original de ce texte dans le site internet de TAYAD, à savoir : http://www.tayad.org:

Le 29 décembre 2004 Les familles de TAYAD
"Au nom de la démocratie, vous nous avez bazardé un régime carcéral qui a coûté la vie à 117 personnes ; Rendez-nous des comptes !"

A l'attention des institutions de l'UE



Oui, c'est à vous que je m'adresse. Vous, les « mesdames » et les « messieurs » qui siègez dans ces salons qui dominent cette ville de Belgique que je connais trop bien. Je dis connaître parce qu'il y eut un temps où moi aussi, j'étais fascinée par votre faste et vos discours grandiloquents. Mais aujourd'hui, je sais que votre lignée est bidon et vos allocutions vides. Oui, je m'adresse à vous. Vous mesdames et messieurs de cette Grande Europe. Je sais que mes paroles vont vous mettre mal à l'aise. En tout cas, je l'espère. Parce que vous qui êtes assis dans vos fauteuils confortables et qui nous parlez dans votre style ampoulé, vous continuez à vous rendre les complices impitoyables d'un massacre qui se poursuit en Turquie. Et vous ne vous en tirerez pas en maintenant le silence quant à vos responsabilités ou en nous assommant de vos mensonges. Ni l'histoire, ni les peuples d'Europe ne vous en donneront l'occasion. Oui, je suis l'une de ceux dont vous avez nié l'existence lorsque vous avez publié avec beaucoup d'emphase votre fameux rapport sur les progrès démocratiques en vue de l'adhésion de la Turquie à l'UE. Je suis une résistante de ce jeûne jusqu'à la mort que j'ai entamé le 25 juillet 2004 et j'observe donc mon jeûne depuis 132 jours.

VOUS MENTEZ ! Parce que vous avez peur de dire la vérité ! Mais combien de temps pourrez-vous encore la dissimuler ? Avez-vous pensé à cela ? Je suis détenue à la prison d'Usak. La prison d'Usak est l'une de ces prisons que la commission de contrôle de prisons de l'UE a choisi comme prison pilote. Mais, curieusement, votre rapport n'a pas entendu parler d'une personne en résistance dans cette prison où précisément, vous menez un travail de monitorage. Qui essayez-vous de duper ? Bien sûr, être interpelé par cette réalité nécessite un intérêt et une volonté de voir celle-ci. Cette commission sait-elle que l'on fait travailler des femmes et des hommes sans la moindre rétribution depuis des années parce que ces corvées sont appelées « formation » ? Votre commission est-elle au courant des conditions de détention que subissent ces femmes ? Non ! Parce que cette commission n'a pas pris une seule fois la peine de visiter ces cellules ni d'interroger les détenues.

VOUS MENTEZ ! Parce que vous avez peur de la vérité ! Vous dites "aujourd'hui, les comités de contrôle qui sont au nombre de 131 poursuivent leurs inspections ", puis vous publiez quelques chiffres pour tenter de donner un peu de crédibilité à votre argumentation. Mais vous êtes tellement superficiels... Que dites-vous du fait que vous conseillez le gouvernement turc de diminuer les visites mensuelles des prisons à des visites trimestrielles car selon vous, celles-ci sont inutiles ? Vous savez très bien que pour définir si une mesure est bonne ou mauvaise, vous devez tenir compte de l'expérience et du vécu des personnes sujettes à cette mesure, les prisonniers en l'occurrence. La mort et la mutilation de tant détenus sont-elles des indicateurs si négligeables pour les inspecteurs de l'UE ?

VOUS MENTEZ ! Vous fuyez la vérité parce qu'elle ne correspond pas à l'image de la Turquie que vous voulez donner. Avouez que nos conditions de détention contrastent tant avec le discours que vous tenez ces derniers mois. Avouez que l'intégration d'une Turquie démocratisée vous rendrait la tâche de navigation de la Turquie plus difficile. Ce qui vous intéresse, c'est ce que R. Tayyip Erdogan façonne une 'image de la Turquie' et ergote des discours pompeux et creux comme celui-ci : "Au moment où les espoirs s'évanouissaient, la Turquie est passée à l'offensive de manière fort inattendue et a souscrit à un changement que nos amis européens déclarent comme « étonnant ». (...) La Turquie est ouverte à tout développement et à tout changement, a rencontré les demandes de sa population et les exigences fixées par l'Union européenne à travers les critères de Copenhague. (...) Nous déclarons de manière catégorique que « la torture est un maudit crime contre l'humanité » qui ne saurait se justifier en aucune circonstance. (...) Dans notre monde vieux et fatigué où les civilisations n'ont cessé de s'affronter pour des ambitions diverses et des intérêts piteux et malgré les différences d'identités culturelles qui existent entre les hommes, l'unique adresse qui peut démontrer que l'on peut se rassembler autour de valeurs humaines communes sera l'Union européenne « accomplie » avec l'adhésion complète de la Turquie." (29 novembre 2004, Radikal, extrait du discours du discours d'Erdogan à l'Institut de la presse internationale) Combien de temps allez-vous encore mentir ? Le mensonge, cette manière que vous avez de dissimuler la vérité, est un art que vous pratiquez assez brillamment et avec une habitude criminelle. Ainsi, vous vous constituez complices de notre mort sans aucun remords. Vous tentez de vous tirer d'affaire en reniant votre complicité. Mais quoique vous ferez, l'histoire et les peuples d'Europe vous demanderont des comptes pour votre complicité. Aujourd'hui, le sieur Cemil Çiçek du cabinet d'Erdogan qui parle à titre de ministre de la justice, s'appuye sur votre indifférence pour déclarer sous le toit de la Grande assemblée nationale de Turquie la phrase magique qui commence par « l'UE » et qui s'achève par « approuve ». Qu'à cela ne tienne, cet océan de MENSONGES ne suffira pas à aveugler les peuples d'Europe. Oui, mesdames et messieurs assis bien confortablement dans vos fauteuils à Bruxelles, vous faites assurément bon ménage avec vos mensonges et vous continuez à vous engraisser dans vos fauteuils douillets. Mais toujours avec cette crainte : "combien de temps encore ?" Nous, du fond de nos cellules, nous continuons à progresser dans notre chemin de croix depuis 5 ans sans faiblir et aux prix de tant de morts. Mais nous n'avons pas de compte à rendre au peuple et c'est pourquoi, nous avons la conscience tranquille. Si nous sommes sereins, c'est que nous sommes convaincus que nous vivrons éternellement dans la conscience des peuples. VOUS, qui, depuis cette Belgique que je connais, vous terrez dans vos mensonges, vous ne pourrez échapper à la question que vous poseront les peuples d'Anatolie et d'Europe : "COMMENT AVEZ-VOUS FAIT POUR BAZARDER UNE PRATIQUE CARCERALE QUI A COÛTE LA VIE A 117 DETENUS ET QUI A MUTILE PLUS DE 600 D'ENTRE EUX, TOUT CELA AU NOM DE LA DEMOCRATIE. RENDEZ-NOUS DES COMPTES !"

Sergül Albayrak

Résistante de la 11e équipe du jeûne de la mort