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Les « Jours de Pénitence » : Gaza sombre dans une mer de sang
by ei Tuesday, Oct. 19, 2004 at 7:56 PM

Mohammed Omer écrit depuis Gaza - Palestine Occupée. Le 18 octobre 2004. Photographies du camp et article original en anglais: http://electronicintifada.net/v2/article3242.shtml

Les « Jours de Pénitence » : Gaza sombre dans une mer de sang

L'odeur est épouvantable ici. Si vous marchez dans une rue ici, si vous osez, vous évitez ou parfois vous marchez dans des mares de sang. Il y a des morceaux de chair humaine, certains sont méconnaissables comme restes humains -- partout sur les toits, sur les vitres brisées, dans la rue. L'odeur du sang se mélange è l'odeur plus aigre de chair brûlée et noircie par les missiles tirés des hélicoptères israelo-américains Apaches.
Le ciel est plein de fumée noire, causée par les explosions de missiles mais aussi par les feux de pneus et d'autres débris que les gens accumulent. La fumée perturbe les drones de surveillance qui cherchent la chaleur donc mettre le feu dans un endroit ouvert peut provoquer un tir et faire exploser la bombe sans danger.

Toute cette fumée mêlée à la poussière de ciment est un bien et un mal.
L'odeur de la chair et du sang masque jusqu'à un certain point l'odeur des canalisations d'égout détruites et des dizaines de milliers de corps non lavés depuis plus d'une semaine maintenant. L'eau potable est rare et un bien précieux ici, les douches et les bains sont devenu luxe impossible.

Vos yeux pleurent de toute cette fumée ce qui vous protège un petit peu des visions de parties de corps reconnaissables, un morceau de jambe, une partie de torse, des doigts [...]

Des équipes de volontaires rassemblent ces fragments humains et les amènent aux deux hôpitaux de Jabalya mais les ambulances ne peuvent faire face au flot de nouveaux morts et blessés.

Partout des processions funéraires, et des "maisons de deuil", les tentes que les familles endeuillées installent pour recevoir familles et amis. En fait chaque maison, celles relativement intactes et celles partiellement ou totalement détruites par les chars et bulldozers des FID ("Forces israéliennes de Défense") sont une maison de deuil.

Et rien ne vous protège des sons, des pleurs, des cris et lamentations des mères et pères, maris, femmes, enfants des morts, les hurlements des blessés, les sirènes des ambulances, les tirs des snipers, les tirs des roquettes des chars et les explosions trop fréquentes des missiles air-sol des Apaches.

Le temps est distordu ici, les heures semblent des jours, les jours des semaines et des mois. Ceci est le camp de réfugié de Jabalya au nord de la bande de Gaza, un des lieux les plus densément peuplé de la planète ou 106000 hommes, femmes et enfants, l'immense majorité des civils non armés, sont sous offensive générale depuis plus d'une semaine maintenant.

La position officielle Israélienne est que ce carnage est une "réponse" aux tirs de militants palestiniens d'une roquette Qassam sur la ville de Sderot la semaine dernière, roquette qui a tué deux enfants. En fait les premiers chars ont envahi Jabalya des heures avant l'attaque à la roquette sur Sderot, et nous avons tous vu avec terreur les forces israéliennes s'accumuler dans le nord de la bande de Gaza ces dernières semaines, 2000 troupes fraîches, plus d'une centaine de chars et bulldozers.

C'est seulement en m'asseyant pour écrire ces notes que la cruauté du nom donné par les FID à cette attaque "Jours de Pénitence" me frappe. Ils ne se contentent pas de massacrer des civils non armés, ils assassinent le langage lui-même.
"Pénitence" selon ma compréhension est un remord volontaire pour avoir mal agit. Le massacre est-il supposé produire le remords chez les victimes ? Sont-elles supposées faire le deuil de 4 ou 5 soldats israéliens et des deux enfants israéliens et d’accepter la mort de plus de 60 civils palestiniens comme une sorte de justice ? Pour ceux qui nous ont enfermés dans Jabalya, ça ressemble à « Jours de Revanche ».
Il s’agit sans conteste de punition collective et c’est illégal selon les Conventions de Genève.
[…]
Il n’y a aucun refuge à Jabalya. Les hôpitaux sont chaotiques, à court de fournitures médicales et le personnel travaille sans interruption depuis des jours.

Je viens de voir Abu Nedal, le père de Nedal Al Madhown, un garçon de 14 ans, qui lutte pour garder sa contenance en demandant aux médecins épuisés et aux conducteurs d’ambulance « est-ce que mon fils a été tué ? Est-ce qu’il a été tué ? » (en fait son garçon était mort en arrivant…) La majorité des morts et blessés sont des adolescents et des enfants, non combattants.

J’ai interrogé le Dr Mahmud Al Asali, directeur de l’hôpital Kamal Adwan, qui m’a dit qu’il était forcé de conclure que l’armée israélienne a délibérément ciblé des civils. Il a déclaré que la plupart des blessés par balles étaient touchés dans les parties hautes du corps, indiquant que les tireurs d’élite israéliens avaient des ordres de « shoot to kill ». Les médecins palestiniens ont retiré beaucoup de fléchettes des morts et des blessés, indiquant que les FID utilisent des bombes à fragmentation, illégales. Celles-ci libèrent des fléchettes coupantes comme des rasoirs lorsqu’elles explosent.
Dr Al Asali déclare que ces engins à fragmentations augmentent considérablement le nombre de morts ainsi que le nombre et la sévérité des blessures. Les FID ont refusé tout commentaire sur ce sujet.

Le personnel hospitalier et les équipes d’ambulanciers sont tellement extenués qu’ils utilisent des volontaires pour la tâche ingrate de collecter, trier et essayer de rassembler les restes humains pour les retourner autant que possible aux familles. Un de ces travailleurs médicaux, Ahmed Abu Saal, 26 ans, de Kaml Aswan Hospital, me confie, « une des énormes difficultés à laquelle nous faisons face est que ces bombes puissantes peuvent déchiqueter, disperser les parties d’une victime sur une large zone. Il est possible que des parties d’une personne atterrissent à Al Awda Hospital à l’Est du camp alors que d’autres parties de la même personne se retrouvent avec nous dans la partie Ouest. » Parfois les morceaux de vêtements peuvent aider à l’identification.

L’armée israélienne a fréquemment tiré sur les équipes médicales et les journalistes. A date deux ambulanciers ont été blessés et un caméraman de Ramatan News Agency a été touché. Bien évidemment les équipes d’ambulance et la presse portent tous des équipements d’identification.

Israël a fermé toutes les frontières de Gaza et a sévèrement restreint tout mouvement dans la Bande de Gaza. Il y a trois « zones » divisées par des check points militaires hermétiques mais les derniers jours ont vu de nombreux nouveaux check points et de nouvelles routes fermées par les blocs de ciments et les tas de sable. Les gens ne peuvent aller d’une ville à l’autre, pas même les ambulance apportant des patients dans les hôpitaux. De plus le principal passage Israel-Gaza est fermé, même aux ONG internationales, aux groupes humanitaires et aux journalistes étrangers.

[…] J’ai réussi à joindre le porte-parole du CICR Simon Schorno par téléphone et il m’a dit « je suis sur la route de Gaza maintenant. Nous avons parlé avec les FID pour obtenir la permission de porter nourriture et eau mais nous n’avons pu obtenir un OK pour une distribution complète de nourriture ».

De nombreux témoins parmi les résidents du camp m’on dit que l’armée israélienne a organisé plusieurs bâtiments élevés comme postes de Snipers, ceux-ci tirant sur tout ce qui bouge. Une des victime les plus récente est Islam Dweidar, 14 ans, qui a tenté sa chance durant un apparent répit des bombardements, pour aller acheter du pain à sa mère. Elle a été tuée d’une balle dans la tête par un sniper israélien.

Dans la partie Sud de la Bande de Gaza, l’armée a augmenté le nombre de tanks et bulldozers dans tous les secteurs de Khan Younis et Rafah. Il y a eu des bombardements chaque nuit, avec beaucoup de blessés et de morts. Ce matin j’ai parlé avec le Dr Ali Muss, directeur de Abu Yousif Al Najjar Hospital à Rafah qui a annoncé que Eman al-Hums, 13 ans a été tué par un tir de sniper israélien. Il a déclaré « l’enfant est arrivé à l’hôpital après avoir reçu 20 balles dans différentes parties du corps, cinq d’entre elles dans la tête ».

Les témoins palestiniens rapportent que Al Hums a été tuée lorsqu’elle était sur le chemin de l’école avec deux autres écolières. Dans un communiqué de presse les FID ont déclaré qu’elle posait une bombe, par la suite ils furent forcés d’admettre que l’accusation était fausse.

Ces attaques sont pires que celles de la soi-disant « opération Arc-En-Ciel » de mai dernier, qui avait tué 40 personnes à Rafah et initié une protestation internationale. Maintenant le silence de l’Amérique en particulier, semble conduire la Bande de Gaza en un terrain de massacre. Sharon a bien choisi son moment, quand l’Amérique est préoccupée par sa campagne présidentielle et son invasion de l’Iraq, pour décimer les enfants de Gaza. Combien devront mourir avant que le monde se réveille ?

Mohammed Omer vit à Rafah, Gaza occupée et est le webmaster de http://www.rafahtoday.org.
http://electronicintifada.net/v2/article3242.shtml