La
réponse : le Forum social mondial, qui se déroulait
cette année à Bombay. Il a rassemblé plus de
100.000 participants pour dénoncer le monde pourri et
inégalitaire laissé par les 2.000 de Davos.
Savez-vous
qu’en Europe, une initiative similaire a vu le jour ?
L’UNICE, la confédération patronale européenne
qui regroupe les fédérations des pays membres de
l’Union (et d’autres), et la Fédération
des Entreprises de Belgique, membre de l’UNICE, organisent
tous les deux ans une rencontre à Bruxelles qui se veut
être le Davos européen. C’est l’European
Business Summit (EBS) : le sommet européen des
affaires.
L’idée
est de rassembler un millier de personnalités, surtout des
dirigeants d’entreprise et des responsables politiques dans
le but de pouvoir influer sur les grandes orientations de l’Union.
C’est donc construire une Europe au service des grandes
firmes et du capital. Au nez et à la barbe, à l’insu
aussi, mais surtout au détriment des citoyens.
On
en est déjà à la troisième version du
sommet, le premier s’étant déroulé lors
des débuts de l’Euro 2000, la coupe d’Europe de
football, organisée conjointement par la Belgique et les
Pays-Bas, il y a quatre ans.
Lisbonne,
ce n’est pas que la prochaine Coupe d’Europe de
foot Cette année, l’EBS veut donner un
grand coup d’influence.
Normalement,
le sommet aurait dû se tenir en juin prochain. Trop tard
pour les élections européennes. Trop tard pour le
Conseil européen de printemps, qui doit discuter de
l’avancement du processus de Lisbonne.
Car
justement c’est sur ce point que les patrons européens
veulent faire le forcing. Ils veulent maintenir le cap et adopter
un plan plus concret pour réaliser les objectifs de
Lisbonne.
Or,
ceux-ci sont de faire de l’Europe “ l’économie
de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive
du monde ” à l’horizon de 2010. Pour cela,
les chefs d’Etat européens ont décidé
de flexibiliser à outrance le marché du travail,
d’allonger la période de travail, d’élever
le seuil pour prendre sa pension, d’abaisser le coût
salarial, de libéraliser et donc de privatiser des secteurs
entiers comme les télécoms, le transport, la poste
et l’énergie, de favoriser les fonds de pension
privés, etc. Tout cela, c’est Lisbonne.
Et
les patrons y tiennent absolument. Ils veulent des mesures
intermédiaires (avant 2010) plus contraignantes pour être
sûr qu’on aboutira aux objectifs. C’est
là-dessus qu’ils vont concentrer leur influence.
D’où
l’avancement de la date aux 11 et 12 mars, soit quelques
jours à peine avant le sommet européen du printemps.
D’où le thème de la recherche et de
l’innovation qui rassemble l’EBS cette année.
Des sujets liés au processus de Lisbonne. Car ils
signifient pour les dirigeants d’entreprise : réduction
des charges patronales sur l’innovation, orientation de
l’enseignement et de la recherche vers les intérêts
des firmes, ce qui entraîne dans les faits une privatisation
partielle de ces institutions, diminution des charges fiscales et
administratives pour les firmes et finalement flexibilisation du
marché du travail pour permettre aux “ innovateurs ”
d’engager le personnel adéquat quand ils en ont
besoin.
D’où
aussi un message particulier et final à la rencontre
adressé au nom des patrons par Daniel Janssen, président
de la multinationale chimique belge Solvay et membre de la Table
ronde des industriels européens, autre grand lobby patronal
au niveau de l’Union (1).
Qui
décide en Europe ? L’EBS est une
illustration parfaite de la manière dont l’Europe est
aujourd’hui construite. Une façon totalement non
démocratique, aux accents libéraux plus que
prononcés, réalisée au service des grandes
entreprises et au détriment du citoyen, qui n’a pas
voix au chapitre.
L’EBS,
c’est la collaboration et la collusion complète entre
le monde des affaires et celui de la politique. Cinq commissaires
européens sur vingt seront présents comme orateurs :
Busquin, Diamantopoulou, Liikanen, Vitorino et Wallström.
Didier Reynders, ministre belge des Finances, et Daniel Ducarme,
ex-président de la Région de Bruxelles aussi (à
moins qu’il soit remplacé par Jacques Simonet).
D’ailleurs, la Commission européenne et la Région
bruxelloise patronnent l’événement (2). Vous
imaginez la prochaine assemblée d’Attac où
cinq commissaires viendraient pour écouter et prendre des
idées pour leur politique.
Ne
rêvez pas. Ce n’est pas pour demain. Et ne pensez pas
non plus assister à l’EBS. Le ticket d’entrée
est de 980 euros (sans compter l’hôtel : 180
euros par nuit pour le moins cher). Vous pouvez essayer de vous
faire inviter ou sponsoriser. Mais il vous en coûtera encore
490 euros.
Il
est clair que c’est, pourtant, dans cette enceinte fermée
que se discuteront l’avenir de l’Union et ses grandes
orientations. Cela ne sortira pas des urnes de juin. Que le
parlement de Strasbourg ait davantage de pouvoir ou non.
A
quand les 100.000 manifestants pour dénoncer cette
mascarade de démocratie que constitue aujourd’hui
l’Union européenne ?
(1)
Sur la Table ronde, voir Serge Cols, François Gobbe, Henri
Houben et Anne Maesschalk, L’Europe de la Table ronde,
brochure Attac Bruxelles, Bruxelles, 2001, et Observatoire de
l’Europe industrielle, Europe Inc. Liaisons dangereuses et
milieux d’affaires européens, Agone éditeur,
Marseille, 2000. (2) Vous pouvez trouver ces informations et
d’autres sur le site de l’EBS :
http://www.ebsummit.org/
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