[Equateur] «Nous nous sommes tous trompé avec Lucio Gutiérrez» by Sergio Ferrari [ posted by red kitten ] Monday, Feb. 23, 2004 at 2:37 PM |
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Il y a un an, la population équatorienne élisait Lucio Gutiérrez à la présidence de la république. Certains commentateurs voyaient dans ce colonel rebelle un nouveau Chávez. Mais les perspectives de changements dans le pays andin ont tourné court. L'espoir soulevé par la victoire électorale du colonel s'est rapidement évaporé quand celui-ci s'est avéré être un chef d'Etat autoritaire et fidèle aux dogmes du « Consensus de Washington. » Entretien avec Luis Macas, dirigeant indigène de Pachakutik
Luis Macas est certainement bien placé pour parler
de ce retournement de veste. Ancien ministre de l'Agriculture du gouvernement
actuel, il est dirigeant du parti Pachakutik, bras politique de la puissante
confédération équatorienne d'organisations indigènes, la CONAIE. (Rédaction
RISAL) D'un passé obscur … Dans une ambiance tendue marquée par des attentats
contre des dirigeants politiques, la CONAIE (Confederación
de Nacionalidades Indígenas del Ecuador - CONAIE) a réalisé à la mi-février
une série de protestations progressives pour refuser « la
persécution, le crime et l'impunité que tentent d'instaurer le gouvernement
libéral de Lucio Guttierez et ses alliés de droite », comme elle l'a
indiqué dans un communiqué public. Le 1er février, son dirigeant national Leonidas
Iza avait été l'objet d'une tentative manquée d'assassinat. La veille était
assassiné Patricio Campana, un technicien de l'entreprise pétrolière qui enquêtait
sur le vol d'essence à grande échelle dans des centres qui appartiennent à l'entreprise
d'État et qui pourrait tourner autour des 200 millions de dollars. Tous ces faits sont survenus à peine un an après
l'arrivée triomphale de Gutierrez à la présidence du pays grâce au large appui
de secteurs qui aujourd'hui, paradoxalement, sont persécutés. Une histoire accélérée
de surréalisme politique à l'andine qui non seulement surprend par son caractère
intempestif mais qui pronostique des ouragans, comme semble l'anticiper Luis
Macas lors de sa récente visite en Suisse. A la base de ce changement de fond de la conjoncture,
« un président faible qui, évidemment - c'est la ma thèse
- avait déjà pris à l'avance des engagements secrets avec les gouvernants nord-américains
et les institutions financières internationales », dénonce Macas.
Cette alliance particulière de secteurs « avancés »
des forces armées et du mouvement indigène s'était préparée, dans les rues (…)
trois ans avant les élections de 2003. « Le 21 janvier
2000, au moment de la chute du président Mahuad, on a vu participer aux côtés
du mouvement indigène qui avait décrété la mobilisation nationale une trentaine
de cadres moyens de l'Armée, parmi lesquels Lucio Gutierrez qui y avait gagné
son prestige », explique-t-il. Dès qu'il assuma la présidence, « nous
avons commencé à voir dans notre alliance, pour le dire de manière figurée,
une sorte de vie de couple impossible », insiste le dirigeant de la
CONAIE. « L'homme (Gutierrez) est allé aux Etats-Unis et
s'est autoproclamé le meilleur allié du gouvernement américain. De plus, il
a signé une lettre d'intention avec le FMI (un accord)qui imposait des clauses
mortelles pour le mouvement social. » C'est ainsi que commença une insupportable pour
l'alliance dans le gouvernement. Et ces premiers mois critiques de tension progressive
réapparaissent en quelques secondes dans la mémoire récapitulative de l'ancien
ministre de l'Agriculture. « Nous avons réclamé que l'accord
avec le FMI soit rectifié parce qu'il était absolument inacceptable avec ses
ajustements (structurels) très durs… Mais rien n'y fit. Le point culminant fut
le refus des députés nationaux de Pachakutik de voter au Parlement les nouvelles
lois sur le travail. C'est là que la rupture s'est consommée. » … A un avenir préoccupant
Avant cette rupture, au milieu de l'année dernière,
on avait déjà commencé à sentir « un harcèlement croissant. »
Au mois de mai, et alors que nous étions toujours quatre militants de Pachakutik
à assumer de hautes fonctions dans le gouvernement, « on
a vu circuler une liste de 70 personnes à combattre, parmi lesquelles nous figurions. »
Une menace du passé qui acquiert maintenant une
signification spéciale parce que Leonidas Iza, qu'on a tenté d'assassiner le
1er février, était l'un des 70. Tout indique, insiste Macas, qu'on est en train
de mettre à exécution cette menace contre nous, qui « nous
opposons à l'amitié charnelle avec Washington ; aux engagements avec le
FMI ; au démantèlement des droits du travail et des droits sociaux ;
au Plan Colombie ainsi qu'au renforcement de la base
militaire de Manta pour en faire l'un des centres opérationnels stratégiques
de ce plan ». Climat politique asphyxiant, augmentation de la
pression contre les médias de la presse indépendante, détentions arbitraires
de dirigeants populaires - comme ce fut le cas en décembre dernier d'Humberto
Chalango, le coordinateur de la principale organisation membre de la CONAIE,
pour avoir critiqué Gutierrez - … Une spirale ascendante qui fait craindre le
pire, selon Macas. « Bien que je ne puisse pas totalement
le prouver, je crois que des groupes paramilitaires sont en train d'agir. »
De sa dénonciation à la réalité pure et dure,
il n'y a qu'un pas et une série d'éléments qui semblent irréfutables. Parmi
eux, l'existence d'une « Legión Blanca », un groupe paramilitaire
qui s'en est déjà pris à des journalistes et des défenseurs des droits humains.
Et la formation de véritables « armées privées », comme celle de presque
trois mille hommes dirigée par le colonel de la police, lequel est connu comme
le « super-beau-frère » du président. Se replier pour récupérer des
forces Ce processus de « droitisation et militarisation »
du pays s'explique par le changement accéléré des alliances de pouvoir en Équateur.
« Aujourd'hui, Gutirrez est clairement positionné à droite,
et son principal allié est le réactionnaire Parti social-chrétien … qui va l'utiliser
autant qu'il le pourra, et qui le laissera tomber et le remplacera quand il
ne lui sera plus utile », anticipe Macas. Ce dernier perçoit également dans la nouvelle
logique antipopulaire équatorienne un nouveau réaménagement géostratégique.
Face à la crise colombienne et à la dynamique vénézuélienne, face aux processus
ouverts au Brésil et en Argentine, les gouvernants nord-américains font pression
sur les autres pays de la région andine pour créer un contre-poids en Amérique
du Sud. Comment expliquer cette soumission disciplinée
du gouvernement ? « Gutierrez est un faible, il ne
connaît rien à la manière dont on gouverne un pays, il n'est ni un politicien,
ni un homme d'État. Et il lui manque le plus petit sens commun de ce qu'il faut
faire avec la nation.. Il me donne l'impression que ce qu'il a construit autour
de lui, c'est un groupe à moitié « lumpen », dénué de toute honnêteté,
personnelle comme politique. » La critique est aussi dure que la propre autocritique
du ministre de l'Agriculture d'hier, aujourd'hui reconverti en dirigeant social
dans l'opposition. « Le peuple s'est lamentablement
trompé. Nous nous sommes trompés ! » Le futur proche ? « L'Équateur
va vers une plus grande radicalisation de droite. Quant à nous, le mouvement
indigène, le gouvernement a tenté avec un certain résultat de coopter quelques-uns
de nos cadres moyens. C'est à nous maintenant de travailler à reconstruire l'unité
de notre mouvement. Nous devons nous replier pour être sûr d'y parvenir. Pour
élaborer et impulser des propositions alternatives de type économique, social,
politique, capables d'être mises en œuvre à moyen terme », conclut
Macas.
Pour le dirigeant de la CONAIE et directeur exécutif de l'Institut
scientifique des Cultures indigènes (ICCI), « Gutierrez
n'a pas respecté les accords programmatiques de l'alliance créée entre son parti,
le Sociedad Patriótica (PSP) et le nôtre, le Pachakutik,
avec des objectifs clairs de changement et de transformation de l'Équateur. »
Luis Macas
(Photos : Winne.com)
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Traduction : Hapifil, pour RISAL.
Source : SERPAL, Servicio de Prensa Alternativa, 17-02-04.