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Le projet US du Grand Moyen Orient et le rôle de la Turquie
by Ekmek ve Adalet Saturday, Feb. 14, 2004 at 8:04 PM
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L'Empire américain et ses missionnaires de "l'Islam modéré" à la conquête du monde

Le projet US du Gran...
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L’occupation du Moyen Orient et du Caucase alias

« Projet du Grand Moyen Orient »

 

Le 8 février 2004, Numéro: 97

 
Dans le cadre de sa visite aux Etats-Unis, le premier ministre Tayip Erdoğan s’est rendu à l’American Enterprise Institute, l’un de ces think tanks où sont élaborés les projets impériaux des USA. Le discours d’Erdoğan cadrait précisément avec la mission que ses seigneurs lui avaient assignée dans le Moyen Orient.

L’un des principaux sujets de discussion a été le concept de « démocrate conservateur» et à ce sujet, nous avions mentionné que ce concept correspondait au « modèle » que les Etats-Unis voulait appliquer à notre pays. Outre la question chypriote, un autre sujet de discussion a été « l’intégration du Caucase dans le projet du Grand Moyen Orient ». Tayyip Erdogan a précisé que le « processus de démocratisation entamé en Géorgie devait s’élargir à tout le Moyen Orient ». Dans son discours, il a également souligné le rôle particulier de son parti, l’AKP (le parti de la justice et du développement) et de la Turquie dans ce projet.


En quoi consiste ce Projet du Grand Moyen Orient ?

Rien de nouveau. Ce projet constitue le pilier de la stratégie impériale des Etats-Unis au Moyen Orient. (Voir: Ekmek ve Adalet n° 38 : « Stratégie de l’Empire américain » et n° 40, « Résumé du rapport US sur l’Irak, le Moyen Orient et sa stratégie impériale: « Nous voulons le monde »)
Objectif : la mise sous contrôle d’une région dont la cœur serait le Moyen Orient et qui engloberait toute l’Afrique du Nord, du Maroc à l’Egypte, toute l’Asie méridionale jusqu’à l’Indonésie et toute l’Asie centrale, du Caucase à la Chine. Tayyip demande que la « Turquie en soit la colonne vertébrale ». (Source : Yeni Şafak, 1er février 2004)
Si l’on considère que ce vaste territoire regorge de ressources énergétiques, qu’il est traversé par des voies d’accès et de contrôle qui échappent aux entreprises nord-américaines et qu’il est recouvert de foyers de résistance, on comprend mieux l’intérêt de l’impérialisme US pour cette zone. En effet, le projet de l’encerclement de la Russie et de la Chine mentionné dans le rapport sur la sécurité nationale (Ulusal Güvenlik Belgesi) correspond précisément à la stratégie « de l’affaiblissement de toute force capable de contrebalancer la puissance US ».
Le projet comporte trois volets :
Premièrement : répandre la démocratie impérialiste. En d’autres termes : « hisser au pouvoir des gouvernements loyaux à l’impérialisme ». Deuxièmement: instaurer le libre marché dans ces pays, c’est-à-dire, faire de ces pays soumis, des maillons de l’économie impérialiste et de la globalisation, les exploiter et les livrer aux entreprises impérialistes. Troisièmement et le plus brûlant des objectifs : la lutte contre le « terrorisme ». L’élimination des forces anti-américaines passe naturellement par l’écrasement de toute forme de résistance dans la région.
La difficulté de mener à bien le projet du « Grand Moyen Orient » sans l’Europe s’est révélée lorsque les Etats-Unis ont dû frapper à la porte des Nations Unies pour la question irakienne. C’est au moins ce qui apparaît au vu des équilibres actuels. C’est pourquoi, les USA tentent d’intégrer l’Europe à ce projet par l’intermédiaire de l’OTAN. « Tant le représentant permanent pour les Etats-Unis auprès de l’OTAN, Nicholas Burnes, au cours d’une conférence qui s’est tenue à Prague le 19 octobre dernier sur l’OTAN et le Moyen Orient élargi, que le sénateur Chuck Hagel qui a fait un exposé intitulé « Les Etats-Unis d’Amérique, l’OTAN et le Moyen Orient élargi » au séminaire sur la sécurité, organisé à Bruxelles le 23 janvier dernier, ont argué que la sécurité de cette zone devait être assurée par une coopération USA-UE (dominée par les USA) ». (Source: E. Yıldızoğlu, Cumhuriyet, 2 février 2004)
On constatera que dans ce projet, il n’y a rien de « nouveau » pour l’Empire américain. En effet, la création d’un « Grand Moyen Orient » est à l’agenda des Etats-Unis depuis 1995, à une époque où la Russie tentait d’instaurer sa domination dans le Caucase. Dans cette région, les Etats-Unis sont occupés à appliquer leur stratégie d’affaiblissement. Véritable banc d’essai, la Géorgie a été secouée par des bouleversements politiques fomentés par les Etats-Unis et destinés à briser l’influence de la Russie dans la région.


Comment se réalisera ce Grand Moyen-Orient ?

Peut-on trouver la réponse dans l’exemple de l’Irak? Vont-ils créer leur Grand Moyen Orient à coups de bombes et en envoyant leur infanterie ? Vont-ils « soutenir des mouvements d’opposition »? Vont-ils recourir à des moyens de pression politiques et économiques pour assujettir leurs proies à leur « Grand Moyen Orient »?
Ce que Tayyip prescrit, à savoir « étendre le processus de démocratisation qui a commencé en Géorgie », c’est précisément la réponse à cette question. Que s’était-il passé en Géorgie ?
Sous la prétexte de la démocratisation et du respect des droits humains, plusieurs ONG ont fait leur apparition. Des partis et individus d’opposition proaméricains ont été soutenus contre le régime moribond de Chevardnadzé. Des fonds importants leur ont été versés pour renverser son régime. Il est apparu que la Fondation Soros a joué un rôle prépondérant dans le coup d’état qui s’est produit en Géorgie et que le nouveau président Saakachvili a été formé aux Etats-Unis et renvoyés dans son pays pour qu’il menât une politique favorable à Washington.

Tayyip défend l’extension de l’Empire US à travers la formation de gouvernements proaméricains là où une occupation militaire pourrait être mal perçue. Le rôle joué en Géorgie par Saakachvili hissé au pouvoir après un coup de force et celui de Tayyip qui est arrivé par la urnes sont le même.
Sans doute, les Américains préfèrent la méthode douce, style AKP, même si, « la destruction de l’Irak » a eu un rôle persuasif dans cette stratégie d’annexion. En effet, sans détruire l’Irak, il n’aurait pas été aussi facile pour Washington de remodeler la Géorgie ou de faire capituler la Libye de cette manière.
L’invasion et l’occupation de pays comme l’Irak ne sont pas toujours profitables pour l’impérialisme pour différentes raisons : ces occupations nourrissent la colère et encouragent la résistance des peuples, sont économiquement lourdes à supporter etc. L’impérialisme préfère évidemment agir comme il l’a fait en Géorgie ou pousser à la capitulation « sans tirer une seule balle » comme dans le cas de la Libye. Erdoğan, lui, s’est tout simplement aplati face aux Américains: « regardez, je pense comme vous » a-t-il déclaré couardement.
Que ce soit Tayyip ou son mentor Ömer Çelik dont les interventions ont été publiées dans le quotidien Sabah des 1er, 2 et 3 février, ils ne se dissocient pas du projet américain d’intégrer le monde entier au processus de globalisation. Au contraire, ils trouvent cela nécessaire pour « la paix mondiale ». On peut même dire que pour ces individus, la « globalisation » signifie sans équivoque l’Empire américain. L’AKP veut ouvertement que les entreprises monopolistiques des Etats-Unis contrôlent la planète entière.
A ce propos, le discours d’Ömer Çelik est nauséabonde:
 « Pour qu’à l’avenir, le monde puisse vivre en paix, il est désormais nécessaire que les pays gouvernés par la démocratie et qui baignent dans la prospérité, fassent connaître leurs acquis et les partagent avec d’autres pays. »
Leur « paix » est véritablement le comble du colonialisme. Pour Çelik, l’Empire américain est une nécessité et le colonialisme classique apporte la civilisation occidentale et la prospérité aux pays en détresse. Veuillez vous tourner pour voir ce qui s’est passé : pillages, bains de sang, violation de souveraineté nationale, sacrifice des peuples pour leur indépendance,… C’est cela, « la nécessité pour les pays démocratiques et prospères de faire connaître et partager leurs acquis avec d’autres pays ».
On connaît plus qu’assez les conséquences de ce qu’ils appellent « faire connaître » : ces pays « démocratiques » ont envahi et morcelé les Balkans, semé la haine entre les peuples qui y cohabitaient, y ont imposé leur diktats et leurs monnaies. Sur l’Afghanistan et l’Irak, il n’y a aucun commentaire à faire : le peuple irakien qui a été « libéré » au cours de l’opération « liberté infinie » vit actuellement une souffrance infinie.
Est-ce que les pays colonisés sans intervention militaire connaissent un meilleur sort?
Voyez la situation en Turquie! Le peuple vit dans une misère effroyable dans un pays pourtant riche. Notre peuple vit une dépendance totale au point de ne pouvoir donner son avis ni dans les affaires intérieures, ni dans les affaires extérieures du pays. Rappelez-vous : la Turquie avait fait connaissance avec la « civilisation occidentale ». Cela voulait dire en réalité : devenir une « petite Amérique ». Telle était le mot d’ordre du gouvernement Menderes, durant les années 50. Tayyip Erdoğan marche sur la voie tracée par Menderes. Son slogan : « faire de la Turquie un pays modèle » !

 

Si la méthode est différente, le résultat reste le même : la colonisation au profit de l’hégémonie étasunienne.

 

Les flagorneurs américanistes ont néanmoins quelques réserves: “Que ce ne soit pas comme en Irak »! Qu’y a-t-il véritablement derrière l’inquiétude des défenseurs de la globalisation qui donnent tant de leçons de tactiques à Erdoğan et à l’ AKP? Veulent-ils que les peuples ne souffrent pas? Ou bien que les peuples se prennent en main ? Ou encore que le niveau de vie de ces peuples augmente? Rien de tout cela. Les apologistes de la globalisation et de l’Empire américain ne peuvent défendre ses principes si ce n’est par démagogie.
Leur problème, c’est l’image négative dont pourrait s’affubler la Turquie dans le cas d’une participation à l’occupation militaire directe d’un quelconque pays. Ils sont sans doute volontaires pour assumer un tel rôle. Cependant, ils ne voudraient pas être perçus comme des « partenaires dans l’occupation d’un pays musulman ».
Après s’être posé la question sur la réalisation du projet du Grand Moyen Orient, l’éditorialiste Ali Bayramoğlu a mis l’AKP en garde dans un article du quotidien Yeni Şafak paru le 4 février : « Si la politique US à l’égard de l’Iran ressemble à celle qui a été adoptée pour l’Irak et Saddam... dans la mesure où le pouvoir politique (en Turquie, ndt) suivrait la ligne étasunienne, non seulement celui-ci se verrait affaibli au sein de l’Etat mais en plus sa légitimité aux yeux de l’opinion publique en prendrait un sérieux coup..."
Ömer Çelik, quant à lui, donne carrément des conseils aux Etats-Unis : « il faudrait encourager les dynamiques locales de la zone du Grand Moyen Orient qui sont apparues à travers leur demande de démocratie et de liberté... »
On apprend aussi de la plume de Çelik la thèse suivante : « Le point de vue dominant au sein de l’administration US est que le projet du Grand Moyen Orient ne signifie ou ne sous-entend pas une intervention dans la région mais plutôt que celui-ci va être porteur de démocratie et de liberté » !
Pour en revenir à la mission de l’AKP : ce qu’ils appellent « dynamique interne », c’est la création d’un AKP dans chaque pays.

 

La Turquie sera-t-elle le centre du Grand Moyen Orient ou le sous-traitant des USA?

On sait que Tayyip Erdoğan se démène pour faire de la Turquie un pays musulman modèle pour recevoir les faveurs et l’assistance des Etats-Unis. Les menaces proférées à la Syrie et à l’Iran au nom de l’Amérique sont l’illustration du rôle joué par Tayyip. Dans les réunions de l’organisation de la conférence islamique (OCI), le message de la Turquie a été : « changez ou sinon les Etats-Unis vont vous changer. Vous finirez comme l’Irak » Puis, la délégation turque a lancé aux pays de l’OCI un lamentable « faites comme nous ».
Admettons que dans ce projet, la Turquie serait le « centre »! Quel centre ? Depuis quand, la sous-traitance au profit des Etats-Unis pour la conquête du Moyen Orient et du Caucase faisait de vous un « centre »? La sous-traitance, c’est la politique officielle de l’oligarchie turque depuis plusieurs décennies. La différence de l’AKP, c’est que ce gouvernement porte l’étiquette d’islamiste et que cette identité multiplie les facilités de pénétration des Etats-Unis dans la région. Déclarer sa volonté de servir l’Empire en se targuant de représenter « l’islam modéré », c’est l’illustration de cette affection mutuelle qui existe entre l’administration US et l’oligarchie turque.
Certains islamistes, plongés dans leur rêve ottoman bavent de plaisir rien qu’à l’idée que la Turquie va être protagoniste du « Grand Moyen Orient ». Tayyip déclare « vouloir faire de la Turquie l’un des cinq pays les plus puissants de la planète » tout en faisant le compte des récompenses que les Etats-Unis vont lui attribuer en tant que fidèle serviteur. Le seul problème pour les islamistes est que le père de ce projet, c’est Israël…
Si Israël n’avait pas été de la partie, ils auraient affirmé leur loyauté envers les Etats-Unis de manière plus exaltée mais, voyez-vous, c’est qu’ils sont très sensibles à la cause palestinienne!

Ces courtisans du régime soutiennent un gouvernement AKP qui développe toutes sortes de relations avec Israël, qui sert la main ensanglantée de leurs homologues israéliens, puis finalement, ils vous dénoncent le « sionisme » !

 

Appelez cela comme vous le voudrez, « Empire », ou « Grand Moyen Orient », les peuples vont y résister.

L’Amérique continue à imposer son projet impérial avec des noms pompeux en affirmant très clairement que la volonté populaire sera niée et que les citoyens du monde entier seront ses sujets. Pour cela, les USA utilisent des concepts « sacrés » pour pervertir les esprits. Ceux qui défendent la globalisation impérialiste sont de vulgaires instruments qui servent à soumettre les esprits, neutraliser le mécontentement des peuples, banaliser la logique impériale et donner une image « amicale » à l’impérialisme belliqueux et cupide.
L’Amérique et les Américanistes peuvent appeler cela comme ils veulent, peuvent raconter autant de comtes de fée sur la  « démocratie », les « droits de l’homme », la « prospérité », ou faire autant de démagogie sur le « terrorisme » qu’ils le veulent, les peuples savent que ces concepts sont galvaudés, que cela signifie « conquête » et « soumission ». Les peuples ont vécu suffisamment d’exemples pour le comprendre.
C’est cette conscience qui donne aux résistances palestinienne, irakienne et afghane leur légitimité. Les peuples continueront de résister à l’Empire US.
Aux portes de la Maison Blanche, Tayyip Erdoğan peut ânonner autant qu’il voudra que la Turquie jouera un « rôle exemplaire » dans le projet du Grand Moyen Orient et que « les Etats-Unis pourront nous utiliser à souhait ». Quoiqu’il dira ou fera, les peuples donneront encore beaucoup de claques à la figure de canailles comme Erdoğan, comme les islamistes duplices et comme les Américanistes déclarés.