L’enseignement interculturel implique
le droit à une identité culturelle propre by Ecole Sans Racisme Wednesday, Jan. 28, 2004 at 8:55 PM |
A-M Lizin (PS), A. Destexhe (MR) et P. Dewael (VLD), plaident en faveur d’une interdiction du port du voile dans les écoles. Avançant un souci d’émancipation des filles musulmanes et de neutralité de l’enseignement officiel. Une interdiction du foulard ne peut mener qu’à plus d’exclusions, de discriminations et de racisme.
Le débat sur l’interdiction du voile est souvent empreint d’opinions et de positions contre le port du voile en soi. La question qui se pose n’est pas de savoir si on est pour ou contre le port du foulard. Parmi les personnes actives au sein d’Ecole Sans Racisme, pour des motifs divers, les deux tendances sont représentées. Ici, la vraie question est de savoir si l’interdiction du port du voile dans les écoles favorisera l’émancipation des filles d’origine immigrée et nous fera faire un pas en avant vers une société sans racisme et sans discriminations. Et, à cette question, nous répondons par la négative.
Les obstacles majeurs à l’émancipation des femmes et des filles issues de l’immigration, sont les discriminations sur base de leur origine ethnique et sociale. Dès l’âge de 6 ans (donc sans voile), des fillettes d’origine immigrée se voient parfois refuser l’inscription à l’école sur base de leur origine. Le racisme et la discrimination sont une réalité quotidienne pour beaucoup de filles (et garçons) d’origine immigrée. Les jeunes issus de l’immigration sont sur-représentés dans l’enseignement technique et professionnel. Les femmes et les filles d’origine immigrée, qu’elles soient voilées ou non, obtiennent plus difficilement un emploi.
Dans la période 1994-1997, une recherche universitaire commandée par le Bureau International du Travail a montré qu’à Bruxelles, à diplôme équivalent, les personnes d’origine immigrée ont 31% de chances en moins que les Belges d’obtenir un emploi. Pour la Wallonie et la Flandre ces chiffres sont respectivement de 27% et 39%.[1]
Le Provinciaal Integratiecentrum van Limburg ( PRIC) constate que la discrimination et le racisme à l’école, en période de croissance, ont des conséquences néfastes : «le port du voile est, pour beaucoup de filles et de femmes, un élément de développement de l’identité (…). S’il n’est pas autorisé, leur développement personnel s’en trouvera freiné. (…).Elles sont même ouvertement confrontées au rejet de leurs convictions, et de leur identité (…) Un jeune, au moment où se construisent sa personnalité et de son identité, doit évoluer dans un climat éducatif dans lequel les cultures différentes sont reconnues à part entière. Un rejet de l’image culturelle comme conséquence de l’aversion ou de la non- reconnaissance déséquilibrent le processus de construction de l’identité (…) L’école a donc une fonction et un rôle importants à jouer pour accompagner positivement ce processus. » [2]
La fonction sociale de l’école est avant tout d’assurer la progression optimale des élèves, indépendamment de leur origine sociale ou ethnique et de rechercher des méthodes pédagogiques susceptibles de réduire les retards scolaires au lieu de les accentuer. L’enseignement interculturel est un élément essentiel dans cette voie. Le port du voile n’est en rien un obstacle à la mission pédagogique de l’école. Par contre, l’autorisation du port du voile facilite, pour un groupe d’élèves traditionnellement discriminés, une meilleure insertion dans le processus pédagogique.
Un autre argument récurrent est la neutralité de la fonction publique.
L’article 24 de la Constitution décrète : « La Communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves ».
Nous plaidons en faveur du respect du pluralisme dans la neutralité. Les différentes conceptions philosophiques en présence doivent toutes s’y trouver sur pied d’égalité et peuvent être abordées ouvertement. La Belgique a aussi ratifié la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui reconnaît la liberté d’expression religieuse : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté (.. ) de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites » ; De plus le droit à l’éducation est un droit fondamental.
L’école a aussi une fonction sociale. Par son offre d’activités à l’école, Ecole Sans Racisme veut stimuler un enseignement qui mène aux droits égaux, qui rejette le racisme et la discrimination et respecte l’identité de chacun. L’interdiction du foulard est en contradiction avec cet objectif. De plus, elle stigmatise un groupe particulier de la population qui, depuis le 11 septembre 2001, est confronté à un rejet islamophobe. Les musulmans pratiquants sont trop facilement assimilés à des fondamentalistes et on n’est pas loin de la « lutte contre le terrorisme ».De plus en plus de jeunes d’origine immigrée s’opposent au racisme et à la discrimination, justement en mettant l’accent sur leurs particularités. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que l’interdiction du foulard est destinée à couper les ailes à l’exigence de droits égaux pour la communauté immigrée.
Un exemple historique nous renforce dans cette conviction.
Lord Cromer, consul général en Egypte de 1883 à 1907, n’était certainement pas un défenseur de l’émancipation de la femme. Dans la colonie Britannique de l’époque, il augmenta le minerval, mesure qui tint beaucoup de femmes à l’écart de l’enseignement. Il découragea également l’accès des femmes à la profession de médecin. A son retour en Grande Bretagne il fonda le ‘Men’s League for Opposing Women’s Suffrage’, une organisation qui ne renonçait à aucun moyen d’empêcher le droit de vote pour les femmes. Il était pourtant un fervent défenseur de l’interdiction du port du voile. Selon lui, le foulard était, pour les Egyptiennes, « l’obstacle suprême » qui les empêchait d’accéder à « l’élévation de la pensée et du caractère qui devrait accompagner l’introduction de la civilisation occidentale». Les Egyptiennes devraient être « convaincues ou contraintes » d’enlever le foulard pour « se civiliser ».[3] Pour Lord Cromer l’enjeu n’était pas « la promotion » de la femme Egyptienne, mais bien de faire accepter l’occupation coloniale. A cette fin, il était important que les Egyptiens accueillent la civilisation (coloniale) occidentale.
Lizin, Destexhe et Dewael tombent dans la même démagogie que Lord Cromer. Ils tiennent un discours passionné en faveur de l’émancipation de la femme musulmane pour, finalement, défendre une politique qui suscite la discrimination et le racisme. Une société multiculturelle, basée sur les droits égaux (y compris le droit de vote) et l’égalité des chances dans l’enseignement, sur le marché de l’emploi, etc. servira mieux l’émancipation de la femme musulmane.
[1] Contribution belge à la recherche comparative internationale du BIT, Bruxelles, service fédéraux pour les affaires scientifiques, sociales, techniques et culturelles. Enquête sur les prévisions socio-économiques 1997, IISA, GRESP-Université de Liège, CeRP-ULB.
[2] Nuran Akgun, responsable de l’enseignement pour le Provinciaal Integratiecentrum Limburg
[3] Leila Ahmed, women and Gender in Islam. Dans Katharine Viner ‘Feminism as imperialism’.