arch/ive/ief (2000 - 2005)

De la menace terroriste à la paranoïa
by Zehira Houfani Sunday, Jan. 25, 2004 at 6:14 AM

Qui l'eût cru? En 2004, la plus grande puissance du monde se doit de se barricader, de boucler ses frontières, d'interdire le survol de son ciel, de s'armer jusqu'aux dents et même de soûler les gens en ouvrant à fond les robinets de la peur, de la méfiance et de la suspicion, le tout, pour simplement jouir d'une festivité aussi universelle que la célébration du nouvel an, quand bien même grégorien. Qui l'eût cru? Et à qui la faute?
Si la première question ne pose aucun problème et tout un chacun peut se la poser, la seconde en revanche, soulève des tempêtes de toutes sortes d'un bout à autre de la planète. Ici, malgré l'effort gigantesque des gens de bonne foi qui cultivent le rapprochement des peuples et l'élan de solidarité spontané des populations en faveur de la paix, on succombe facilement aux montages médiatiques plus vrais que nature de l'oncle Sam, les États-Unis d'Amérique.

La proximité de la culture (même si le Québec se distingue par une résistance permanente) et la convergence des intérêts politiques et économiques font en sorte que les gouvernements québécois et canadien choisissent de se placer du côté de la force au détriment des droits de la personne. C'est dans cette optique qu'ils cautionnent la politique internationale des États-Unis, notamment en fournissant des soldats chargés de traquer et de liquider toute rébellion ou résistance afghane afin de «normaliser» la vie dans cette nouvelle colonie des États-Unis.

C'est exactement ce que font les forces d'occupation en Irak : réduire au silence la résistance du peuple et se moquer du monde en exhibant l'image de quelques Irakiens choisis pour avoir appris la chanson du bienfait de la colonisation de leur pays, de manière à occulter le désastre humain et matériel infligé par les États-Unis à l'Irak.
Le parrain américain

Dans son message du nouvel an, le pape Jean-Paul II a lancé son traditionnel appel à la paix dans le monde et au partage équitable des ressources de la planète pour mettre fin à la violence. En tant que chef de l'Église chrétienne, il sait très bien ce qui se passe dans les coulisses de notre planète. Son message est très clair et les destinataires aisément identifiables. Qui pourrait croire qu'il s'adresse aux Irakiens, aux Palestiniens et encore moins aux Afghans en lutte contre l'occupation étrangère de leur pays ?
Son appel est destiné aux puissants de ce monde, les États-Unis, véritables parrains de la violence à l'échelle planétaire. Car en ouvrant un nouveau front de la violence dans un Moyen-Orient où les droits humains sont déjà si malmenés, l'administration américaine a commis un crime avec de graves conséquences, notamment pour les Occidentaux, contraints de vivre suspendus au fil d'une menace permanente d'actes terroristes. C'est ainsi que les Américains, sous la gouverne d'une peur savamment alimentée par les médias, et surtout de la paranoïa d'un gouvernement conscient d'avoir semé tant de souffrances, détruit, massacré et poussé au désespoir des pans entiers de l'humanité, ont dû s'isoler du reste du monde pour fêter le nouvel an 2004. Triste réalité d'une humanité censée avoir évoluée et tourné le dos aux époques sombres de son histoire, l'esclavage, l'extermination, la colonisation, etc.

Le désir de paix

Force est de constater pourtant que lorsqu'on est capable de semer le chaos où que l'on veuille, on est forcément capable de bâtir la paix si on en a le désir. Cela, Jean-Paul II le sait, le gouvernement américain aussi, je le sais, vous le savez et les résistants irakiens et tous les mouvements sociaux ou de libération qui se battent pour leurs droits dans le monde, le savent aussi.

L'invasion d'un pays reste une agression en toute circonstance et la dernière dans le palmarès des États-Unis interpelle la conscience universelle. Cela a pris du temps avant que la vérité ne reprenne ses droits, mais maintenant que les mensonges sont dissipés, que tout un chacun a compris les visées de l'administration américaine dans sa guerre en Irak, pourquoi continuer de prêter cette oreille assidue à la Maison-Blanche et lui accorder le bénéfice du doute quand elle se défend de coloniser l'Irak et parle de construire une démocratie ? Merci Jean-René Dufort et votre émission de fin d'année pour m'épargner de citer la longue liste de pays où les États-Unis ont chanté le même refrain avant de les précipiter dans le gouffre et de leur tourner le dos comme de la marchandise avariée.

Forteresse

Pourquoi cette volonté affichée de soutenir un gouvernement raciste et méprisant comme celui du président Bush ? N'est-ce pas raciste, indécent et hystérique que de vouloir humilier son prochain comme on l'a fait avec Saddam Hussein, quels que soient ses torts ? C'est clair qu'à travers lui, on a délibérément ciblé les centaines de millions de musulmans et arabes rivés à l'écran de leur téléviseur. Cela n'a rien d'une opération de justice prétendument pour le compte des Irakiens, mais plutôt d'une vengeance primaire qui satisfait l'obsession du clan Bush.

Y a-t-il la moindre grandeur dans l'attitude de la super-puissance, sinon l'agressivité à l'état brut et la volonté de soumettre les peuples récalcitrants, dans ce cas musulmans et arabes, à une domination conjointe américano-israélienne.

À force de manipulation et de désinformation, le président américain s'est offert le cadeau de Noël idéal, le président irakien déchu qu'il exhiba devant le monde. Un Saddam Hussein dépouillé de tout dignité, docile, soumis, conciliant et d'une lâcheté effarante. C'est incroyable comment l'administration américaine se confond avec Hollywood quand il s'agit d'abuser l'opinion internationale. Et c'est aussi incroyable, et surtout révoltant de voir comment le monde libre s'accommode de ce plat de couleuvres qu'on lui sert à satiété. À coup sûr, voilà de quoi réhabiliter l'image de Bush mise à mal par le nombre de plus en plus grand de soldats américains qui tombent au nom de l'occupation de l'Irak.

D'ores et déjà, la machine de propagande états-unienne est en route pour trouver d'autres marchepieds en faveur de la réélection de George Bush et ses compères, quitte à emprisonner la planète dans un cercle de violence sans fin et à contraindre les populations nord-américaines à vivre la peur au ventre où qu'elles soient. Et nous contribuons tous, de gré ou de force, à cette forteresse. Mais quel goût a donc une «liberté» encadrée par la peur du terrorisme et la paranoïa ? En vaut-elle la peine quand on sait la détresse du reste du monde ?

Zehira Houfani
Écrivaine et journaliste, membre du Projet Solidarité Irak