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Sigma Coatings ou le libéralisme sans foi ni loi
by Sandro Baguet (transmis par JCC) Tuesday December 09, 2003 at 11:01 PM
jcc@lautre.net

Je viens de lire La Nouvelle Gazette. Ca déménage (c'est le cas de le dire) chez Sigma. Les travailleurs retiennent les membres de la direction. L'usine est occupée. La colère est là. Normal. Bain Capital, l'actionnaire principal vire tout le monde. Hop, j'y vais. Je monte dans ma voiture. J'y suis.

Mardi 25 novembre.

Les travailleurs font le piquet autour du brasero. Je salue les militants syndicaux. « Bonjour, je suis délégué chez Mactac. Je viens vous rendre visite, vous apporter un peu de soutien ». La façade est maculée d'œufs. La dernière réunion devait être chaude. On sent le stress, la nervosité, la fatigue. La première nuit d'occupation est dans les jambes.

Je discute un peu avec un permanent de la Centrale Générale : « Hier, vu que la direction ne voulait rien lâcher et qu'en plus elle licenciait la majeure partie du personnel, les travailleurs ont vu rouge. On ferme alors que l'entreprise tourne bien. C'est une délocalisation ». Putain, toujours le même scénario. Le fric, le profit. L'argent roi. La dictature capitaliste. T'as donné 10 ou 20 ans de ta vie à l'usine. Tu t'es esquinté à la tâche (horaire posté, polyvalence,…). Et on te vire comme un malpropre pour s'installer en Pologne (paraît-il), surexploiter d'autres prolos en toute légalité. Il est beau le libéralisme. J'enrage.

Et puis, je pense à toutes ces familles. La maison et la bagnole à payer. Les gosses aux études. L'angoisse de la précarité. L'avenir ?

Et puis les « anciens » ? Retrouver du boulot alors que tu n'as connu que Sigma ? Et les jeunes ? Retrouver un vrai contrat de travail ? Pas évident.

Mercredi 26.

Je suis accompagné par Robert Guillaume, le fringant conseiller communal de Manage. Notre Camarade, dès qu'il entre dans le réfectoire, on le reconnaît. Il va de table en table. Encourage les travailleurs.

« Faut réquisitionner l'entreprise. Et puis on a ni dandjî des patrons pou fé toûrner ène usine. Vô connaissè vô mestî ! ». 80 balais et toujours la flamme de la révolte….

Je discute cinq minutes avec le délégué principal FGTB. « Il y a toujours un blocage. La direction ne veut pas parler de plan social. ».

Pas facile ce qu'il vit. Le stress, les pressions, les huissiers, la crainte d'une intervention policière. Je l'avais déjà rencontré lors d'une formation syndicale. Il était animateur de groupe. Le gars m'avait d'emblée semblé sympathique. Intelligent, ayant de la répartie, posé.

« Si tu passes dans le courant de la journée, tu seras automatiquement informé des dernières nouvelles. Merci de ta visite en tout cas ». De rien, Camarade. La lutte, l'entraide et la solidarité ouvrières, ça veut toujours dire quelque chose pour moi. Non les patrons et les prolétaires n'ont pas les mêmes intérêts. L'égoïsme des uns ne fait pas le bonheur des autres. Un employé me dit « Je te dis pas la traîtrise de la direction. Elle promet plein de trucs, signe des accords… et puis lundi on se fait tous entuber ! Mais maintenant on est vraiment déterminé. Le seul moyen de pression que l'on dispose ce sont les membres de la direction retenus. Le seul moyen de les obliger à négocier ».

Je sors du réfectoire…et qui que je croise ? La députée régionale PS Colette Burgeon !
Une loi, appuyée par les socialistes, contre les licenciements, c'est pour quand ? que je lui lance.
Il y a la loi Renault tout de mêêême, me dit-elle.
C'est insuffisant. On veut une vraie loi qui interdit aux entreprises qui marchent ou qui veulent délocaliser, de licencier ! que je réponds, impérial (non, je rigole).

Je l'agresse inutilement me direz-vous…

Faut dire que j'en ai un peu marre de ces socialos démagogues qui se disent proches « des petites gens ». 25 ans au pouvoir. Et quoi ? Le Plan Global, le blocage des salaires, les attaques contre les chômeurs, les sans-papiers et les minimexés, la libéralisation du marché, le soutien aux dernières guerres (Golfe, Yougoslavie,…), Clabecq et la Sabena, la diminution des cotisations « patronales » et des impôts sur les sociétés (dramatique pour la Sécurité Sociale) …C'est de gauche ça ?

Jeudi 27.

On se retrouve à quelques Camarades sur le site de Sigma : Jean-Pierre Michiels, Pierre Beauvois et Jean-Marie Simon. Celui-ci à deux de ses frangins qui bossent ici. La direction est « libérée ». Les délégations syndicales rencontrent le gouvernement wallon. Pour quelle issue ?

On discute autour des palettes qui flambent. Un ouvrier, la quarantaine : « Quel gâchis ! Jeter des travailleurs qui ont un tel savoir-faire. Et regarde les installations. A la poubelle ? Quel gaspillage ! Rien que pour s'en foutre encore plus dans les poches. C'est dégoûtant ! ». Un autre reprend : « Faut faire comprendre aux politiciens que du travail, nous, on en a besoin ici aussi. ». C'est vrai. Mais ce libéralisme se fout des populations, de l'humanisme et du social. Ce que veulent les actionnaires, les patrons, les capitalistes, c'est faire du fric. Le reste : du pipeau ! Faire de l'argent sans partage. Avec le moins de contrainte possible.

Vendredi 28.

A table ! On négocie. A table ! C'est St Eloi. Amère fête pour les travailleurs de Sigma et leurs familles. De nouveau beaucoup de questions. N'a-t-on pas vu les limites du syndicalisme dans cette tragédie sociale ? Le syndicalisme sans législation forte n'est-il pas impuissant ? Ne doit-on pas mobiliser la population lors de conflits pareils ? Les menaces répressives, notamment des ministres Vandenbrouck (socialiste) et Dewael (libéral), seraient inefficaces face au grand nombre. Ne doit-on pas réfléchir à des lois interdisant les licenciements, des lois de récupération des aides publiques ? Monopoles internationaux, sociétés financières sont antisociaux. Comment faire confiance à Bain Capital, qui dès novembre, était sur le point de racheter de grosses parts de Warner Music, Bombardier (tiens, tiens !) ou Deutsche Bahn ? C'est la course effrénée aux superprofits. Rien à voir avec le développement durable : L'activité des monopoles internationaux entraîne l'aggravation de toutes les contradictions inhérentes au capitalisme, notamment de la contradiction entre le caractère social de la production et la forme capitaliste privée de l'appropriation des résultats du travail ; elle va souvent à l'encontre des intérêts nationaux des pays où ils opèrent et à pour conséquence une intensification de l'exploitation des travailleurs. Sous l'impérialisme une poignée de gros monopolistes, qui disposent d'énormes capitaux, dominent tant l'économie que la vie politique des pays capitalistes. (Petit dictionnaire politique, Editions du Progrès) .

Ici comme ailleurs, la lutte des classes est toujours bien présente ...

Source: http://users.skynet.be/club.achille.chavee/pc%20sigma.htm