Au Congo, quand l'électricité n'est pas là .... by Rayoul Thursday October 30, 2003 at 10:36 PM |
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Raoul Hedebouw et Sille Moens sont 2 jeunes belges qui vivent dans un quartier populaire de Kinshasa en République Démocratique du Congo, Raoul comme journaliste, Sille comme coopérante. A travers leurs «chroniques congolaises », ils veulent faire connaître à travers le monde les réalités de la vie du peuple congolais …
Quand l’électricité n’est pas là …
Par Hedebouw Raoul
Bonjour tout le monde, nous voici de retour avec une chronique congolaise. Un peu particulière celle-là parce que je l’ai écrite à la main cette fois-ci, et non pas à l’ordinateur. Et ce fût à la lumière d’une bougie. Et oui, ce soir, une fois de plus, nous n’avons pas d’électricité … Il faut dire que ce n’est pas un phénomène très exceptionnel dans notre quartier de Matonge. Je pense que nous vivons en moyenne une ou deux coupures par jour. A entendre les échos de nos amis Kinois, je pense que ce rythme de coupures journalières vaut pour toutes les communes de Kinshasa. Sans compter que quand alors nous avons de l’électricité, il est rare d’obtenir un bon «220 volts » … Cette chronique parle d’une grande partie de notre vie à Kinshasa, celle «quand l’électricité n’est pas là ».
Quand l’électricité n’est pas là, le soir, il fait noir dans toutes les parcelles et dans toutes les chambres. Seules quelques lampes au pétrole transpercent cette obscurité. En grands stratèges qu’ils sont, les moustiques malarieux en profitent doublement pour nous piquer. Ces soirs-là, pas de TV et pas de JT. Ces soirs-là aussi, encore plus grave, pas de bière froide. Ces soirs-là, pas de ventilateur pour chasser cette humidité qui vous empêche de vous endormir avec les 35°C de Kinshasa.
Quand l’électricité n’est pas là, je pense à tous ces frigos qui ne fonctionnent plus à travers le Congo. Peut-être enfermaient-ils des médicaments importants ? Ou des légumes frais ? Ou du lait pour le bébé ?
Quand l’électricité n’est pas là, je me rends compte à quel point mon moral est influencé par la lumière. Elle, qui est toujours là dans mon Europe natale, me quitte une fois sur deux ici... Je me rappelle qu’une coupure d’électricité en Belgique a toujours ce côté «exceptionnel», qui la rend même agréable. C’est l’occasion de passer une petite soirée en famille à la lueur d’une bougie. Sans même parler de l’augmentation subite du taux de natalité 9 mois plus tard … Mais ici, après 10 mois, je ne m’habitue toujours pas. Une petite déception m’envahit toujours lorsque nous sommes plongés soudainement dans l’obscurité pendant un chouette feuilleton, une partie de carte ou notre repas.
Quand l’électricité n’est pas là, il y a toujours deux ou trois habitants du quartier qui passent chez nous. Ils viennent pour «la collecte». Quelques centaines de francs congolais permettront d’acheter de la toile isolante ou un morceau de câble, histoire de réparer le «maillon faible» responsable de cette coupure. J’en fini par croire que tout le réseau électrique est un «maillon faible».
Quand l’électricité n’est pas là, je ne peux pas croire que je vis dans le pays avec le plus grand potentiel hydroélectrique d’Afrique. Je ne peux pas croire que le grand fleuve Congo, avec son débit de 50.000 m³ / sec et son potentiel hydroélectrique immense, passe à deux kilomètres de ma chambre. Je ne peux pas croire que le grand barrage hydroélectrique d’Inga est à 200 km de cette tondeuse qui ne demande qu’à tondre ma tête , mais ne peut le faire par manque d’électricité. Je ne peux pas croire non plus que le Congo possède de grandes quantités d’Uranium, celui-là même qui a permis aux américains de rayer de la carte du monde deux villes japonaises en 1945.
Quand l’électricité n’est pas là, je comprends mieux les paroles de Laurent Désiré Kabila qui disait de son vivant que la priorité n’était pas de vendre de l’électricité à l’Afrique du Sud, à l’Egypte ou même à l’Espagne ! la priorité devait aller à l’électricité pour les Congolais …
Quand l’électricité n’est pas là, je comprends également mieux l’intervention au conseil des ministres il y a deux semaines du vice-président Abdoulaye Yerodia qui a dit que la priorité devrait plutôt être axée sur l’électrification du Congo et de ces milliers de villages. Et non pas à l’exportation. Mais cette intervention a-t-elle une chance d’être écoutée au milieu de cette cohue de ministres de la «transition», dont la moitié au moins ont encore servi sous Mobutu, et que les pots-de-vin attirent comme les moustiques le sont par ma peau ? Mais que voulez-vous, c’est ça la démocratie à l’occidentale avec ces schémas imposés à travers le monde, de l’Irak au Congo et de l’Afghanistan au Kosovo …
Quand l’électricité n’est pas là, je ne peux m’empêcher de maudire cette sacro-sainte rentabilité que la banque Mondiale et le Fonds Monétaire International veulent imposer à toutes les entreprises congolaises et du monde. Evidemment que vendre l’électricité congolaise à de grandes entreprises sud-africaine ou marocaine sera sûrement plus rentable que de la vendre à ces millions de congolais gagnant moins d’un dollar par jour… Peut-être devrait-on remplacer la «rentabilité» exprimée en dollars ou en euro par celle exprimée en espérance de vie …
Quand l’électricité n’était pas là, ce soir de début septembre, j’ai bien rigolé en pensant à ces millions d’américains et de canadiens qui était dans le même cas que moi – ou plutôt que nous – ce soir-là. New York était plongé dans le noir pour 24 heures.Et puis, je me suis dis qu’ils devenaient sûrement moins «rentables» eux aussi …
Quand l’électricité n’est pas là, je me rappelle ce petit village cubain, du tiers monde lui-aussi, à Pinar Del Rio en 1997. Le rhum y coulait à flot. L’électricité aussi.
Quand l’électricité n’est pas là, j’espère toujours que mes amis en Belgique comprendront pourquoi je ne réponds pas rapidement à leurs e-mails et pourquoi ce soir, nous ne «chatterons» pas… j’espère que cela ne les empêchera pas de quand même m’envoyer de leurs nouvelles, eux qui reçoivent toujours et quand ils veulent les électrons pour faire tourner leurs machines …
J’interromps soudainement cette chronique. J’entends au loin une foule entrain de crier de joie comme dans un stade de football. C’est bien elle … l’électricité est revenue, mais de l’autre côté de notre commune de Kalamu. Elle ne devrait pas tarder chez nous donc … j’attends. J’attends dans l’espoir qu’elle nous revienne tranquillement. Pas comme cette nuit du mois d’août ou elle nous est revenue sous forme de plus de 300 volts. Assez pour mettre le feu à notre ventilateur en pleine nuit. Pas toujours amusant, il faut dire. Mais pas si grave en comparaison avec cette dame qui me dit encore la semaine passée que son unique moyen de production, son gaufrier, a été «grillé»...
La lumière s’allume et cette chronique s’éteint...
Photo 2 : sans électricité, la "primus" n'est pas toujours froide by Rayoul Thursday October 30, 2003 at 10:36 PM |
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photo 3: un cable électrique brisé à même le sol dans notre rue. by Rayoul Thursday October 30, 2003 at 10:36 PM |
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photo 3: un cable électrique brisé à même le sol dans notre rue. A la saison des pluies , il arrive fréquemment que des gens meurent électrocutés.