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Larzac 2003, carrefour de la contestation sociale
by Denis HORMAN Friday October 03, 2003 at 01:29 PM
denishorman@hotmail.com

Combien étaient-ils, les 8, 9 et 10 août 2003, au Larzac : 250 000, 300 000 ? En tout cas, le rassemblement du Larzac 2003 fut le rassemblement le plus important, réalisé en France à ce jour par les anti et alter-mondialistes. Intermittents du spectacle en colère, enseignants, cheminots, postiers, opposants à la réforme des retraites, militant/e/s du mouvement social et bien sûr alter-mondialistes se sont retrouvés, à travers la convergence des luttes, à l'appel de la Confédération paysanne, ATTAC, les syndicalistes du Groupe des Dix-Solidaires, Greenpeace, Droits Devant, Action contre le chômage, le Droit au Logement, etc…

Septembre 2003.

Ce fut le grand carrefour de la contestation sociale, avec, en point de mire, la préparation du Sommet de l'OMC à Cancun, en septembre, au Mexique. « Le débat sur l'OMC nous ramène à la politique économique en France et en Europe », explique José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne. Les multiples forums allaient couvrir les différents aspects de la contestation et des résistances : l'agriculture, grand enjeu du sommet de Cancun et terrain de la solidarité entre organisations paysannes et producteurs agricoles d'Afrique, d'Amériques, d'Asie et d'Europe, mouvement structuré surtout par « Via Campesina » ; la libéralisation des services ; les OGM ; l'école et la marchandisation ; la culture et la mondialisation ; les droits à acquérir et conquérir, etc.
Lorie Wallach, juriste américaine et membre de Public Citizen, la plus grande association américaine de défense des consommateurs, devait déclarer : « L'OMC est un énorme cancer ; elle est un désastre pour l'alimentation, la santé, l'éducation. Elle doit être remplacée. Il faut que les gens interpellent leur gouvernement en disant : ça suffit ! ». Andile Mngxitama, du Mouvement des sans-terre sud-africains souligne : « 50 000 fermiers blancs possèdent encore 80% des terres. Sept millions d'ouvriers agricoles vivent dans des conditions de servage. Nous refusons que le Nord subventionne ses agriculteurs pour déverser ses produits au Sud qui, lui, se voit interdire de subventionner ».
Marizette Tarlier, une grande figure du causse retrace la lutte des paysans du Larzac contre le projet d'extension du camp militaire, avec la menace d'expropriation des terres. Elle parle de « retour de la solidarité », après le retrait du projet en 1981 : « en établissant des contacts avec la Palestine, puis les paysans sans terre d'Amérique latine. Nous n'avons jamais cessé de nous intéresser au monde qui nous entoure ».
Jean-Emille Sanchez, secrétaire national de la Confédération paysanne, insiste sur le lien entre les différentes luttes : « Il faut construire un discours global de dénonciation et de revendications concrètes, car le lien entre les revendications du printemps et les exigences de l'OMC, c'est la marchandisation de toute activité humaine, y compris les services ».
Agnès Bertrand de l'Observatoire de la mondialisation met l'accent sur « le pouvoir invisible » de l'OMC : « Elle forme l'axe de la nouvelle politique économique mondiale avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Tout est fait pour que les frontières de l'économie débordent les frontières politiques, sapant ainsi l'autorité publique ». Le succès du Larzac tient à plusieurs facteurs. A côté de la convergence de mouvements sociaux, syndicaux , dans un climat de grande tension sociale printanière en France -alimenté encore par l'emprisonnement et la libération « sous surveillance » de José Bové-, il y a deux autres éléments qui ont largement contribué à ce rassemblement « historique » : trente années de résistance au Larzac et la prise de conscience du « cancer » de l'OMC, en particulier à travers la « question paysanne », les OGM, etc.

1. Le Larzac, lieu et carrefour de résistances : 1973-2003.
>Août 1973, c'était la première fête sur le causse : 60 000 personnes étaient venues soutenir les 103 agriculteurs qui, en 1972, faisaient serment de refuser de vendre leurs terres à l'armée française (l'extension du camp militaire avait été annoncée par le ministre de la Défense en octobre 1970). Lors de cette manifestation, sous le thème « Ouvriers et paysans, même combat », plus de 200 salariés de Lip, en grève et occupation, étaient venus de Besançon.
>En 1974, 100 000 personnes se rassemblent à nouveau sur le plateau.
>1976 : 17 paysans sont mis en prison et condamnés à cinq mois avec sursis pour avoir « occupé » le camp militaire.
>En décembre 1978, grande marche vers Paris où 40 000 manifestants accueillent 18 paysans.
>Juin 1981, c'est une première victoire avec l'abandon du projet d'extension du camp militaire. Les terres déjà expropriées sont rendues aux paysans.
>En 1986, l'Américain Mark Ritchie, président de l'IATP (Institute for Agriculture and Trade Policies) vient sensibiliser les paysans locaux aux menaces que faisait peser le GATT (ancêtre de l'OMC) et la libéralisation des marchés mondiaux. C'est en quelque sorte la dimension « altermondialiste » de la résistance qui commence au Larzac.
>En août 1999, des militants de la Confédération paysanne, emmenés par José Bové, démontent le Mc Donald de Millau : action symbolique face aux rétorsions des Etats-Unis envers l'Union européenne, qui refusait l'importation du bœuf des Etats-Unis, dopé aux hormones. Ces rétorsions frappaient, de taxes très élevées, des produits français d'exportation, dont le Roquefort, produit dans la région de Millau.. Le 30 juin 2000, 40 000 manifestants altermondialistes se retrouvaient à Millau, à l'occasion du procès de José Bové.

2. L'agriculture : un enjeu central. Dans son livre « Le monde n'est pas une marchandise », José Bové situe bien cet enjeu central de l'agriculture : « La souveraineté alimentaire, le maintien des paysans, le refus des OGM, la biodiversité, l'occupation du territoire, la diversité culturelle, la protection de l'environnement, la lutte contre les entreprises multinationales, dont certaines des plus puissantes sont agrochimiques ou agroalimentaires, sont des revendications qui font de l'agriculture un enjeu, une question centrale. L'agriculture est l'activité la plus partagée au monde : elle est en train de devenir un axe central et une référence de la résistance »(1).

Trois mois avant le rassemblement du Larzac, et à quelques mois également de l'échéance cruciale des négociations de l'OMC à Cancun, des représentant(e)s d'organisations paysannes et de producteurs agricoles d'Afrique, d'Amériques, d'Asie et d'Europe se réunissaient à Dakar, du 19 au 21 mai 2003. Trois grandes coordinations paysannes étaient présentes : Via Campesina, La Coordination paysanne européenne (CPE), le réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l'Afrique de l'Ouest (ROPPA). La Déclaration de Dakar(2) , intitulée « Pour des politiques agricoles et commerciales solidaires », a d'abord souligné le rôle néfaste de l'OMC : « la libéralisation du commerce agricole et la dérégulation, impulsées par l'OMC, le FMI, les accords de libre-échange sont source d'importants dégâts dans le monde entier : faim, chômage, inégalités, pauvreté, dégradation des ressources naturelles s'accroissent dans le monde rural, en particulier dans le Sud. Les paysan(ne)s sont contraints à l'exode rural et à l'émigration. De plus en plus, l'industrie agro-alimentaire transnationale les remplace et accapare leurs terres (…). L'OMC pousse à une concurrence extrême entre tous les producteurs ; les producteurs y perdent, les consommateurs n'y gagnent pas : la baisse des prix agricoles profite surtout à l'industrie agro-alimentaire et à la grande distribution ». « La politique agricole met en jeu des droits humains fondamentaux et des attentes des populations, en particulier pour les femmes », souligne encore la Déclaration (droit à l'alimentation, à produire celle-ci, accès aux ressources, respect de l'environnement, droit à des revenus décents…). « Pour assurer ces droits en agriculture », continue la Déclaration, « des instruments sont indispensables, en particulier une protection à l'importation et la maîtrise de l'offre. Les prix agricoles doivent couvrir les coûts de production, y compris une rémunération décente de l'agriculteur ». Les organisations paysannes, du Nord et du Sud, réunies à Dakar, ont formulé des propositions pour « un commerce international solidaire », en mettant l'accent sur le principe de souveraineté alimentaire.

3. Les OGM (organismes génétiquement modifiés) Le refus des OGM et leur interdiction sont partie intégrante de la lutte pour une agriculture « durable ». Le développement des biotechnologies végétales et son complément juridique indissociable, le brevetage du vivant, ont en réalité pour but de concentrer dans les mains de quelques multinationales la maîtrise des semences utilisées par l'ensemble de paysans de la planète, au Nord comme au Sud, leur confisquant ainsi définitivement le droit de reproduire librement - et sans royalties- les variétés végétales de leur choix.

Aux Etats-Unis, cinq firmes -Monsanto, Aventis, Syngenta, DuPont et Dow- contrôlent déjà près de 90% des semences OGM, ainsi que les pesticides et herbicides qui leur sont associés. La volonté de démanteler tout contrôle sur la production d'OGM n'a rien d'étonnant à la lumière de ce que l'on sait sur la répartition des surfaces de cultures transgéniques mondiales, en 2002 : 66% pour les Etats-Unis, 23% pour l'Argentine, 6%pour le Canada, 4% pour la Chine, 1% pour le reste du monde. Les excédents de production de céréales OGM aux Etats-Unis sont considérables. Pour parvenir à les écouler en Europe, mais aussi en Afrique,les USA n'hésitent pas à conditionner l'aide alimentaire à l'acceptation d'importation de produits transgéniques et à l'introduction des OGM dans la production agricole locale. Le Sénat américain a même rendu un avis selon lequel les quinze milliards de dollars du plan de lutte contre le sida ne devaient être attribués qu'aux pays qui acceptent l'aide alimentaire de Washington, et, par conséquent, les OGM. La généralisation des productions avec OGM avance à grands pas. Aux Etats-Unis, en 2002, la production d'OGM représentait 75% du soja cultivé, 71% du coton et 34% du maïs. Au niveau de la planète, ce sont 45% des récoltes de soja, 11% des récoltes de maïs, 20% de celles du coton et 11% de celles du colza qui sont génétiquement modifiées.

« Nous devrons encourager la diffusion d'une biotechnologie sûre et efficace pour gagner la bataille contre la famine à l'échelle mondiale » a déclaré le président Bush.

L'adoption par le Parlement européen (2 juillet 2003) d'une nouvelle réglementation sur l'étiquetage et la traçabilité des OGM va certainement conduire l'Union européenne à lever son moratoire sur la production et l'importation d'OGM. Cette décision intervenait après que l'Administration américaine annonçait, le 13 mai 2003, qu'elle allait porter plainte auprès de l'OMC contre l'UE pour son moratoire contre les OGM (moratoire imposé en 1999 sur l'importation et la culture d'OGM). Selon Greenpeace, la démarche des Etats-Unis n'est pas seulement destinée à forcer l'Europe à accepter les OGM : « Les Etats-Unis veulent donner un signe fort aux pays du Sud qui consomment des OGM. C'est une façon de leur dire : voici ce qui peut vous arriver si vous interdisez l'importation des OGM, ou si vous imposez leur étiquetage ».

Selon le texte de la nouvelle réglementation adoptée par le Parlement européen, la mention « Ce produit a été obtenu à partir d'OGM » ou « ce produit contient tel ingrédient obtenu à partir d'OGM » doit figurer sur une étiquette, dans les textes de l'étalage ou de la publicité des produits contenant plus de 0,9% d'OGM. Le 11 septembre 2003, entrait en vigueur le «protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques». Le traité de Carthagène a été adopté en janvier 2000 par 130 Etats, et ratifié à ce jour par 57 Etats(3) . Il ne concerne que les organismes vivants modifiés (OVM), c'est-à-dire les plantes et les graines de plantes transgéniques, capables de se disséminer dans la nature. En revanche, un maïs transgénique importé sous forme de farine, d'huile ou de tourteau n'est pas concerné. L'accord de Carthagène reconnaît le droit de précaution sur les OVM : le destinataire peut refuser cette marchandise s'il estime qu'il y a péril. Toutefois, ce protocole n'oblige que ses signataires. Il n'empêche pas un Etat non signataire - par exemple les Etats-Unis-, dont les OVM sont refusés par un Etats signataire, de saisir le juge de l'OMC. Deux espaces normatifs vont ainsi se trouver sur le même plan, celui de la liberté du commerce et celui de la protection de l'environnement et de la santé. On peut s'attendre à ce que l'Organe de règlement des différends de l'OMC, seul habilité à prendre des sanctions, penche plutôt pour la « liberté du commerce » !

Denis Horman, chargé de recherche au Gresea

A lire également sur : http://www.jcc.lautre.net/article.php3?id_article=451

CANCUN : ECHEC DE l'OMC, FRACTURE NORD-SUD

I. LE MENU. La cinquième conférence ministérielle de l'Organisation mondiale, du
II. LES ENJEUX DE CANCUN.
1.L'agriculture et la sécurité alimentaire
2. L'accord sur les droits de propriété intellectuelle et la santé publique du détenteur du brevet
3. Les matières de Singapour.
III. CANCUN : ECHEC PROVISOIRE ?
1.Les « G » et la fronde des pays du Sud
2. Cristallisation de l'échec autour de quatre dossiers :
2.1. L'agriculture
2.2. L'accès au marché pour les produits non agricoles
2.3. Le Coton
2.4. Les sujets dits de Singapour
3. Après Cancun
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Mais lire aussi :

OMC :LE MONDE EST UNE MARCHANDISE CINQ QUESTION, CINQ REPONSES

I. L'OMC EST-ELLE AU SERVICE DES MULTINATIONALES ?
1. L'article II de l'Accord instituant l'OMC stipule que « l'OMC servira de cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses membres, en ce qui concerne les questions liées aux accords et instruments juridiques connexes ».
2. Le commerce, c'est d'abord l'affaire des sociétés transnationales.
3. A la différence du GATT
4. A titre d'exemple, trois accords illustrent le soutien de l'OMC aux multinationales et à leurs attentes prioritaires.
4.1. L'accord général sur le commerce des services (AGCS)
4.2. L'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle
4.3. L'Accord sur les mesures concernant les investissements liées au commerce des marchandises
5. Le lobbying des multinationales sur le GATT-OMC

II. PLUS LE LIBRE-ECHANGE EST FAVORISE, PLUS LA CROISSANCE EST GARANTIE ET PLUS LE DEVELOPPEMENT EST ASSURE, PRETEND L'OMC. C'est le fondement des Accords de Marrakech.

III. L'OMC DOIT-ELLE ETRE LA GARANTE DES DROITS FONDAMENTAUX ?

IV. L'OMC : UNE ORGANISATION DEMOCRATIQUE ?

V. LES DEUX TIERS DES MEMBRES DE L'OMC SONT DES PAYS EN DEVELOPPEMENT. QUEL INTERET Y ONT-ILS ?
1.Deux poids, deux mesures
2. Le Sud, demandeur à l'OMC !

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REFORMER, SOUMETTRE OU DEMETTRE L'OMC

-Réformer ou abolir l'OMC ?
- Et remplacer l'OMC par quoi ?
> L'OMC ne peut se réformer de l'intérieur.
> Rejeter la marchandisation du monde « le monde n'est pas une marchandise
> Seuls les mouvements sociaux et citoyens peuvent éviter que soient détruits les services publics

Des revendications portées à différents niveaux
1.Vis-à-vis de l'OMC
2.Vis-à-vis de la Commission européenne
3.Vis-à-vis du gouvernement et du parlement belges
4.Vis-à-vis de la commune

GRESEA , rue Royale 11 à 1000 Bruxelles TL : 02.2197076 ; fax : 2196486 ; e-mail : gresea@skynet.be ; site : http://www.gresea.be