arch/ive/ief (2000 - 2005)

L'oppression des femmes dans la mondialisation.
by STÉPHANIE TREILLET, CRITIQUE COMMUNISTE Tuesday September 23, 2003 at 01:40 PM
jcc@lautre.net

L'existence de l'oppression des femmes est bien antérieure non seulement à la mondialisation, mais également au capitalisme. De plus, en raison de ses caractéristiques spécifiques, les conséquences que la mondialisation exerce sur elle ne sont pas données d'avance ni unilatérales. En effet, la mondialisation libérale se traduit par une extension inégale et différenciée, au Nord et au Sud, des rapports capitalistes de production, et les femmes sont aujourd'hui au cœur de ce processus.

Pour appréhender cette complexité, il faut revenir sur la spécificité de l'oppression de genre, et sur ses modalités particulières d'articulation avec le mode de production capitaliste.

Une oppression transversale à tous les rapports sociaux

L'oppression de genre est transversale à toutes les autres formes de domination et d'exploitation dans les sociétés humaines. Elle dépasse en particulier les oppositions de classe ; mais elle traverse également toutes les réalités sociales collectives (partis politiques, syndicats, associations), ou communautaires (ethniques, nationales, religieuses, locales). De plus, elle est étroitement imbriquée à la sphère du privé, de l'individuel et du quotidien, ce qui rend la prise de conscience de son existence et a fortiori l'émergence d'un processus collectif d'émancipation, particulièrement difficile. Enfin, c'est une oppression socialement construite, qui produit une représentation idéologique de différences le plus souvent naturalisées, renvoyées à la sphère biologique ou à la psychologie.

Par ailleurs, l'oppression de genre, si elle n'est pas apparue avec la propriété privée des moyens de production1 ni avec le capitalisme, s'est articulée de façon dynamique avec les différentes étapes de celui-ci : le capitalisme impliquant une séparation croissante des producteurs par rapport aux moyens de production, et une séparation des sphères de production des marchandises et de la reproduction de la force de travail, c'est à lui qu'on doit l'invention du « travail domestique » sous la forme qu'on connaît aujourd'hui, avec son assignation prioritaire voire exclusive aux femmes.

C'est donc en tant qu'étape particulière du capitalisme que la mondialisation libérale doit être examinée dans ses relations avec l'oppression de genre. En provoquant, à une allure jamais rencontrée jusqu'alors dans l'histoire, à la fois l'extension à marche forcée des rapports de production capitalistes et la déstabilisation des anciennes hiérarchies, notamment dans les pays dominés, le mode de production capitaliste se met lui-même sans cesse en danger. Ceci est encore plus vrai si on prend en compte la division sexuelle et sociale du travail qui fonde l'oppression de genre : le mode de production capitaliste tire parti de la gratuité de la reproduction de la force de travail pour augmenter le taux de plusvalue, mais il a en même temps un besoin vital de disposer d'une armée de réserve, de pouvoir à tout moment étendre massivement la salarisation. On peut affirmer, avec Hirata et Le Doaré (1998) que « la constitution d'un marché du travail flexible, au niveau international, où les femmes occupent une position stratégique par leur insertion tant dans le salariat que dans l'informalité est à l'ordre du jour ». La question des conséquences de la mondialisation sur l'oppression des femmes est au cœur de cette contradiction. On peut donc faire, simultanément, les constats suivants :

1) parce qu'il existe une division sexuelle et sociale du travail, les conséquences de la mondialisation libérale sur les hommes et les femmes ne sont pas les mêmes ;

2) dans le même temps, on ne peut pas imputer directement à la mondialisation libérale tous les cas d'aggravation de l'oppression des femmes dans le monde aujourd'hui, dont certains ont des causes beaucoup plus complexes et souvent plus anciennes ;

3) enfin, par sa nature même, la mondialisation libérale bouleverse et déstabilise les rapports sociaux antérieurs et les formes traditionnelles de domination. Il faut bien comprendre que c'est dans un même processus contradictoire et dialectique que ces tendances se déploient.

Pour en savoir plus, lire aussi :

-L'OPPRESSION DES FEMMES DANS LA MONDIALISATION (II)Libéralisation et ajustement structurel : des inégalités accrues; Des évolutions contradictoires, des potentialités de luttes
sur : http://jcc.lautre.net/articles.php3?id_article=438

Références

- Agarwal Bina, « Women and Techological Change in Agriculture : The Asian and African Experience » (A. Iftikhr Ahme, (dir.), Technology and Rural Women, London, George Allen & Unwin, 1985), extraits parus sous le titre « Les femmes et la modernisation de l'agriculture en Asie et en Afrique », Cahiers genre et développement, , Paris-Genève, 2001.
- Bisiliat Jeanne, « Les logiques d'un refus. Les femmes rurales africaines et les politiques d'ajustement structurel », Cahiers du Gedisst, n° 21, 1998.
- Evers Barbara et Walters Bernard, « Extra-Household Factors and Women Farmers Supply Response in Subsaharan Africa, World development, vol 28-7, 2000.
- Hirata Helena et Le Doaré Hélène, « Les paradoxes de la mondialisation, Cahiers du Gedisst, 1998. Katz Elizabeth, Gender and Ejido Reform, Draft Report prepared for the World Bank Ejido Study, 21 janvier 2003.
- Lim Y. Joseph, « The effect of East Asian crisis on the employment of women and men : the Philippine case », World development, vol 28-7, 2000.
- Talahite Fatiha, « L'emploi des femmes au Maghreb. De l'ajustement structurel au postajustement. », Cahiers du Gedisst, 1998. Trat Josette, « Engels et l'émancipation des femmes »,
- Friedrich Engels, savant et révolutionnaire, Labica Georges et Delbraccio Mireille (dir.), Actuel Marx/Confrontation, PUF, 1997.
- Treillet Stéphanie, « La régression du salariat : mythe ou réalité ? Le cas des pays de la périphérie. », Le Triangle infernal, Crise mondialisation, financiarisation, Dumenil Gérard et Levy Dominique (dir.), Actuel Marx/Confrontation, PUF, 1999.
- Valadez Carmen, « L'ALENA et les travailleuses de la sous-traitance industrielle (maquiladoras) », Alternatives Sud, Rapports de genre et mondialisation des marchés, CETRIL'Harmattan, 1998, vol. 5,n. 4.
- Venou Fabienne, « Nouvelles configurations économiques et hiérarchiques », Journal des anthropologues n°77-78, 1999, reproduit sous le titre « Le mariage à l'épreuve du travail en usine : ouvrières de l'industrie de la chaussure en Inde du Sud », Cahiers genre et développement, n 2, Paris-Genève, 2001.
- Verschuur Christine, « L'association des travailleuses indépendantes (SEWA et les travailleuses à domiciles » (adaptation du texte : « Reader's Kit on Gender, Poverty an Employment », Genève, 2000, OIT), Cahiers genre et développement, n 2, Paris-Genève, 2001.