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Sommet de l'OMC: Contre l'Ordre Marchand Capitaliste!
by Michel Husson Sunday September 07, 2003 at 10:17 PM
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Le prochain sommet de l'OMC va se tenir à Cancún du 10 au 14 septembre. C'est l'occasion de rappeler les nombreuses raisons de se mobiliser contre cette monstrueuse machinerie impérialiste.

Le prochain sommet de l'OMC va se tenir à Cancún du 10 au 14 septembre. C'est l'occasion de rappeler les nombreuses raisons de se mobiliser contre cette monstrueuse machinerie impérialiste.

La cinquième conférence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est la première du nouveau cycle ouvert en novembre 2001 à l'issue de la conférence de Doha au Qatar, et qui doit s'achever fin 2004. C'est pourquoi l'ordre du jour est très chargé, avec trois principaux dossiers : les échanges agricoles, les services (AGCS) et la propriété intellectuelle (OGM et médicaments). Un autre enjeu de fond portera sur la suite du cycle de négociations, avec la volonté commune des Etats-Unis et de l'Union européenne d'imposer aux pays du Sud l'ouverture de nouveaux chantiers sur les questions dites de Singapour : concurrence (toujours !), investissements (encore !) et facilitation des échanges et des marchés publics (grands ouverts aux multinationales!).

L'OMC, créée en 1994, est un instrument clé de la mondialisation impérialiste.

Sa philosophie repose sur un intégrisme libéral absolu qui consiste à affirmer que la pleine liberté des marchés est la condition nécessaire et suffisante pour obtenir l'"optimum", autrement dit le meilleur des mondes. Sur le marché mondial, il faut donc faire sauter tout ce qui encadre et réglemente le commerce et les mouvements de capitaux. Dans chaque pays, il faut éliminer les sources de "distorsion" que sont les services publics et les droits sociaux. Tel est le but à atteindre que l'OMC, véritable agence interimpérialiste, poursuit avec une obstination sans faille. Chaque pas en avant dans la libéralisation doit conduire au suivant et aucun secteur n'est tenu à l'écart. Le traité de Marrakech, dont l'OMC est issue, contient même des clauses d'irréversibilité extravagantes qui rendent tout retour en arrière à peu près impossible.

Instabilité croissante

Les échanges mondiaux ont de toute évidence atteint une intensité souvent irrationnelle et cela suffirait à critiquer les objectifs de l'OMC. Cependant le combat altermondialiste ne repose pas sur un refus de principe du commerce, mais plutôt sur le rejet d'un projet totalitaire porteur de régression sociale et de chaos économique. C'est sans doute la critique la plus forte : les préceptes libéraux ne conduisent pas à cette "mondialisation heureuse" que promettait Alain Minc, mais à un fonctionnement de plus en plus instable de l'économie mondiale. Aucune réponse satisfaisante n'est apportée à des problèmes systémiques comme ceux de l'environnement, de l'énergie ou de la santé publique. Les choix prétendument efficients font de plus en plus la preuve de leur inefficacité propre, dès lors qu'on se réfère à d'autres critères que la rentabilité immédiate.

Enfin, cette mondialisation se traduit par un énorme creusement des inégalités à travers le monde. Pour ne donner qu'un seul chiffre, les 20 % les plus pauvres de l'humanité reçoivent aujourd'hui 1,3 % du revenu mondial, contre 2,3 % il y a 30 ans. La raison essentielle en est que, contrairement au dogme libéral, les pays du Sud ne jouent pas dans la même catégorie que ceux du Nord : les effets nets de leur insertion dans l'économie mondiale sont globalement négatifs, comme l'illustre le cas du poulet au Sénégal (voir encadré). Voilà pourquoi le front altermondialiste s'oppose à cette fuite en avant et demande un moratoire permettant de tirer un véritable bilan de cette mondialisation antisociale.

Une institution impérialiste

Les mobilisations autour de Cancún devraient être l'occasion de prendre conscience d'un fait souvent relativisé : l'Union européenne, représentée en tant que telle à l'OMC par le socialiste Pascal Lamy, est une puissance impérialiste. Ses tensions avec les Etats-Unis sont des contradictions interimpérialistes. Pour le reste, les grands groupes européens n'ont pas moins intérêt à profiter de la privatisation des services publics : il suffit d'observer Vivendi ou France Télécom. L'Union européenne joue un rôle actif et a préparé Cancún en faisant pression sur les pays du Sud pour qu'ils acceptent l'ouverture de leurs services publics en échange de la baisse des subventions européennes à l'agriculture, qui défavorisent leurs exportations (The Guardian, 15 février). L'UE marque un intérêt particulier pour le marché de l'eau, y compris dans un pays comme la Bolivie, où les luttes contre la privatisation ont pris une grande ampleur. "Désolé, je ne peux pas faire ça en public" : on comprend mieux le droit à négocier en secret revendiqué par Pascal Lamy (Les Echos, 13 décembre 2002).

L'Union européenne, ou chacun de ses pays membres, impose à ses partenaires du Sud de nombreux accords bilatéraux ou régionaux - par exemple les accords Euromed avec les pays du Maghreb - qui valent bien la Zone de libre-commerce des Amériques (Alca) en Amérique latine. Ces accords vont souvent plus loin que l'AGCS et reconstituent discrètement l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) que les mobilisations altermondialistes avaient envoyé aux oubliettes. Dans ce rapport de domination parfaitement asymétrique, l'Union européenne, qui participe en tant que telle aux négociations, est donc clairement du côté des dominants. Cancún devrait donc être l'occasion de ne pas oublier que l'anti-impérialisme ne se réduit pas à un antiaméricanisme un peu étroit.

Que faire de l'OMC ? Elle est conçue pour la marchandisation du monde, et nous pensons que le monde n'est pas une marchandise. A partir du moment où l'OMC repose sur un postulat intrinsèquement pervers, on ne voit pas bien comment on pourrait la réformer. Les arguments en faveur d'une telle orientation soulignent qu'il s'agit d'une institution plus démocratique que le Fonds monétaire international (FMI) puisque chaque pays y dispose d'une voix ; qu'elle ne donne pas toujours raison aux Etats-Unis; enfin, que mieux vaut une institution que la dérégulation totale prônée par les libéraux extrêmes. Ces sophismes, typiques de la résignation sociale-libérale, sont faciles à démonter. Il faut d'abord être naïf (ou cynique) pour ignorer les fantastiques pressions que subissent les pays du Sud ; que l'OMC soit un lieu de règlement des différends entre grandes puissances ne transforme pas sa nature ; enfin, il va de soi que la lutte contre l'OMC se mène au nom d'un autre ordre mondial, plus solidaire et garantissant mieux la souveraineté des pays dépendants, qui aura besoin de ses propres institutions.

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Les médicaments

"Nous convenons que l'Accord sur les Adpic [aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce] n'empêche pas et ne devrait pas empêcher les membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique." Cette concession à la simple humanité, arrachée à Doha, laissait cependant une question en suspens : celle des conditions d'approvisionnement de la majorité des pays pauvres, incapables de produire eux-mêmes des génériques bon marché.

Les groupes pharmaceutiques ont brandi la menace de réexportations de génériques vers les pays du Nord pour limiter les dérogations aux pays producteurs. Ils ont fait pression aussi pour limiter strictement la liste des maladies concernées. Un compromis avait été trouvé avec le "texte Motta" qui ne répond qu'imparfaitement aux besoins des pays du Sud puisqu'il exclut des pathologies aussi graves que le cancer ou le diabète. Refusé par les Etats-Unis en décembre 2002, il vient de refaire surface sous la forme d'un préaccord conclu à quelques jours de Cancún. Sur le papier, il autorise un pays du Sud producteur de génériques à les exporter vers d'autres pays non producteurs. Mais les conditions mises - comme le vote d'une licence obligatoire - vont rallonger les délais et permettre à l'industrie pharmaceutique, par l'entremise des Etats-Unis, de continuer la guérilla juridique qu'ils mènent depuis des mois.

Avec dix millions de morts du sida, de la tuberculose ou de la malaria depuis Doha, les enjeux de ce débat sont pourtant dramatiquement concrets. La mobilisation autour du sommet peut empêcher qu'un accord bidon se substitue à l'affirmation du droit absolu des pays du Sud de se donner les moyens nécessaires à la lutte contre ces pandémies. L'OMC n'a aucune légitimité en ce domaine. Ses dérogations sont nos priorités.

M.H.
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L'AGCS

L'Accord général sur le commerce et les services, signé en 1994, vise à libéraliser les services. Chaque pays négocie une "liste" qu'il "offre" à la libéralisation : il s'engage alors à garantir un libre accès à ses marchés et une égalité totale de traitement à l'égard de n'importe quel autre pays. Les services publics sont clairement visés dans l'article 8 : "[...] chaque membre fera en sorte que tout fournisseur monopolistique d'un service sur son territoire n'agisse pas, lorsqu'il fournit un service monopolistique sur le marché considéré, d'une manière incompatible avec les obligations du membre." Certes, l'article 1 exclut les services "fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental", mais cette catégorie se réduit à "tout service qui n'est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services". La santé ou l'éducation sont donc dans le champ de l'AGCS.

Là encore, Cancún devrait être l'occasion de rééquilibrer les points de vue. En Europe, le processus de libéralisation est porté par les institutions européennes, et la "liste" offerte par l'Union européenne est en deçà du degré de libéralisation d'ores et déjà atteint sur le marché intérieur. L'AGCS est donc avant tout un accord impérialiste qui pèse sur les pays du tiers monde soumis à ce contrat léonin qui signifie la mise en coupe réglée du secteur des services publics, très souvent au profit des groupes multinationaux, y compris européens.

M. H.
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L'agriculture

Le dossier agricole comporte deux grands volets. Le premier est la rivalité entre les Etats-Unis et l'Europe qui se reprochent mutuellement leurs subventions (respectivement 52 et 88 milliards de dollars). Il avait contribué à l'échec de Seattle et failli faire capoter Doha. Les pays du Sud et le groupe de Cairns (dix-sept pays exportateurs dont l'Argentine, l'Australie et le Brésil) avaient alors exercé une pression conjointe à propos de ces subventions et de l'accès aux marchés du Nord. Quelques promesses avaient été obtenues en échange de la mise en place de ce nouveau cycle, sous le titre flambant de "Cycle du développement".

Le volet Nord-Sud met le doigt sur les effets nuisibles des politiques des grandes puissances : alors que l'accès à leurs marchés est contingenté, les Etats-Unis et l'Europe inondent le reste du monde de leurs surplus subventionnés à prix artificiellement cassés. Fanny Pigeaud, dans Libération du 5 août, a bien démonté ces mécanismes dans le cas du poulet au Sénégal. Les nouveaux tarifs douaniers imposés par l'OMC et le FMI interdisent de protéger cette industrie qui se trouve alors directement en concurrence avec les excédents subventionnés : le kilogramme de volaille importé vaut 250 francs CFA alors que la production locale est à 1 200. Le cercle vicieux s'enclenche très vite : perte de revenus ou faillite pour les producteurs nationaux et déficit commercial creusé.

Cancún risque d'être un nouveau marché de dupes. Comme par hasard, une proposition commune des Etats-Unis et de l'Union européenne a été conclue au dernier moment (le 13 août dernier). Elle reste très vague mais simule une baisse des subventions, afin d'imposer au Sud un degré supplémentaire de libéralisation, tout en essayant de faire passer en douce la fin du moratoire sur les OGM en Europe.

M. H.