Lettre aux non-informaticiens by brevets-logiciels.info Monday August 25, 2003 at 03:53 PM |
Brevets logiciels: il est urgent pour l'Europe, donc pour nous, de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un débat entre informaticiens, mais bien d'un choix hautement politique qui peut remettre en cause notre indépendance et nos libertés.
Vous savez tous que l'informatique en général et de façon
plus visible l'Internet sont en train de prendre une place prépondérante
dans notre vie. Les échanges d'informations (entre entreprises et
entre particuliers) sont de plus en plus souvent réalisés avec
des moyens informatisés. Les modes de communication ont été
largement modifiés par le courrier électronique ou les messageries
instantanées. Les services fournis par l'informatique dans une entreprise
sont maintenant considérés comme stratégiques par l'entreprise.
Cet enjeu stratégique prend encore plus d'importance pour les services
gouvernementaux (sûreté nucléaire, militaire, les renseignements,
etc).
Or le 17 juin 2003, sur proposition de l'Office Européen des Brevets
(OEB), une des commissions du Parlement européen (la commission juridique)
a adopté un rapport qui autorise la brevetabilité du logiciel.
Il faut aussi savoir que les lobbies pro-brevets avaient réussi à
faire avancer la date du vote définitif (au 1er juin) afin de bloquer
toute tentative de contre-lobbying. Le vote définitif aura bien lieu
en séance plénière le 1er septembre 2003 à Strasbourg.
Où est le problème ?
Il faut savoir qu'un logiciel est écrit par un programmeur sous forme
de texte: c'est le code source. Ceci justifie la protection actuelle du code
source par le droit d'auteur, comme les écrits (les livres, articles
par exemple) sont protégés par le droit d'auteur. Si vous écrivez
une recette de cuisine pour faire un nouveau type de crêpes, votre
écrit est protégé par le droit d'auteur. Je ne peux pas
copier votre recette telle quelle sans votre accord sinon je peux être
poursuivi pour plagiat. C'est l'application normale du droit d'auteur. Je
peux par contre réécrire votre recette mais à ma façon.
Je peux ainsi faire les mêmes crêpes car vous ne pouvez pas breveter
les crêpes. Néanmoins, les brevets actuels peuvent intervenir.
Si vous inventez le fouet qui permet de monter les oeufs en neige, vous pouvez
breveter le fouet. Vous avez breveté un moyen technique pour monter
les oeufs en neige. Par contre, et c'est important, vous ne pouvez pas breveter
l'idée de monter les oeufs en neige. Ainsi si j'invente le mixeur
pour monter les oeufs en neige, je peux breveter ce moyen technique et être
en concurrence avec vous sur le marché des outils pour "monter les
oeufs en neige". Les brevets actuels ne sont pas un frein à l'innovation.
Malheureusement les brevets logiciels qui risquent d'être votés
ne font pas suffisamment la distinction entre le moyen technique (le code
source qui est souvent considéré comme le moyen technique et
est déjà protégé par le droit d'auteur) et l'idée,
les concepts sous-jacents (ce que fait et manipule le programme).
Pour en revenir aux logiciels, voici un autre exemple. La barre de progression,
que vous voyez quand vous effacez ou déplacez un dossier, ou bien
chargez une page web, est brevetée (EP 394160, valide jusqu'en 2010).
Peu importe que quelqu'un ait réinventé la roue pour recréer
une barre de chargement, quelle que soit la technologie mise en oeuvre, quelle
que soit la taille, l'apparence. Cette personne devra payer si cette loi
passe, peu importe qu'il ait inventé le loquet si la barre est déjà
brevetée.
Aux USA, les brevets logiciels existent déjà. Les acteurs
importants du secteur (IBM, Microsoft, etc.) se sont constitué un
"portefeuille" de brevets qu'ils négocient avec leurs concurrents
pour pouvoir utiliser d'autres brevets. Nous assistons donc à un renforcement
des sociétés qui possèdent des brevets. Pour le comprendre,
reprenons notre exemple. La société qui a le brevet "barre
de progression" ne peut plus être concurrencée sur ce marché.
Elle est, par la loi, la seule qui peut autoriser une autre société
à fournir un moyen permettant d'indiquer l'état d'avancement
d'une opération avec une barre de progression. Toutes les sociétés
qui ont besoin de cette fonctionnalité doivent payer une licence d'utilisation
au détenteur du brevet. Il va de soit que le détenteur du brevet
fera varier le montant de cette licence, si elle n'interdit pas l'utilisation
purement et simplement. Les concurrents les plus directs devront s'acquitter
d'une taxe importante ou n'auront tout simplement pas le droit d'utiliser
le brevet si elles ne sont pas en mesure de faire pression avec leurs brevets.
Ainsi, une petite société, même très brillante,
ne peut concurrencer une société avec un large "portefeuille"
de brevets. De plus, les petites sociétés ne peuvent se payer
autant de brevets, les frais étant estimés à 25000 euros
par brevet, et ne peuvent donc rivaliser.
Même dans le cas d'une invention qui aurait dû être reconnue
comme triviale, et donc n'aurait pas dû pouvoir être brevetée,
la procédure judiciaire nécessaire à la démonstration
de cette trivialité est souvent lourde et coûteuse. On peut
légitimement se demander comment une PME peut se défendre contre
un conglomérat qui l'attaque pour violation d'un brevet accordé
de façon douteuse. Tous les grands groupes, et notamment les groupes
américains possèdent une section juridique très développée.
Une PME, par contre, verra souvent son patron et ses salariés se rendrent
eux-mêmes au procès, ce qui génèrera un grand
manque à gagner en terme de productivité. On voit parfaitement
l'impact financier qu'une rafale de procès, comme celles vu dans les
affaires Bleem contre Sony et Creative contre Aureal, peut avoir sur une
entreprise de taille modeste.
De tels brevets impactent aussi négativement le logiciel libre.
Bien que peu connus du grand public, les logiciels libres sont très
utilisés dans les infrastructures. Par exemple, les serveurs qui utilisent
des logiciels libres représentent plus de 60% de l'Internet. Les logiciels
libres sont des logiciels fournis avec les codes sources et vous autorisant
à les modifier à les redistribuer librement. Malheureusement,
si les brevets logiciels existent, un logiciel libre qui utilise une barre
de progression devra s'acquitter d'une licence. Ceci est totalement incompatible
avec le logiciel libre. De plus, le logiciel libre étant principalement
basé sur des développeurs bénévoles, il va sans
dire qu'ils n'ont pas les moyens de déposer un brevet à 40
000 €. Ainsi la saine concurrence qui existe entre les logiciels libres et
les logiciels propriétaires (non libres) ne sera plus équitable
car comme on l'a vu, celui qui possède des brevets a un avantage énorme.
Ce point est important car le logiciel libre est souvent considéré
comme le meilleur concurrent aux systèmes actuels qui sont en position
de quasi-monopole (Windows pour les systèmes d'exploitation, Internet
Explorer pour les navigateurs, MS Office pour les suites bureautiques, etc.).
L'Europe est le plus important acteur du logiciel libre, ce qui représente
une alternative viable aux systèmes venu d'Outre-Atlantique, et est
à même de garantir notre indépendance dans des domaines
stratégiques.
Il faut savoir que les gens qui traitent les demandes de dépôt
de brevet ne sont pas toujours spécialistes des logiciels, donc qu'ils
ne sont pas toujours qualifiés pour juger de la nouveauté des
inventions. Or un brevet trivial, s'il est fondamentalement nuisible, est
aussi difficile à faire annuler compte tenu des coûts engendrés
par une procédure d'invalidation.
L'OEB a d'ores et déjà accepté plus de 30 000 brevets
logiciels, pour l'instant invalides. Plus de 80% de ceux-ci ont été
déposés par des sociétés américaines ou
japonaises. S'ils deviennent valides, vous pouvez imaginer ce qui va se passer.
Pour finir, voici une petite citation du communiqué
de presse des verts européens:
«Les députés britanniques et allemands (PSE et PPE),
en rejetant certains amendements, ont ignoré l'avis du Conseil économique
et social, de la commission industrie, de la commission culture, de 150 000
pétitionnaires, de 30 scientifiques et spécialistes du logiciel
européen ainsi que les 95% de réponses négatives que
la Commission européenne a reçu lors de sa consultation publique.»
Il est urgent pour l'Europe, donc pour nous, de comprendre qu'il ne s'agit
pas d'un débat entre informaticiens, mais bien d'un choix hautement
politique qui peut remettre en cause notre indépendance et nos libertés.
L'Europe a toujours été soucieuse d'établir des règles
équitables de concurrence. Elle s'affirme de plus en plus face aux
États-Unis et elle a entre autres gagné son indépendance
dans les domaines stratégiques du spatial (Galiléo est le plus
bel exemple récent) et de l'aéronautique. Dans cette progression
qui ne peut être remise en cause, l'Europe doit se donner les moyens
pour aussi gagner son indépendance dans le secteur de plus en plus
stratégique de l'informatique et non instaurer les brevets logiciels
qui la rendraient, de fait, dépendante des États-Unis.
Pour trouver des informations complémentaires:
- ftp://gpl.insa-lyon.fr/pub/GPL/brevets.pdf
- http://brevets-logiciels.info
- http://www.eurolinux.org
- http://swpat.ffii.org
Aidez-nous à diffuser l'information au plus grand nombre: les députés
européeens sont déja prévenus mais nos élus (bourgmestres,
échevins, députés, sénateurs, ....) ainsi que
le grand public ne sont pas informés (en général...).
Merci de rediriger cette lettre si vous partagez nos convictions.
Brevet "barre de progression"
- Dynamic progress marking icon. http://swpat.ffii.org/pikta/txt/ep/0394/160/
Brevet "Amazon 1click"
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