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Dix ans de globalisation, dix ans de développement en veilleuse
by Dr Wim De Ceukelaire Wednesday August 20, 2003 at 09:53 AM

Le 8 juillet, l’organisation des Nations unies pour le développement, le PNUD, publiait son rapport annuel, intitulé Rapport Mondial sur le Développement Humain. Cette année, le rapport fait une évaluation des avancées et des régressions, dans le monde, sur le plan du développement au cours des années 90. Le résultat est tout bonnement affligeant: aujourd’hui, 54 pays sont plus pauvres qu’en 1990.

Dix ans de globalisa...
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Dans 34 pays, l’espérance de vie a régressé. Dans 21 pays, la famine a augmenté et dans 14 pays, la mortalité infantile s’est elle aussi accrue. Dans 12 pays, le nombre d’enfants fréquentant l’école primaire à lui aussi fortement diminué en dix ans.
Dans 21 pays, le Human Development Index (HDI) a baissé. Cet index combine divers paramètres de développement et les Nations unies s’en servent pour mesurer le développement général. Les spécialistes qui ont établi le rapport le disent eux-mêmes: 'Naguère, un tel recul était très rare.' Au cours des années 80, seuls quatre pays avaient présenté un HDI en régression. Et, pourtant, on avait qualifié à l’époque cette décennie de 'décennie manquée' pour le développement.

L’examen des tendances du développement au cours de cette période de dix ans est intéressant parce que les années 90 ont été appelées la décennie de la 'globalisation'. Ce terme renvoie à la propagation à l’échelle mondiale du capitalisme. Ce n’est pas vraiment un phénomène nouveau mais, au cours des années 90, la soif de profit des multinationales a atteint des sommets encore jamais vus – et, partant, l’exploitation à l’échelle mondiale aussi.

Il n’est guère étonnant, dans ce cas, que le terme 'globalisation' soit synonyme d’inégalité croissante. Selon le PNUD, le pour-cent le plus riche de la population mondiale (en gros, 60 millions de personnes) disposent d’un revenu global aussi important que celui des 57% les plus pauvres (autrement dit, 3,4 milliards de personnes). Le revenu par tête en Europe occidentale est actuellement 13 fois plus élevé qu’en Afrique. En 1820, lorsque la colonisation – ou 'globalisation', si vous voulez – du continent devait encore se faire, le revenu par tête, en Europe, n’était encore que 3 fois plus élevé.

Il est également intéressant d’examiner comment cela s’est passé pour certains pays ou groupes de pays. Fin des années 80, début des années 90, l’Union soviétique et le bloc de l’Est disparaissaient de la scène, en même temps que ce qu’il restait là-bas du socialisme. Les années 90 coïncident donc avec les dix premières années pendant lesquelles ces pays ont pu 'bénéficier' du capitalisme. Et comment les choses de sont-elles passées, dans ce cas? De façon catastrophique, en fait. Hormis la Pologne, tous ces pays ont irrémédiablement sombré dans la pauvreté. Le nombre de personnes qui doivent s’en sortir avec moins d’un dollar par jour – la norme mondiale fixée par les Nations unies pour définir l’extrême pauvreté. En Russie, plus de la moitié de la population gagne aujourd’hui moins de 4 dollars par jour, le seuil de pauvreté absolu pour les 'pays développés'. Actuellement, les chances pour qu’un enfant venant au monde aujourd’hui atteigne un jour l’âge de 65 ans sont inférieures à 50% (1 sur 2).

Mais il y a également des nouvelles moins alarmantes: en dix ans, la Chine est parvenue à réduire la pauvreté de moitié, de sorte que 150 millions de Chinois ont disparu des statistiques de la pauvreté. De façon ironique, c’est cette même Chine, l’un des rares pays à ne s’être pas de bonne grâce laisser gagner par la 'globalisation' dans les années 90, qui, en fait, sauve la face du monde. Dans un monde d’où la Chine serait absente, ce rapport contiendrait encore à peine une faible lueur d’espoir.

Si nous faisons abstraction de la Chine, les statistiques des années 90 sont carrément dans le rouge, et sur toute la ligne. Grâce à son importante population, ce pays a naturellement un poids énorme dans les statistiques mondiales et ils fait remonter les moyennes vers le haut. Le PNUD en arrive par exemple à la conclusion que, dans les années 90, le nombre de pauvres sur terre a baissé de 123 millions et que le nombre de gens souffrant de la faim a régressé de 20 millions. Mais sortons la Chine des statistiques et il apparaît que pour le reste du monde, le nombre de pauvres a quasiment augmenté de 30 millions, de mêle que le nombre de gens souffrant de la faim.

Ces statistiques nous réservent encore d’autres surprises. Mais peut-on encore considérer comme une surprise les excellents résultats de Cuba? En prenant le HDI comme repère, Cuba apparaît au 52e rang sur la liste des pays – tout juste dans le groupe des pays 'développés'. Dans le classement selon les revenus, Cuba se situe 38 places plus bas. Cuba est donc passablement pauvre. Et pourtant, l’île de Fidel Castro réapparaît de nouveau au cinquième rang des pays développés selon l’index de pauvreté du PNUD. Cela provient du fait que cet index ne tient pas seulement compte du revenu des personnes. Cuba compense ses bas revenus par d’excellentes prestations dans les taux d’instruction et d’alimentation et par l’absence d’extrême pauvreté. De ce fait, le PNUD considère Cuba moins pauvre que Singapour, par exemple, un pays où le revenu moyen est quatre fois plus élevé mais où la sous-alimentation et l’analphabétisme atteignent des niveaux relativement élevés.

Enfin, le rapport évalue également les efforts des pays riches en vue de combler le fossé. Comme il fallait s’y attendre, ces efforts ont été estimés trop légers. La critique ne concerne pas seulement la réduction des dépenses consacrées à l’aide au développement, mais également le poids insupportable des dettes, l’iniquité du commerce mondial et le manque d’accès des pays pauvres à la technologie. Les pays riches éliminent du marché la concurrence des paysans pauvres du tiers monde en accordant de colossaux subsides à leur propre agriculture. Ainsi, l’Union européenne accorde autant de subsides à chaque vache laitière européenne que d’aide au développement à chaque Africain. Les Etats-Unis donnent trois fois plus de soutien à leurs propres travailleurs du coton qu’à toute l’Afrique noire. Dans un même temps, les brevets empêchent l’accès des pays pauvres au développement technologique, lequel inclut également les médicaments de première nécessité.

Commerce et brevets sont une spécialité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une organisation qui, dans les années 90, est devenue le symbole de la «globalisation». C’est pourquoi les premières grandes manifestations du mouvement contre la globalisation ont également eu lieu durant un sommet de cette même OMC, à Seattle, en 1999. En septembre de cette année, il y aura à nouveau un de ces sommets, à Cancun, au Mexique, cette fois. Il est assez regrettable qu’il ne faille guère espérer de progrès sur le plan du commerce et des brevets, bien au contraire. Si nous voulons que la première décennie de ce siècle ne se mue pas une fois de plus en 'décennie manquée', il nous faut de toute urgence mettre des bâtons dans les roues de la globalisation du capitalisme et de la pauvreté.