Voyage sur le vif aux Philippines by intal Tuesday August 19, 2003 at 10:44 AM |
peter.darin@intal.be |
Un voyage aux Philppines, voilà qui parle à l’imagination: ces plages d’un blanc virginal, ces îles paradisiaques… Mais, lors d’un voyage sur le vif organisé par l’asbl Groupes Philippines Belgique, vous savez d’avance que c’est tout autre chose qui vous attend. Heureusement, vous remarquerez tout au long des préparatifs que le petit groupe de participants se révèle sympathique et que les accompagnateurs sont solides dans leurs bottes. Ey vous y allez quand même. Avec un petit cœur, car vous craignez qu’il ne s’agisse d’une affaire qui va vous interpeller.
Une fois arrivé à Manille, vous êtes immédiatement plongé dans le tohu-bohu d’une ville surpeuplée du tiers monde. En permanence, vous devez regarder autour de vous sans quoi vous risquez de vous faire renverser sans pitié par des Jeeps qui klaxonnent sans arrêt et aux pots d’échappement complètement percés. Heureusement, nous partons quelques jours plus tard en direction de la Cordillera, la région montagneuse du Nord. Quel soulagement de pouvoir retrouver de l’air pur. Parmi nos familles d’accueil, quels moments inoubliables n’avons–nous pas vécus! Nous avons arraché les mauvaises herbes des rizières, nous nous sommes régalés de jus d’ananas frais et de noix de coco et nous avons fait connaissance avec la force primitive du buffle des rivières.
La contradiction
Avec l’aide des organisations populaires, la population indigène parvient à rendre supportable son existence très dure. Eau potable et équipements sanitaires sont disponibles dans les villages et, grâce à l’irrigation, on compte bien améliorer les rizières. CDPC, partenaire d’une ONG amie, Monde Libéré, joue ici un rôle de soutien. Pourtant, la population reste pauvre. Ainsi, les factures scolaires des enfants restent souvent impayées. Nous avons découvert une première contradiction de taille, aux Philippines: celle qu’il y a entre une métropole grouillante et moderne, avec sa vie trépidante et stressée, et l’existence des peuples indigènes où il fauit travailler dur, avec des moyens primitifs, pour survivre mais où, en raison d’une tradition vivace, l’homme et la nature cohabitent encore harmonieusement.
La question est toutefois de savoir si ces peuplades indigènes vont survivre au rouleau compresseur de la mondialisation. Quelques kilomètres plus loin, les rizières prospèrent avec des abondances de plants génétiquement manipulés. Là, si vous n’êtes qu’un simple paysan, vous pourrez difficilement survivre à la concurrence.
De riches entreprises et une population pauvre
Cette constatation nous permet de découvrir une seconde contradiction importante des Philippines: la différence entre la population pauvre et les riches entreprises. A Itogon, vous rencontrez l’exploitation minière traditionnelle, à petite échelle. Les mines sont exploitées à la force des bras et il faut une patience d’ange pour faire apparaître comme par enchantement dans le minerai quelques grammes d’or. Ici aussi, il s’agit de travailler très dur afin de pouvoir à peine survivre, mais ce type d’exploitation minière est encore relativement respectueuse de l’environnement.
Elle est en contraste flagrant avec les grandes exploitations minières financées par le capital étranger, avec leurs lourds bulldozers qui déblaient sans pitié des montagnes. Ensuite, elles utilisent des métaux lourds pour extraire l’or du minerai et elles déversent dans la nature leurs eaux usées contenant ces métaux lourds. On ne remarque pas seulement la puissance des riches entreprises dans le secteur minier, mais également dans l’exploitation forestière, dans la construction des grands barrages… Ainsi donc, aux Philippines, il est facile pour une entreprise de faire du profit. Vous n’êtes pas embêté par des législations contraignantes sur l’environnement, les frais salariaux sont très bas (jusqu’à 5 euros par jour), l’armée et les milices privées protègent étroitement votre propriété, les autorités vous garantissent l’infrastructure nécessaire et, afin de convaincre les derniers sceptiques, il existe des zones de libre échange au sein desquelles les syndicats sont interdits.
L’apartheid
Le fossé entre pauvres et riches adopte même la forme de l’apartheid. Dans certains quartiers riches et centres récréatifs, nous ne pouvons pénétrer avec notre Jeep crasseuse. Quand nous avons visité les bidonvilles au flanc des décharges publiques, nous avons failli tourner de l’œil tellement la puanteur était intolérable. Une telle contradiction ne peut manquer de provoquer des situations explosives, croiriez-vous. mais ici, vous vous heurtez à une troisième contradiction: celle qu’il y a entre la foi dans le rêve américain et la force du mouvement contraire.
En tant que voyageur ingénu, vous avez l’impression que vous êtes en voyage aux Etats-Unis. Partout, vous voyez des McDonalds, des panneaux publicitaires géants pour Colgate ou Levi’s, des chaînes de magasins excentriques et ultramodernes où mes filles baveraient d’admiration, des usines Nestlé et Nokia flambant neuves, des cafés très chics avec des serveuses habillées à la dernière mode, des bagnoles étincelantes… Le rêve américain est omniprésent et ils sont nombreux à en rêver pour pouvoir s’asseoir à la table des riches. Le rêve américain pétrit soigneusement la conscience et les besoins de l’humanité.
Le contre-pouvoir
En guise de réponse à ce défi, les organisations populaires font tout un travail de conscientisation politique et culturelle dans les villes et les villages. A partir de cette conscientisation, on peut organiser les gens et passer à l’action car, dans un rêve américain, il n’y a pas de place pour les plus faibles ni pour la sécurité sociale. En divers endroits, nous nous sommes rendus à des piquets de grève où l’on fait grève des mois durant pour le droit à la pension ou pour un alaire plus élevé. Cette construction d’un contre-pouvoir constitue un processus lent et, dans les nombreuses conversations que nous avons eues avec les militants locaux, j’ai découvert chaque fois cet idéalisme enthousiasmant allant de pair avec un réalisme généreux. On ne peut progresser que pas à pas. Certains coopérants au développement spéculent sur le fait que, d’ici une dizaine d’années, la population philippine va pouvoir se débarrasser du joug étranger. Les travailleurs de base philippins sont au moins aussi convaincus de la nécessité de ce combat, mais ils continuent à sourire mystérieusement lorsqu’on les sonde sur leurs attentes concernant l’avenir.
Voyage sur le vif aux Philippines by intal Tuesday August 19, 2003 at 10:44 AM |
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