arch/ive/ief (2000 - 2005)

Comment la Maison-Blanche cache le réchauffement du climat
by Jean Thursday August 14, 2003 at 07:58 PM

SCIENCE ? Selon un député américain, le clan Bush a pris l?habitude de fausser les études scientifiques des agences gouvernementales. Notamment pour nier les effets des gaz à effet de serre.


L?homme est un cauchemar pour l?Administration Bush. Député démocrate de Californie, spécialiste des questions d?énergie, Henry Waxman n?a de cesse de dénoncer les magouilles de la Maison-Blanche. En janvier 2002, il avait démontré comment la politique énergétique des USA avait été taillée sur mesure pour le géant de l?électricité Enron. En mai de cette année, il accusait le groupe d?ingénierie pétrolière Halliburton ? dirigé jusqu?en 2000 par le vice-président Dick Cheney ? d?avoir déjà gagné près de 500 millions de dollars en deux ans grâce à des projets liés à l?Irak. Ceci avant même que le pays soit occupé par les troupes de Washington.

Le 7 août, le député Waxman lançait une nouvelle bombe dans les jambes de George W. Sous le titre anodin de «Politiques et science dans l?Administration Bush», le rapport produit par son bureau relève toutes les interventions de l?actuel gouvernement des Etats-Unis pour manipuler les évaluations scientifiques et déformer ou censurer leurs conclusions. «Ces actions», explique Henry Waxman, «vont beaucoup plus loin que les réajustements ordinaires qui accompagnent le changement d?occupant à la Maison-Blanche.»

À QUI ÇA PROFITTE
La prise de contrôle de la science par le clan Bush touche un très large éventail de sujets. Les limiers de Waxman en ont répertorié pas moins de vingt et un: de la prévention des maladies sexuellement transmissibles à la sauvegarde des caribous de l?Alaska, en passant par la pollution de l?eau par l?agriculture ou l?industrie. Un point commun relie cependant tous ces sujets, écrit Henry Waxman: «Les bénéficiaires des manipulations scientifiques sont tous d?importants supporters du président», que ce soit des conservateurs sur les plans social et moral ou de groupes industriels.
Pour les premiers, l?Administration Bush a notamment réussi à influer sur la communication de l?agence fédérale pour le contrôle et la prévention des maladies. Contre toute évidence scientifique, celle-ci met aujourd?hui en cause l?efficacité du préservatif contre la propagation du sida et favorise une politique basée sur la seule abstinence. Dans le même style, les politiciens conservateurs sont parvenus à faire en sorte que l?Institut national continue à insinuer qu?un lien existe entre l?avortement et le cancer du sein, alors que, médicalement, l?inexistence de cette relation est prouvée depuis au moins cinq ans.
Quant aux consortiums industriels proches du pouvoir, ils bénéficient des entorses à l?exactitude scientifique dans d?autres domaines. Le Département de l?agriculture, par exemple, exige ainsi que toute communication scientifique sur les «sujets sensibles» lui soit soumise avant publication. Soit: «Les méthodes agricoles qui peuvent avoir des conséquences négatives sur la santé et l?environnement». On s?en doute, ce passage obligé par la bureaucratie politique n?a pas pour but de mieux diffuser l?information?

LES EXPRERTS DU PRÉSIDENT
Selon Waxman, la Maison-Blanche utilise encore une autre technique pour inhiber le travail des savants. Elle nomme au sein des comités d?experts des personnes qui défendent les intérêts adéquats. Ainsi, en août 2002, le gouvernement a remplacé quinze membres sur dix-huit du comité d?experts sur la santé environnementale. Les nouveaux venus ont de faibles références scientifiques mais ils cultivent en revanche des liens très étroits avec l?industrie.
La question du réchauffement climatique est évidemment un sujet crucial. Lorsque George W. Bush avait rejeté le Protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre, il avait promis que «la politique de l?Administration concernant l?évolution du climat sera fondée sur la science». En fait, le président s?est efforcé de forger la science au feu de sa politique.
En juin dernier, l?Agence nationale pour la protection de l?environnement (EPA) publiait un rapport présenté comme le document le plus complet jamais produit aux Etats-Unis. Le texte, cependant, est totalement muet sur le réchauffement climatique. Cette absence serait restée inexplicable, si une fuite ne s?était produite. Dans le New York Times du 13 juillet, un ancien de l?EPA, Jeremy Symons, explique ce qui s?est passé.

ON CENSURE LES RAPPORTS
Une première version du rapport comprenait bien une section sur le réchauffement climatique. Mais les services de la Maison-Blanche ont fait savoir à l?agence qu?ils exigeaient des «corrections majeures» du texte et qu?aucune modification ne serait permise après leur intervention. Finalement, les scientifiques de l?EPA ont préféré supprimer toute la section plutôt que de cautionner des informations scientifiquement non crédibles. L?intrusion de la politique dans leur champ d?activité fait frémir plus d?un scientifique étasunien. La prestigieuse revue «Science» s?est inquiétée en janvier dernier de l?«invasion par l?Administration Bush de secteurs autrefois protégés contre ce type de manipulations». Même un ancien administrateur de l?EPA, en poste sous les présidences de Nixon et de Ford, est sorti du bois pour témoigner que jamais, à cette époque, la Maison-Blanche ne s?était permise de travestir la réalité.
«La population dépend d?agences fédérales pour promouvoir la recherche scientifique et développer des politiques fondées aptes à protéger la santé et le bien-être de la nation», explique Henry Waxman. L?indépendance de la recherche jouait donc un rôle capital dans l?exercice de la démocratie. «Aujourd?hui, l?Administration Bush a faussé cette perspective», estime le député californien. Au détriment de la communauté scientifique des Etats-Unis qui perd sa crédibilité. Au détriment également de la population de la planète, soumise aux effets d?un réchauffement climatique nié contre la science par le pays qui produit à lui seul plus d?un quart des gaz à effet de serre.

Le rapport Waxman peut être consulté sur le site http://www.house.gov/reform/min

par MANUEL GRANDJEAN