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Afrique / Congo : Intervention-test pour l'Union Européenne
by Jérôme Guillas [posted by protesta] Monday June 23, 2003 at 03:43 AM

Pourquoi cette intervention soudaine dans une région où 50 000 personnes ont été victimes de la guerre civile ces cinq dernières années ? (...) Certains observateurs voient dans cette intervention une volonté de l'ONU -qualifiée d'obsolète par le Pentagone et juste bonne à gérer l'aide humanitaire- et de l'Europe de ne pas laisser la gestion des affaires du monde à la toute puissance américaine (...) Le nord-est de la RDC est riche en or, coltran (utilisé dans les microprocesseurs) et pétrole (...)

Artemis était la déesse chasseresse de la Grèce antique. Pourtant, l'Union européenne (UE) n'entend pas faire la chasse aux milices responsables de centaines de morts ces dernières semaines en Ituri. Voulant occuper le devant d'une scène internationale quelque peu apaisée, ONU et UE risquent de s'enliser dans le bourbier congolais malgré une évidente bonne volonté.

C'est un massacre sous les yeux de la Monuc (Mission des Nations Unies pour le Congo) et des humanitaires, le mois dernier à Bunia, couplé avec un relâchement de la concentration internationale sur le Moyen-Orient et l'Asie centrale, qui a déclenché la réaction européenne - « mieux vaut tard que jamais » dit l'adage- face au risque de génocide qui parcourt la République démocratique du Congo (RDC) depuis la chute de Mobutu en 1997.

Pourquoi cette intervention soudaine dans une région où 50 000 personnes ont été victimes de la guerre civile ces cinq dernières années ? Guerres civiles et tribales qui, sur l'ensemble de l'ex-territoire zaïrois grand comme l'Europe des quinze, ont coûté la vie à 3 millions d'habitants - morts pour la plupart, selon le Comité de secours international (IRC), de dysenterie et de malnutrition parce que « les belligérants ont empêché les humanitaires de distribuer l'aide » - sur une population estimée à 54 millions. Certains observateurs voient dans cette intervention une volonté de l'ONU -qualifiée d'obsolète par le Pentagone et juste bonne à gérer l'aide humanitaire- et de l'Europe de ne pas laisser la gestion des affaires du monde à la toute puissance américaine. Néanmoins, on ne peut que souscrire à l'intervention de l'UE qui, pour la première fois, agit en son nom sur la scène internationale. La politique extérieure et de sécurité commune (PESC) reste à ce jour le maillon faible de la construction européenne. L'intervention en Ituri sous l'impulsion de la France est une nécessité autant qu'un test pour la volonté et l'unité politique de l'Europe. Si elle réussit, d'autres interventions pourraient suivre.

Le 30 mai, l'ONU, par la résolution 1484 du Conseil de sécurité, a autorisé le déploiement d'une force multinationale, composée à terme de 1400 hommes, à Bunia, chef-lieu de l'Ituri, avec pour mission de sécuriser la ville (100 000 personnes avant la « guerre », 40 000 environ aujourd'hui) et l'aéroport. Contrairement aux sept cents soldats uruguayens de la Monuc stationnés dans la ville depuis la mi-avril, les militaires de l'opération Artemis pourront « employer la force en cas de légitime défense pour protéger les réfugiés ou leurs biens » et leur propre contingent. L'opération Artemis est conduite par l'UE sous mandat de l'ONU et la France est la « nation-cadre » de cette opération. L'intervention de la force multinationale (dont 900 hommes sur les 1400 seront français) est limitée dans l'espace et dans le temps. Dans l'espace à la seule ville de Bunia et de son aéroport alors que les massacres se poursuivent en brousse : deux observateurs des Nations Unies ont été tués à 70 kilomètres au nord de Bunia, cent cinquante à deux cents civils auraient été massacrés à Tchomia, 50 kilomètres au sud, après l'arrivée des premières forces spéciales françaises le 6 juin. Dans le temps, à fin août/début septembre, la résolution 1484 précisant le « caractère strictement temporaire de la force » déployée sous contrôle de l'UE.

Depuis quatre ans, les ethnies Hemas et Lendus se livrent une guerre féroce et la ville de Bunia a changé plusieurs fois de mains. L'Union des patriotes congolais (UPC), majoritairement hema et soutenue jusqu'à il y a peu par l'Ouganda, a repris la ville le 12 mai après l'avoir cédée à la demi-douzaine de milices lendus, soutenues par le Rwanda, de mars à mai. Le nord-est de la RDC est riche en or, coltran (utilisé dans les microprocesseurs) et pétrole, ce qui excite l'appétit des Etats voisins qui pillent la région et instrumentalisent les populations depuis une petite décennie. Les déplacés et les réfugiés ne cessent de se presser vers le camp mis en place par la Monuc près de l'aéroport, s'ajoutant aux millions de déracinés que compte déjà l'Afrique noire. La population, dans son ensemble, voit avec soulagement l'arrivée de soldats français dont le premier détachement dans la ville de Bunia a été applaudi. Un éditorialiste burkinabé écrit dans Le journal du jeudi qu'il faut choisir entre « l'abandon de souveraineté ou le carnage » et souligne que l'intervention étrangère est parfois demandée par la population comme en Sierra Leone, au Liberia ou en Côte d'Ivoire. Mais le mandat onusien dont dispose l'UE semble bien timide au regard de la situation de la région, du pays, de l'ensemble de l'Afrique et n'augure en rien d'une longue série de succès.

Pour preuve des difficultés que va rencontrer l'opération Artemis, dans une optique de cessation des massacres et d'évitement du renouvellement du cauchemar de l'opération turquoise lors du génocide rwandais de 1994, aucun désarmement des milices (et notamment de l'UPC, la mieux armée) n'a été programmé et la cohabitation sur les lieux stratégiques a été instaurée. Ainsi, l'UCP circule librement sur l'aéroport, récupérant taxes sur les atterrissages et arrivées d'aide humanitaire. Thomas Lubanga, président de l'UCP, se dit « prêt à collaborer avec la force multinationale si celle-ci s'en tient à sa mission ». Dans ces conditions on a aucun mal à le croire.