arch/ive/ief (2000 - 2005)

ATTAC France contre licenciements et fermetures
by raf Verbeke Friday June 13, 2003 at 11:09 AM
carineraf@hotmail.com 0497/23.07.60.

Aussi en France il y a des groupes qui réfléchissent sur des alternatives aux fermetures et licenciements.

FACE AUX LICENCIEMENTS DE

CONVENANCE BOURSIÈRE

Les analyses et les propositions d’ATTAC

Paris, le 2 mai 2001

I.- Les règles du jeu du nouveau

capitalisme actionnarial

Le capitalisme prend une forme nouvelle dans le contexte de la globalisation financière : c’est le

« capitalisme actionnarial », dont le cœur est l’accumulation de richesses financières par les entreprises

et leurs actionnaires. Il a pour caractéristiques principales : le rôle primordial des marchés financiers, et

plus particulièrement des marchés d’actions ; la prépondérance du pouvoir actionnarial induisant de

nouvelles formes de « gouvernement d’entreprise » ; l’application de nouvelles stratégies tournées vers

la « création de valeur actionnariale », dont les licenciements de convenance boursière sont une

conséquence directe.

1.- La montée en puissance des marchés financiers

L’un des faits marquants de la fin du 20ème siècle a été la montée en puissance de la

finance dans l’économie mondiale : c’est le processus de globalisation financière,

résultat d’un choix politique imposé par les gouvernements des pays membres du G7.

Ces derniers ont décidé de « déréglementer » totalement la finance, entraînant une

liberté totale de circulation des capitaux à travers la planète.

En France, la libéralisation des marchés - impulsée par les gouvernements successifs

depuis les années 1980 - a transformé les stratégies des entreprises. La part de leur

financement par émissions de titres sur les marchés (actions, obligations et billets de

trésorerie) tend à devenir plus importante que celle provenant du recours aux

banques. La faiblesse relative de leur effort d’investissement, conjuguée à

l’accumulation d’une épargne abondante, leur a permis de dégager des disponibilités

importantes utilisées à trois fins : le remboursement de la dette bancaire, les

placements financiers et le rachat de leurs propres actions destiné à faire monter le

cours de ces dernières en Bourse.

2

La part des emplois financiers des entreprises a ainsi fortement augmenté par rapport

aux emplois directement productifs : c’est là un aspect de la « financiarisation » de la

gestion des firmes, caractéristique du nouveau capitalisme actionnarial.

Le marché d’actions - la Bourse - s’est considérablement développé. Il s’agit surtout

d’un marché des titres de propriété à caractère spéculatif, destiné à permettre la

réalisation de plus-values. Ce n’est pas un marché de financement, car il n’apporte pas

de ressources nouvelles aux entreprises, bien au contraire : ces dernières années, en

Europe, les émissions nettes d’actions (émissions nouvelles corrigées des rachats

d’actions et des dividendes versés aux actionnaires) ont été négatives.

2.- Le rôle dominant des actionnaires et des « zin-zins »

Une des conséquences majeures du rôle prépondérant pris par les marchés financiers

dans le financement des entreprises a été la modification des relations entre les trois

principaux partenaires de ces dernières : actionnaires, dirigeants, salariés, au profit

exclusif des premiers. Un nouveau rapport de forces s’est créé, très largement en

faveur du capital, et au détriment du travail.

Dans le cadre du compromis « fordiste », qui a fonctionné jusqu’aux années 1970, les

dirigeants avaient conclu des accords avec les salariés, organisant un partage des gains

de productivité au sein de l’entreprise, ce qui avait permis de préserver la stabilité du

partage de la valeur ajoutée. L’avènement du capitalisme actionnarial consacre la fin

de ce régime. Le modèle traditionnel, qualifié de stakeholder, et qui considère

l’entreprise comme une communauté d’intérêts entre ses trois partenaires, a cédé la

place à un nouveau modèle, appelé shareholder, donnant la primauté absolue aux

intérêts des actionnaires détenteurs du capital-actions, c’est-à-dire des fonds propres

des entreprises.

Un autre phénomène est venu renforcer considérablement le pouvoir des

actionnaires : le développement de la gestion collective de l’épargne, c’est-à-dire la

gestion, par des investisseurs institutionnels, des actifs financiers détenus par les

particuliers (comme épargne de précaution ou pour financer leurs retraites). D’où,

dans la plupart des pays industrialisés, la concentration croissante du capital des

entreprises entre les mains d’un petit nombre d’investisseurs institutionnels : les « zinzins

». Ces investisseurs sont de trois types : les fonds de pension anglo-saxons, dont le

poids est prépondérant ; les fonds mutuels (OPCVM en France) ; et les compagnies

d’assurance. A titre d’illustration, la part des actions détenues par les investisseurs

institutionnels aux Etats-Unis est passée de 5 % en 1946 à plus de 50 % en 1996. En

France, cette proportion dépasse également les 50 % à la fin des années 1990.

En Europe, au cours de la décennie écoulée, on a assisté à l’arrivée en force des

investisseurs étrangers, attirés par la libéralisation financière, l’extension des

privatisations, la mise en place du marché unique des capitaux et la création de l’euro :

ils détiennent, en moyenne, entre 20 % et 40 % du capital des sociétés cotées. La

majeure partie de ces participations financières étrangères provient des investisseurs

anglo-saxons, et en particulier des fonds de pension américains.

La France est l’un des pays où la progression des investisseurs étrangers a été la plus

rapide. Ils ont profité des privatisations massives engagées depuis 1986 pour

s’approprier une part souvent élevée du capital des entreprises dans les secteurs de la

banque et de l’industrie, comme l’illustre le tableau ci-dessous. En 1999, ils détenaient

3

36 % des actions des sociétés cotées, et ont réalisé 80 % des transactions à la Bourse de

Paris, selon les statistiques de la Banque de France. Le décalage entre ces deux

pourcentages montre le caractère essentiellement spéculatif de leurs investissements.

Part des investisseurs étrangers dans le capital de grandes sociétés françaises

En % du capital ( septembre 1999)

Banques –

Assurances

Invest.

étrang.

Invest.

anglosaxons

Industrie

Invest.

étrang.

Invest.

anglosaxons

BNP

Société générale

CCF

AXA

AGF

45

50.1

68.8

44

25

20.4

29

10

28

16.5

Elf-Aquitaine

Rhône-Poulenc

Vivendi

Alcatel

Accor

56

59.6

51.5

49

48

39

14.4

27

30

30

Sources : L’Expansion et Carson-Europe

3.- Les préceptes du « gouvernement d’entreprise »

Les investisseurs institutionnels, qui gèrent le capital financier au nom des

actionnaires, cherchent à imposer des règles de gestion, dites « gouvernement

d’entreprise », dans cinq principaux domaines :

3.1 Information des actionnaires : qualité de l’information sur la structure dirigeante de

l’entreprise, ce qui implique notamment l’indépendance des administrateurs ; existence d’un

responsable des « relations investisseurs » ; et mise en place d’un système comptable adapté

aux normes anglo-saxonnes.

3.2 Droits et obligations des actionnaires : respect du principe « une action, une voix, un

dividende » ; protection des actionnaires minoritaires (ce qui est fréquemment le cas des

fonds d’investissement étrangers).

3.3 Composition du conseil d’administration : procédures transparentes d’élection et de

rémunération des membres du conseil et des comités ; nomination d’administrateurs

indépendants ; séparation des fonctions de président et de directeur général.

3.4 Absence de mesures anti-OPA : élimination de toutes les mesures destinées à

empêcher les offres d’achat hostiles (poison pill ) et à verrouiller les organes de direction. Il

s’agit de mettre les entreprises cotées sous la pression permanente des marchés.

3.5 Rémunération des dirigeants : l’objectif recherché est de définir des formes de

rémunération de nature à inciter les dirigeants à maximiser la valeur actionnariale. L’une

des principales techniques utilisées est celle des options sur titres (stock-options). Elle donne

aux cadres dirigeants un droit d’acquisition des actions de l’entreprise à des conditions très

favorables. Ils sont ainsi matériellement incités à faire monter la valeur des actions de

l’entreprise à n’importe quel prix , en particulier au détriment des salariés.

Avec les rapports Vienot, le patronat français a manifesté sa volonté d’aller vers un modèle

de « gouvernance » en accord avec ces principes, en proposant des administrateurs

indépendants, la séparation des fonctions de président et de directeur général, et l’adoption

de normes comptables proches de celles des pays anglo-saxons.

4

Le rôle des pouvoirs publics français, quelle que soit leur couleur politique, a été

déterminant dans cette évolution entamée au milieu des années 1980. Ils ont procédé à une

libéralisation financière radicale, à une modernisation profonde du secteur financier, et à la

privatisation de la quasi-totalité des établissements bancaires et financiers. La récente loi sur

les nouvelles régulations économiques contient des dispositions allant dans le sens des

préceptes de « gouvernement d’entreprise » voulus par les investisseurs étrangers.

4.- Vers la « création de valeur actionnariale »

L’objectif prioritaire des entreprises cotées en Bourse est de « créer de la valeur

actionnariale » (shareholder value ), c’est-à-dire de faire monter le cours de leurs actions pour

générer des plus-values, et augmenter ainsi la richesse de leurs actionnaires. A cette fin, les

managers mettent en œuvre des politiques qui peuvent être classées en quatre catégories

principales :

4.1 Les fusions-acquisitions

Ces fusions-acquisitions sont souvent présentées comme un moyen de créer de la valeur

actionnariale en exploitant des synergies entre établissements fusionnés, et en réalisant des

économies d’échelle. Les rapprochements entraînent des gains de productivité, dont l’une

des conséquences directes est la réduction des effectifs salariés.

4.2 La réduction de l'intensité capitalistique.

L'un des moyens les plus radicaux d'accroître la rentabilité des capitaux propres est de

réduire leur taille. C’est la stratégie dite du downsizing, qui peut être pratiquée de différentes

manières, la plus spectaculaire étant le rachat par l'entreprise de ses propres actions, dans le

cadre de la procédure d'offre publique de rachat d'actions. En rachetant une partie de ses

actions, pour un niveau donné de profits anticipés dans le futur, l’entreprise accroît

mécaniquement la valeur des actions restantes.

4.3. Le recentrage sur les métiers de base

C’est là un deuxième moyen d'augmenter la création de valeur au profit de l'actionnaire. En

se recentrant sur les activités pour lesquelles elle détient un avantage compétitif, l'entreprise

est censée se donner les moyens de valoriser son savoir-faire par rapport à ses concurrents,

ce qui devrait se traduire par une augmentation de sa rentabilité. Cette stratégie s’oppose

aux politiques de diversification industrielle dont l’objectif est de mutualiser les risques : les

investisseurs considèrent que c’est à eux, et non aux managers, de diversifier les risques.

4.4 Le reengineering des chaînes de valeur

Le reengineering constitue un troisième levier pour concentrer l'activité de l'entreprise sur les

segments les plus rentables. La principale méthode consiste à « externaliser » la production

de certains produits ou services vers d'autres entreprises plus performantes sur les créneaux

en question. Cette politique aboutit à « faire sortir » les salariés du périmètre de l’entreprise

pour en confier la gestion à des sous-traitants extérieurs, ce qui entraîne généralement une

précarisation des conditions de travail. Cette politique met également les PME soustraitantes

à la merci des grandes firmes. Par ce mécanisme, un grand nombre d’entreprises,

allant bien au-delà de celles cotées en Bourse, sont directement affectées par la logique du

nouveau capitalisme.

5.- Les licenciements de convenance boursière

Ces différentes stratégies destinées à augmenter la valeur boursière des entreprises ont un

point commun : elles se traduisent par des réductions d’effectifs. Les licenciements chez

Danone ou chez Marks & Spencer s’inscrivent totalement dans cette logique. La valeur

d’une action dépendant des profits futurs, il s’agit donc de prendre aujourd’hui les mesures

5

qui permettront d’augmenter demain la rentabilité de l’entreprise. Ce qui compte, en effet,

pour les investisseurs, ce n’est pas le niveau actuel, mais le niveau futur de la rentabilité.

L’un des moyens d’y parvenir est de restructurer en permanence les groupes industriels en

se désengageant des activités dont la rentabilité est inférieure aux normes internationales

(benchmarking) imposées par les investisseurs. Ainsi est « justifiée » officiellement la

fermeture des usines LU dont la marge, estimée à 7.9 %, est effectivement très au-dessous

de celle de 15 % fixée pour le rendement des actions : le fameux ROE (return on equity).

6.- Une formidable régression économique et sociale

En France, la rémunération du capital ponctionne une part croissante de la richesse

produite par les entreprises. Depuis 1983, année de l'instauration de la rigueur salariale

(plan Delors), la part de la valeur ajoutée allant aux entreprises s’est accrue de manière

spectaculaire. Ainsi, d’après l’INSEE, leur taux de marge (excédent brut d’exploitation

rapporté à la valeur ajoutée) passe de 24 % en 1980 à 32.2 % en 1999.

Contrepartie de cette évolution : la forte dégradation de la situation des salariés dans le

partage salaires - profits. Dans l'Europe des Quinze, selon l’Office européen des statistiques,

on a constaté un déplacement de 7 points de la part des salaires dans le produit intérieur

brut (PIB) : elle serait passée d'une moyenne de 75.3 % en 1971-80 à 68.3 % en 2000. C'est

en France que la régression a été la plus forte : la part des salaires dans le PIB a chuté de

76.6 % en 1971 – 80 à 68 % en 2000, soit une baisse de près de 8 points.

Cette baisse des revenus du travail a deux causes : la rigueur salariale et le chômage de

masse qui proviennent non seulement des stratégies des entreprises, mais aussi des

politiques salariale et monétaire appliquées depuis les années 1980 par les gouvernements

successifs, qu’ils se réclament de la gauche ou de la droite.

Le nouveau capitalisme actionnarial constitue non seulement une formidable régression

sociale, mais aussi une triple aberration économique. En premier lieu, ce sont les salariés qui

assument seuls les risques, dans la mesure où le travail est devenu la variable d’ajustement

dans les entreprises. Or, même dans la démarche libérale classique, c’est aux actionnaires

que revient ce rôle. Ensuite, le taux de rendement du capital (ROE) de 15 % exigé par les

investisseurs est intenable à terme : s’il est maintenu, alors que la croissance du PIB n’est

que de 3% en moyenne, c’est l’ensemble de la richesse nationale qui finirait par aller vers les

détenteurs de capitaux ! Enfin, la demande des ménages constituant, et de loin, le principal

débouché de la production, peser en permanence sur la masse salariale et réduire celle-ci en

cas de difficulté est le meilleur moyen de ralentir la croissance et de dégrader, à long terme,

la santé des entreprises et de l'économie.

C’est contre ces logiques et pratiques du capitalisme actionnarial, caractéristiques de la

mondialisation libérale - et dont l’opinion commence partout à mesurer les ravages -

qu’ATTAC entend lutter par l’information et par l’action. Face aux licenciements de

convenance boursière, qui en sont actuellement la manifestation la plus spectaculaire, il est

possible de réagir et de mettre des grains de sable dans un engrenage suicidaire. Tel est le

sens des propositions qui suivent.

6

II.- Pour en finir avec les licenciements

de convenance boursière

L’ambition des investisseurs financiers semble être aujourd’hui de pouvoir transformer le travail en

une marchandise aussi liquide que l’est déjà le capital. ATTAC pense, au contraire, que le monde

n’est pas une marchandise, et que ce principe doit commencer par s’appliquer à cette « marchandise »

très particulière qu’est le travail.

Le marché du travail ne devrait pas fonctionner comme celui du poisson ou du café. Or, dans la

pratique, c’est bien ce vers quoi tend la mondialisation libérale. Les entreprises veulent dégraisser les

effectifs au moindre ralentissement de l’activité afin de maintenir leurs sacro-saints objectifs de

rentabilité et de rassurer les actionnaires. Les salariés sont seulement considérés comme une simple

variable d’ajustement.

Certes, le droit de la propriété capitaliste implique celui d’embaucher et de licencier. La question est de

savoir jusqu’à quel point. Nous voulons, quant à nous, que le licenciement devienne l’ultime recours,

une fois épuisées toutes les autres possibilités pour garantir la survie de l’entreprise. Il importe donc,

comme dans les rouages financiers, de jeter quelques grains de sable dans l’engrenage des

licenciements de convenance boursière.

Car l’emploi est une chose décidément trop sérieuse pour en confier le destin aux seuls employeurs. On

ne peut accepter qu’ils se déchargent sur le reste de la société de la question de savoir ce qu’il advient

des salariés que, du jour au lendemain, ils jugent bon de ne plus employer. En d’autres termes, il n’est

pas admissible qu’ils « externalisent » vers la collectivité les coûts de leurs pratiques, alors que les

bénéfices, eux, restent « internalisés » chez les actionnaires. L’opinion vient d’exprimer un rejet très

majoritaire à l’égard des entreprises prospères qui licencient.

Il s’agit donc, en premier lieu, de rendre illicite ce type de pratiques. Il faut, ensuite, encadrer les

conditions d’exercice de la gestion de l’emploi et faire contribuer les employeurs à la charge sociale et

humaine que représentent les licenciements. ATTAC considère qu’il est parfaitement possible de

modifier immédiatement le cadre légal en ce sens. C’est l’objectif de l’ensemble de mesures proposées ici

1.

ATTAC considère que des mesures élémentaires peuvent être prises immédiatement,

afin de montrer sans ambiguïté que la volonté de la société a été entendue par le

Parlement :

– rendre illicites les licenciements de convenance boursière

– définir les critères permettant de caractériser les « difficultés économiques »

– attribuer aux Comités d’entreprise un droit suspensif des licenciements

– frapper de nullité toute décision ne respectant pas la législation

– étendre le champ des garanties offertes par les « plans sociaux »

– renforcer l’exigence de recherche de reclassement

– supprimer les aides publiques aux entreprises prospères qui licencient, et exiger le

remboursement des aides déjà perçues

1 Ce texte d’ATTAC doit beaucoup à diverses contributions de syndicalistes, de juristes et

d’économistes, de parlementaires, d’inspecteurs du travail et d’experts auprès des comités

d’entreprise qui travaillent sur ce sujet. On citera, en particulier, Dominique Plihon, Thomas

Coutrot, Gérard Filoche, Claude Gabriel, Michel Husson, Jacques Nikonoff et Hervé Tourniquet,

ainsi que deux propositions de loi du 22 décembre 1999 : l’une sur les licenciements économiques

(proposition Lajoinie, n° 2057) et l’autre sur la restitution sociale (proposition Desallangre, n° 2061).

7

A.- DEFINIR ET SUSPENDRE LES LICENCIEMENTS ILLICITES

1.- Rendre illicites les licenciements de convenance boursière

Les licenciements décidés sans autre justification que l’augmentation de la rentabilité

financière ou des cours boursiers ne doivent plus être considérés comme légitimes. Pour

qu’il en soit ainsi, il suffit de retirer l’adverbe « notamment » de la définition du

licenciement économique qui figure à l’article 323 du Code du travail 2 :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un

ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d’une suppression ou d’une

transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail, consécutives

notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »

2.- Définir les critères permettant de caractériser les « difficultés économiques »

L’appréciation des « difficultés économiques » s’effectuerait à partir d’une batterie

d’indicateurs objectifs permettant d’évaluer les performances de l’entreprise sur le moyen

terme : chiffre d’affaires et bénéfices (consolidés dans le cas des groupes), dividendes versés,

mode de gestion de l’emploi, etc. Ce travail d’évaluation pourrait être de la compétence des

commissions déjà instituées par la loi sur les aides publiques pour en apprécier la légitimité

(voir point 11).

3.- Instituer un constat de carence frappant de nullité toute décision ne respectant pas

la législation

L’institution d’un tel constat de carence conduirait à modifier comme suit l’alinéa (L 321-4-

1) du Code du travail 3 : « En l'absence d'un plan social fondé au sens des articles L 321-4 et L

321-4-1, l'autorité administrative constate cette carence et notifie sa décision à l'entreprise dès qu'elle a

eu connaissance de la version finale du plan social telle qu'elle est rédigée après la dernière réunion

prévue des institutions représentatives du personnel. Elle dispose alors de huit jours, si le plan

n'apparaît pas fondé, s'il n'apparaît pas de mesure suffisante visant à limiter les licenciements ou visant

au reclassement des salariés licenciés, pour prendre une décision consistant à dresser un "constat de

carence" motivé qui rend la procédure suivie nulle et de nul effet ».

Cette clause devrait être étendue à toute décision ou délibération n’ayant pas donné lieu à

un dialogue social consistant.

2 Pour reprendre la suggestion de Philippe Waquet, conseiller-doyen de la chambre sociale de la Cour

de cassation (Le Monde du 20 avril 2001).

3 Pour reprendre la proposition de Gérard Filoche ( Libération, 20 avril 2001).

8

B.- FAIRE DU LICENCIEMENT L’ULTIME RECOURS

4.- Etendre le champ des « plans sociaux »

Une loi votée en janvier 1993 - deux mois avant les élections qui ont conduit au retour de la

droite au pouvoir - a mis en place le dispositif des « plans sociaux ». Ce dispositif ne couvre

cependant que 15 % des licenciements, notamment parce que l’établissement d'un « plan

social » est seulement obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, à partir de 10

licenciements sur une période de moins de 30 jours.

Il faut baisser ces seuils.

5.- Renforcer l’exigence de recherche de reclassement

En attendant l’institution de véritables systèmes mutualisés de sécurité d’emploi et de

formation (cf. points 19 et 20), les groupes auxquels appartiennent les entreprises qui

licencient doivent assurer le reclassement sur des emplois équivalents. Et ce avec une

obligation de résultat, et pas seulement de moyens. Le respect de cette obligation doit être

contrôlé par les Comités d’entreprises élargis (cf. point 17). Toute proposition de

reclassement sur un emploi différent doit s’accompagner d’une obligation de formation.

6.- Améliorer la protection individuelle des salariés

Le processus de création-destruction d’emplois concerne principalement les petites et

moyenne entreprises, et porte sur de petits effectifs dont la protection doit être renforcée. En

l’absence d'un effort réel et sérieux de reclassement, et préalablement à tout licenciement

individuel, le Tribunal des prud’hommes pourra être saisi et prononcer, au choix du salarié,

soit la poursuite de son contrat de travail, soit son indemnisation par l'allocation d'une

somme représentant au moins 6 mois de salaire brut.

7.- Interdire tout licenciement dans une entreprise dont l’horaire hebdomadaire de

travail dépasse les 35 heures

Le 1er janvier 2002, les 35 heures s’appliqueront à toutes les entreprises du secteur privé.

On ne saurait admettre qu’elles licencient avant d’avoir réduit la durée hebdomadaire de

travail de leurs salariés.

8.- Instituer un dispositif d’aide au passage aux 32 ou aux 30 heures

La réduction du temps de travail doit permettre de redistribuer aux salariés les gains de

productivité et d’envisager un retour durable au plein emploi. Le mouvement de réduction

du temps de travail ne doit cependant pas s’arrêter pas aux 35 heures. Un dispositif

nouveau doit être mis en place, dans lequel les aides publiques éventuelles seront

strictement conditionnées à la création d’emplois ou à leur maintien dans les entreprises en

réelle difficulté.

9.- Favoriser la possibilité de reprise des entreprises par leurs salariés

Le développement d’une économie plus solidaire est un des objectifs centraux d’ATTAC.

Lorsque des actionnaires refusent d’assumer leurs responsabilités vis à vis d’une entreprise,

les pouvoirs publics doivent aider à la reprise de cette dernière par ses salariés si ceux-ci le

souhaitent. Des remises de dettes, des lignes de crédits à taux préférentiel et des

subventions financées par un redéploiement des aides publiques (et visant notamment à la

formation de gestionnaires) doivent être proposés au collectif de travail.

9

C.- RENDRE LES LICENCIEMENTS PLUS COUTEUX

Le coût économique des licenciements, et plus généralement de la précarité de l’emploi doit

être déplacé de la collectivité vers l’entreprise dans un double but d’équité et de dissuasion.

10.- Augmenter significativement les indemnités de licenciement

11.- Supprimer les aides publiques aux entreprises prospères qui licencient et exiger le

remboursement des aides déjà perçues

La loi n°2001-7 du 4 janvier 2001 relative au contrôle des fonds publics accordés aux

entreprises prévoit la création d’une Commission nationale des aides publiques aux

entreprises, ainsi que de commissions régionales des aides publiques chargées d'en évaluer et

d’en contrôler l'utilisation. La loi précise que « l'organisme ou l'autorité saisi peut décider, après

avoir entendu l'employeur et les représentants du personnel, de suspendre ou de retirer l'aide accordée ;

le cas échéant, il peut en exiger le remboursement. Il en apprécie l'utilisation en fonction notamment de

l'évolution de l'emploi dans l'entreprise considérée ; ou des engagements formulés par le chef

d'entreprise pour bénéficier de ces aides ; ou des objectifs avancés par les salariés et leurs organisations

syndicales ».

Cette loi ayant été votée, il convient donc d’en publier d’urgence les décrets d’application.

12.- Instaurer une sur-cotisation d'assurance chômage

Pour régler le cas des salariés menacés par des licenciements, les entreprises se contentent

souvent d’évincer d’autres salariés en emploi précaire (intérim, CDD) et d’attribuer leurs

postes aux reclassés. Les recours abusif et systématique à l’emploi précaire - qui ne bénéficie

pas de protections contre le licenciement - doit donc être découragé. Pour cela, il faut

établir un principe de « bonus-malus » visant à pénaliser les entreprises qui abusent des

licenciements et des contrats à durée déterminée ou qui poussent leurs salariés à

démissionner. Elles devront acquitter des taux de cotisations plus élevés que celles qui ont

un comportement responsable.

L’intérim doit être lourdement taxé au-dessus d’un seuil de 2 % des effectifs salariés.

13.- Imposer une restitution sociale aux actionnaires des entreprises prospères qui

distribuent des dividendes en même temps qu’ils licencient

En cas de licenciement, les actionnaires des entreprises prospères – celles qui distribuent des

dividendes – sont redevables d’une restitution sociale évaluée en fonction des

rémunérations des travailleurs licenciés 4.

A titre d’exemple, les seuls dividendes versés en 2000 aux actionnaires de Danone

permettraient de payer le salaire intégral des 1803 salariés licenciés pendant 15 ans.

4 On s’inspire ici de la proposition de loi Desallangre (n° 2061, du 22 décembre 1999).

10

D.- DONNER DE NOUVEAUX DROITS AUX SALARIES

14.- Instaurer un droit suspensif des licenciements

De nouvelles dispositions législatives doivent permettre de suspendre les licenciements

pendant une période suffisante pour que les instances de représentation des salariés puissent

contester leur caractère licite devant les tribunaux.

15.- Accorder au comité d’entreprise les mêmes prérogatives qu’aux actionnaires

minoritaires

Parmi les droits à accorder aux comités d’entreprise, figurent notamment le droit

d'intervention dans la vie sociale (participation aux assemblées, droit de vote, dépôt de

projets de résolution), le droit à l'information, l’éligibilité aux fonctions sociales et le droit

d'agir en justice.

16.- Exiger des entreprises qu’elles fournissent toute l’information économique et

financière utile

Les salariés doivent avoir accès, entre autres, à l’information sur le groupe dont fait partie

l’entreprise, à la comptabilité analytique permettant de suivre les résultats par établissements

et types d’activité, et enfin à tout ce qui concerne la recherche de solutions alternatives, ainsi

qu’à l’inventaire des possibilités de reclassement.

17.- Instituer un comité d’entreprise élargi pour faire vivre le droit de la « co-activité »

Sous-traitance, filialisation, contrats précaires, « faux indépendants » : autant de moyens,

pour les entreprises, d’échapper à leurs obligations d’employeurs. Le recours à la soustraitance

permet notamment aux entreprises donneuses d'ordres d'externaliser leurs

obligations en matière de licenciement économique, qu'il s'agisse de la décision de

licenciement elle-même ou de ses conséquences en termes d'indemnités ou d'obligation de

reclassement. De ce point de vue des dispositions ne s’appliquant qu’aux grandes entreprises

ne correspondent pas à la réalité de la vie des affaires.

Le droit de la « co-activité » – qui existe de façon partielle pour les accidents du travail –

consiste à accorder aux travailleurs qui dépendent économiquement d’une entreprise

(même en l’absence de contrat de travail formel) les mêmes droits que ses salariés directs en

matière de représentation, de formation professionnelle, et de conventions collectives.

Il faut donc instituer un comité d’entreprise élargi à la représentation des entreprises soustraitantes

5 qui devrait pouvoir émettre un avis suspensif de toute décision non

suffisamment étayée. Il devrait pouvoir inclure, selon les cas, les associations d’usagers ou de

consommateurs, et les associations compétentes dans le domaine d’activité de l’entreprise 6.

5 Pour reprendre l’une des recommandations du rapport Bélorgey-Fouquet, Minimas sociaux, revenus

d’activité, précarité, Commissariat général du plan, La Documentation française, Paris, 2000.

6 Lire Claude-Emmanuel Triomphe, " Des restructurations en panne de modèle social ", Les Echos,

24 avril 2001.

11

E.- VERS UN CONTRAT DE TRAVAIL ELARGI

18.- Garantir la continuité des droits

Une société ne peut fonctionner sur le principe d’une préservation absolue des emplois tels

qu’il existent à un moment donné. Mais les risques et les conséquences de cette nécessaire

fluidité ne doivent pas être assumés par les salariés victimes des restructurations. Il convient

donc, immédiatement, d’assurer la continuité de leurs salaires et de leurs droits sociaux. Il

revient à l’assurance-chômage et aux pouvoirs publics de prendre en charge ces salaires et

droits sociaux.

19.- Mutualiser les risques

Afin d’assurer un reclassement rapide aux salariés licenciés, il importe de généraliser, à

terme, des système de sécurité d’emploi et de formation, mutualisant les risques entre les

entreprises et les salariés d’une branche ou d’un bassin d’emploi.

20.- Elargir le périmètre du contrat de travail

L’élargissement du périmètre du contrat de travail doit porter sur un ensemble de

situations non directement liées au travail et/ou à un contrat de travail explicite. Cela

signifierait, pour les salariés, le droit à une continuité de revenu et à des opportunités de

formation tout au long de la vie, en même temps que le devoir d’offrir sa force de travail

pour une durée minimale pendant la vie active. Pour les entreprises : le droit d’embauche et

de débauche, mais aussi le devoir de contribuer au maintien du revenu et à la formation des

travailleurs provisoirement non employés.

La gestion de tels systèmes de mutualisation de la garantie de salaire ne pourrait être du seul

ressort d’une entreprise, mais elle ne devrait pas non plus être uniquement étatique. Elle

devrait donc être assurée par des institutions paritaires ou des réseaux cogérés, réunissant

entreprises, associations, collectivités et organismes de formation au niveau des branches,

des régions ou territoires, et insérées dans un cadre juridique national.

En d’autres termes, une UNEDIC refondue et démocratisée.