arch/ive/ief (2000 - 2005)

En Palestine, c'est la mort, les destructions
by jan Monday May 26, 2003 at 02:02 PM
jan@steun.be

Marianne Blume est coopérante belge à Gaza et professeur de français à l'université Al-Azhar PALESTINE-Ezbah Beit Hanoun. Elle a envoyé ce message:

Chers amis,

Je n'écries pas souvent parce qu'a force de vivre dans l'injustice et l'absurde, on finit par avoir l'impression de se répéter et souvent, pour rien. Mais aujourd'hui, la coupe déborde plus que d'habitude. J'en ai marre d'entendre, de lire dans toutes les langues que les attentats sabotent la feuille de route et donc les efforts de paix, marre d'écouter les litanies contre Arafat et tous ceux qu'Israël n'aime pas, marre de ne rien lire ou
entendre sur le terrorisme israélien qui tue dans l'oeuf l'espoir même de la paix. Alors , je decide de vous faire partager une petite part de notre quotidien.

Hier, 19 mai 2003, un ancien étudiant m'appelle avec une voix étrange que je ne lui connais pas. Il me demande de venir au plus vite pour voir ... et d'amener des étrangers si je peux. Il s'arrête et je me doute qu'il est ému,
qu'il pleure. Les Israéliens ont démoli la maison de son beau-père et celle de son cousin. Ils ont aussi démoli une autre maison, endommage la musquée et puis ils s'en sont pris aux arbres suivant une bonne vieille habitude.
Les chars et les bulldozers sont encore la. J'hésite prise d'angoisse a l'idée que je ne pourrai rien y faire et que je rencontrerai peut-être un de ces insectes hideux qui crachent des balles sur tout ce qui se passe. Avec
un ami, nous décidons d'aller. Pour atteindre l'ezbah Beit Hanoun, nous ne pouvons prendre la route principale (Salaheddine) puisque les chars occupent Beit Hanoun depuis 4 jours. Nous sommes obliges d'aller par un chemin de
traverse que je ne connais pas. Et nous arrivons. Les hommes sont assis comme pour les deuils, les femmes sont ensemble plus loin. L'atmosphère est si lourde que nous ne savons que dire. Nous écoutons le récit de la nuit passée. Les hommes sont extraordinairement calmes, mais les visages sont marques par la fatigue et l'inquiétude. Les femmes sont la avec des enfants qui ne comprennent pas ce qui est arrive ou qui comprennent trop bien et sont trop sages. Elles racontent et contemplent l'amas de ce qu'on a pu
sauver avec dans les yeux tout ce qui est perdu. Les plus grands cherchent leurs cahiers ou leurs livres car les examens ont commence.

Ce que j'ai vu est indescriptible. J'ai vu une maison rasée et enterrée avec du sable par ceux qui l'ont démolie. J'ai vu la famille aidée des voisins creuser pour retrouver tout ce qui serait récupérable.Leur quête deseperee ressemblait a un jeu morbide car rien ne subsiste, pas même le tracteur
écrase avec le reste. J'ai vu une femme jeune errer sur les décombres ou sont engloutis tous ses espoirs. J'ai vu les corps des chèvres et des animaux que le bulldozer a écrase avec le reste. J'ai vu des ruchers saccages et des arbres déracines. J'ai vu des enfants surexcites qui ne trouvaient pas d'autre moyen de dire l'indicible que de se rassembler et de guetter le blinde qui passait et repassait sur la route, tirant sporadiquement vers des paysans qui tachaient de traverser la rue. J'ai vu deux autres maisons embouties par les bulldozers et qui semblaient tenir par miracle. J'ai vu le poste électrique qui dessert l'ezbah vandalise. J'ai vu ou plutôt je n'ai plus vu la route nouvellement refaite: les Huns sont passes par la. Et pourtant, je n'ai pas vu de larmes sauf dans les yeux de mon étudiant qui n'en peut déjà plus de cette vie absurde: il vient d'avoir
un enfant et il se demande avec angoisse ce qu'il pourra pour lui. J'ai respire l'odeur de la poussière et de la terre retournée, l'odeur de la mort aussi: les mouches bleues sont agglutinées ou les animaux sont engloutis.

Et puis j'ai entendu des récits si sobres que j'en ai eu la chair de poule. Les soldats sont venus, ont intime l'ordre de sortir immédiatement sans rien prendre, ni l'argent, ni le lait pour les enfants, ni les papiers importants
ni les couvertures, ni... Tout cela dans la nuit. Tous sont sortis sans résistance pour assister de loin a l'anéantissement de leur bien. Ailleurs, les soldats s'en sont pris a un père de famille, sa gamine de 5 ans tout au
plus s'est mise a pleurer et a couru vers son père. Le soldat a mis son arme sur sa tempe et lui a ordonne de lever les mains. Ailleurs, une femme a demande aux soldats de pouvoir sortir au moins les animaux, le chien et les
moutons. Et les soldats ont refuse. "Ils n'ont pitié de rien." me dit cette femme, "Pourquoi les animaux?"
Maintenant, les familles ont trouve asile chez leurs proches. Vingt personnes en plus tout d'un coup, dans une maison qui en abrite déjà a peu près autant. Des gens qui ont perdu leur logement et leur moyen de subsistance: plus d'oliviers, plus de citronniers, plus de troupeau, plus
rien. Plus rien dans un hameau ou les gens n'ont déjà rien.
Je vous raconte l'histoire d'une nuit a l'ezbah Beit Hanoun parce que j'ai vu.

N'importe qui pourrait vous faire un récit similaire et plus sanglant sur Rafah, Khan Younis, Garara, Moghraga, Nuseirat, Jabalya ou autre. C'est ça le quotidien. Et quand on vous dit a la radio ou a la TV ou dans vos journaux que, après une période d'accalmie, les attentats ont recommence,
vous devez savoir que l'accalmie ici, en Palestine, c'est la mort, les destructions, les vexations quotidiennes. Le terrorisme, c'est l'occupation et son cortège répressif. Le terrorisme, c'est l'assassinat journalier d'un peuple et de son avenir. Et c'est ça aussi le sabotage de toutes les
feuilles de route qu'on se plaira a imaginer.

Marianne Blume est coopérante belge à Gaza et professeur de français à l'université Al-Azhar PALESTINE-Ezbah Beit Hanoun.