arch/ive/ief (2000 - 2005)

[Le Raconteur Belge] Les enjeux de la désobéissance civile
by Vincent Decroly Wednesday May 07, 2003 at 11:39 PM
vincent.decroly@lachambre.be

[Le Raconteur Belge]

Criminalisation des luttes

Olivier de Schutter, secrétaire général de Ligue des Droits de l'Homme (LDH):
Les enjeux de la désobéissance civile

Quelques mots sur les enjeux en termes de Droits de l'Homme de ces nouveaux mouvements de contestation. Dans un Etat de droit, une société démocratique, lorsque l'on approche certains mouvements de contestation à travers l'outil du droit pénal, on utilise en réalité une arme non pas seulement juridique, mais aussi sémiotique. On qualifie les personnes, on les stigmatise et ce faisant on les disqualifie car on les définit comme nuisibles à l'ordre public mais aussi aux valeurs de la collectivité parce qu'elles se sont rendues coupables d'infraction pénale. Le danger réside donc dans l'utilisation du droit pénal non pour aboutir toujours à des condamnations, mais pour simplement disqualifier les personnes et les exclure finalement du dialogue politique.

Dans la jurisprudence américaine, qui a une très ancienne tradition en matière de liberté d'expression, depuis les combats pour l'égalité des droits civiques des Noirs aux Etats-Unis, on a défini cette notion de conduite expressive (expressive conduct).

Le premier arrêt qui concerne cette question date de 1964. A l'époque, des militants noirs avaient occupé les locaux d'une bibliothèque réservée aux Blancs, s'en étaient fait expulser, avaient été poursuivis pour troubles de l'ordre public. La Cour suprême des Etats-Unis, lorsqu'elle fut saisie de cette affaire quelques années après, a décidé que ces personnes n'avaient fait finalement qu'exercer leur liberté d'expression et qu'il y avait des types de comportement plus efficaces pour faire passer certains messages que tout prise de parole ou tout écrit. Ce comportement, fut-il délictueux, de ces étudiants noirs, a été considéré comme couvert par la liberté d'expression.

Cet arrêt est fondamental. Il dépasse la distinction classique entre la liberté d'expression comme atteinte à l'ordre public et la liberté d'expression comme usage de la parole et de l'écrit. Il substitue à cette distinction classique une autre distinction entre d'un côté les comportements ou les prises de paroles qui visent à faire passer certains messages et, d'un autre côté, d'autres comportements qui ne peuvent pas se revendiquer de cette légitimité, qui ne peuvent prétendre vouloir faire passer un message ou influencer l'opinion.