[Le Raconteur Belge] Penser et résister by Vincent Decroly Wednesday May 07, 2003 at 11:35 PM |
vincent.decroly@lachambre.be |
[Le Raconteur Belge]
Criminalisation
des luttes Penser
et résister La
Constitution repose sur deux choses : les institutions démocratiques
et les libertés fondamentales. Les secondes sont les finalités
des premières : à quoi servent les élections si
les libertés publiques s'amenuisent ? En
ce moment, la plupart des mouvements de résistance sociale se
heurtent à de nouvelles formes insidieuses de répression.
Qu'il s'agisse des actions des travailleurs des Forges de Clabecq, de
la grève des chauffeurs des TEC en Wallonie, des mouvements de
défense des sans-papiers, ou des manifestations contre la mondialisation
lors des sommets de Seattle, de Gênes et de Laeken, la criminalisation
des conflits sociaux tente de délégitimer la contestation.
Cette répression tente de s'imposer par différentes voies
: médiatiques, policières, syndicales, politiques et,
de plus en plus souvent, judiciaires. Tout
se passe comme si l'Etat, impuissant face aux pressions venant du monde
économique et incapable de satisfaire les revendications sociales,
concentrait son énergie à mettre la précarité
sous surveillance. C'est la gestion pénale de l'injustice sociale. C'est
ainsi qu'on voit un pouvoir qui se disait neuf adopter le projet d'une
police unique et expulser des tsiganes comme au Moyen âge. Petit
à petit s'installe l'Etat policier et proactif. Pourtant, contre
le " prozactif " (" dormez tranquilles, bonnes gens,
on veille sur vous ") et le " paranoïactif " ("
tenez-vous tranquilles, bonnes gens, on vous surveille "), de plus
en plus de citoyens font le choix de la vigilance constante. Qui sont-ils
? Ce
sont, parmi bien d'autres, les treize délégués
syndicaux des Forges de Clabecq qui ont non seulement été
poursuivis et condamnés au pénal, mais aussi exclus officiellement
de leur syndicat. Ce sont aussi les grévistes des TEC wallons
qui ont été menacés d'astreintes, insultés
sur le plateau de l'émission Controverse de RTL, et finalement
punis par la suppression de leurs crédits d'heures - ce qui signifie
pas de congé avant un bout de temps. Mais ce sont également
les militants du Collectif sans ticket, qui interpellent depuis plusieurs
années les hommes politiques sur la problématique de l'inégalité
face au droit au transport, et qui ont tous été poursuivis
et condamnés à des peines d'amende par le tribunal de
police. Enfin, comment ne pas parler des 18 personnes du Collectif contre
les expulsions qui ont déjà comparu devant la 44ème
chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles : leur procès
est reporté au 17 octobre. 9 autres prévenus comparaîtront
devant la 8ème chambre du tribunal correctionnel de Liège
le 14 mai. Pendant ce temps la politique d'expulsion et d'enfermement
du gouvernement arc-en-ciel frappe tant les adultes que les mineurs
et des milliers de clandestins. Selon
Isabelle Stengers, professeur de philosophie des sciences à l'Université
Libre de Bruxelles, l'avenir, au niveau mondial, dépendra essentiellement
" des capacités de lucidité, d'inventivité,
de coopération intelligente dans la population. Or c'est exactement
ce qu'on demande aux citoyens de ne pas cultiver ! On leur demande de
fermer les yeux, de se boucher les oreilles, et d'admettre que "malheureusement
tout cela est nécessaire, qu'expulser les sans-papier, accepter
les OGM, c'est inévitable, il n'y a rien à faire".
En réalité, on signale aux gens qu'on n'attend rien d'eux,
que ce qu'ils pensent est sans conséquence : ne vous mêlez
pas de cela ! ". La
désobéissance civile tire la loi " vers le haut "
: elle rappelle à la loi sa promesse fondatrice, la recherche
du bien commun. C'est ce principe que les plus progressistes des révolutionnaires
français avaient inscrit à l'article 35 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen du 24 juin 1793. Cet article disait
: " Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection
est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré
des droits et le plus indispensable des devoirs ". Cette
question a évidemment alimenté de nombreux débats
au cours des dernières années. En octobre 2001 se tenait
à la Maison des parlementaires le séminaire Libertés
publiques, désobéissances publiques et système
pénal, dont nous vous livrons quelques extraits