[Le Raconteur Belge] Sabena: "la faute aux Suisses, la faute à l'Europe ..." by Vincent Decroly Wednesday May 07, 2003 at 10:57 PM |
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[Le Raconteur Belge]
Economie
& justice sociale SABENA:"LA
FAUTE AUX SUISSES, LA FAUTE A L'EUROPE
" Le
Premier ministre est le plus haut responsable du gouvernement. A ce
titre, c'était l'actionnaire majoritaire en chef de la Sabena.
Pourtant, pour Monsieur Verhofstadt, le crash de la Sabena, c'est la
faute aux Suisses, malhonnêtes, et aux directives européennes
de libéralisation du transport aérien qui n'ont pas permis
à l'Etat belge d'investir encore dans la Sabena
C'est
en tout cas ce qui ressort des réponses données le 8 novembre
2002 par M. Verhofstadt aux députés de la commission d'enquête
qui, en phase de finalisation du rapport de leurs travaux, l'ont évidemment
interrogé sur sa version des faits et la part de responsabilité
qu'il était prêt à endosser. Sans
surprise, le Premier ministre renoua avec l'air connu de "la responsabilité
collective", y englobant, bon prince, celle "du monde politique".
Ainsi, précisa-t-il qu'à l'époque où il
siégeait dans l'opposition avec ses amis libéraux, "ils
n'avaient peut-être pas été assez critiques"
- pas assez durs, sans doute - dans l'exigence que l'Etat se désengage
au plus vite d'une entreprise considérée comme un vestige
de l'Etat - Providence. "De
quoi l'actuelle majorité a-t-elle hérité
? D'une société qui n'avait jamais dégagé
de bénéfices au cours de ses 77 ans d'existence,
qui s'était largement endettée et avait développé
une mentalité d'assistée par trop dépendante
des budgets publics". Luc
Coene, Chef de Cabinet de Guy Verhofstadt, Fuite
en avant Le
paradoxe, c'est que tout le discours du Premier ministre a confirmé
que la gestion du dossier par le gouvernement a elle-même consisté
à rendre la compagnie de plus en plus
dépendante
de son actionnaire
minoritaire ! Une fuite en avant vers plus
de dépendance et, même après la découverte
de la mauvaise santé financière de Swissair, un acharnement
aveugle pour obtenir que la compagnie helvète en déroute
assume ses engagements vis-à-vis de la Sabena
M.
Verhofstadt, qui avait des amis au cur du Conseil d'Administration,
n'a-t-il pas perçu plus tôt ce que la plupart des employés,
ouvriers, pilotes, hôtesses et stewards de la compagnie observaient
depuis des mois, à savoir que la loyauté des Suisses vis-à-vis
de la Sabena n'était que du vent ? Il
affirma que non, mais c'est bien difficile à croire. Dès
le 19 février 2001 (8 mois avant la faillite), une note du chef
de cabinet de Johan Vande Lanotte, M. Janie Haek - par ailleurs administrateur
de la Sabena -, indique en des termes effrayants de lucidité,
que "la lune de miel est terminée et que les Suisses songent
à un divorce". A cette époque, la recherche d'un
partenaire complémentaire se serait peut-être avérée
moins difficile que dans l'après-11 septembre, mais M. Verhofstadt
déclare la main sur le cur qu'il n'a pas eu connaissance
de cette prédiction de M. Haek
Au
printemps 2001, le cabinet d'avocats Meyers, conseil du gouvernement
sur le dossier Sabena, envoie une note circonstanciée au Premier
expliquant que les résultats de Swissair se dégradent
et que la société a commencé à se dégager
d'autres alliances aéronautiques. Que le gouvernement français
exerce des pressions plus intenses sur les Suisses pour en obtenir rapidement
des dédommagements. Que la Sabena risque de passer après,
et d'en faire les frais. Nouveau signal d'alarme, donc. Cependant, le
gouvernement arc-en-ciel maintient la stratégie de dépendance
vis-à-vis de l'actionnaire minoritaire, dont il souhaite voir
la participation au capital monter à 85 %. Inébranlable
credo En
dépit de tous ces indicateurs, le gouvernement s'enfonce dans
le projet d'arrimer définitivement la Sabena à Swissair. L'essentiel
est probablement dans la foi libérale du Premier ministre : "Ma
conviction personnelle, c'est que pour le siècle à venir,
l'aéronautique civile fonctionnera mieux dans un cadre privé
que dans un cadre public". C'est cet inébranlable credo
libéral qui alimente son enthousiasme un peu béat pour
la SN Brussels Airlines. Est-il si sûr que les vertus du privé
la conduiront beaucoup plus loin que Delsey Airlines hier et la Sabena
avant-hier ? La
faute à l'Europe ? Mais
les Suisses ne sont pas les seuls responsables : devant la Commission
d'enquête, le Premier ministre libéral s'en prendra aussi
à la réglementation européenne, qui limite, depuis
1991, l'intervention publique dans le financement de compagnies aériennes
à 40 % du capital, le privé assurant le reste. Mais c'est
le néo-libéralisme dont M. Verhofstadt fut l'un des porte-drapeaux
au cours des années 80 qui est à la base de cette évolution
! En outre, l'Europe n'est pas un corps étranger aux gouvernements
qui la composent, et Monsieur Verhofstadt en a même assumé
la présidence six mois durant, de juillet 2001 à janvier
2002
A cette époque, impulser à l'échelon
européen un examen de conscience sur les licenciements massifs
qui se succédaient dans l'aéronautique aurait peut-être
pu prévenir la catastrophe. Et le gouvernement belge était
en position optimale pour prendre une telle initiative. Le
rapport de la commission d'enquête à la poubelle Alors
que tant de Sabéniens n'ont toujours pas reçu leur prime
de fermeture, alors que le Plan social a été interprété
à la baisse par Mme Onkelinx (certaines indemnités promises
ne seront jamais payées), alors que, selon le Bureau du Plan,
13.000 victimes directes ou indirectes du crash n'auront toujours pas
retrouvé un emploi en 2005, la majorité arc-en-ciel s'est
chamaillée pour faire gommer tout nom du chapitre "responsabilités"
du rapport de la commission. Et
cette même majorité a censuré, sur ordre du gouvernement,
le peu qui reste de ce chapitre, en n'approuvant par son vote que les
seules " recommandations ", c'est-à-dire 6 pages vagues
(voire dangereuses). La majorité arc-en-ciel a jeté les
324 pages restantes (contenant les constats et les responsabilité)
du rapport à la poubelle, en même temps que les travailleurs
de la Sabena.
8 novembre 2002
C'est aussi cette conviction qui explique l'incroyable "laisser-faire"
("ne pas gêner les Suisses", "conformer la Sabena
au marché"
) qui caractérisa le comportement
de l'actionnaire belge.