arch/ive/ief (2000 - 2005)

Dr Geert Van Moorter: Situation catastrophique dans les hôpitaux de Bagdad
by Bert De Belder Friday April 11, 2003 at 12:21 AM
sos.irak@skynet.be

Journal de Bagdad, 10 avril, 20 h Les docteurs Geert Van Moorter et Harrie Dewitte par téléphone satellite Les GI: «Nobody is perfect!» Situation catastrophique dans les hôpitaux de Bagdad Envoyé par Dirk Adriaensens.


La situation à Bagdad est carrément catastrophique, font savoir les docteurs de Médecine pour le Tiers Monde. Durant un périple en ville, ils ont vu des images terribles, hallucinantes de pillages. Habitations privées ou bâtiments officiels, tout fait farine. Gazwan, un ami irakien, se lamentait : «Piller des bâtiments du gouvernement, à quoi ça peut servir? Ils servent quand même à diriger le pays! Et tout ça se passe sous l'œil des Américains!» Le Dr Geert Van Moorter a interpellé les GI américains, à ce propos: «En un jour, vous laissez détruire ici ce qu'on a mis trente ans à construire!» La réponse : «Notre job est essentiellement militaire, pas policier. Nobody is perfect!»

Le Medical Team a visité trois hôpitaux, ou ce qu'il en reste… L'hôpital Yarmouk, où Geert et le Dr Colette Moulaert se sont rendus plusieurs fois, a été complètement mis à sac. «Nous avons vu un camion d'immondices qu'on avait complètement vidé afin de pouvoir le remplir de meubles d'hôpital», raconte Geert. «Des tas de médicaments sont éparpillés au sol et on les piétine. Au Fertility Center, nous avons vu des jeunes gugusses jouer avec des appareils à échographie ou à effet Doppler. Les locaux de l'Unicef et de l'UNPD, à quelques centaines de mètres de notre hôtel, ont été complètement mis à sac aussi. Idem pour le National Health Laboratory!»

Seul le Saddam Center for Plastic Surgery fonctionne encore, parce que le cameraman britannique Paul Pasquale y est soigné (c'est l'homme à qui le Dr Geert Van Moorter a donné les premiers soins quand les Américains ont tiré sur l'hôtel Palestine). Geert voulait surtout reconstituer l'histoire de l'ambulance mitraillée par les militaires américains. «A un kilomètre d'un gros char américain, l'ambulance a commencé à ralentir», insiste Geert. «Elle roulait peut-être à 60 km/h quand elle a été mitraillée de flanc par 4 ou 5 soldats américains. Le chauffeur, Omran Shahad, a senti une douleur dans le dos et il n'a plus senti sa jambe gauche. Il a essayé de maintenir la voiture sur la route, mais a heurté un arbre. L'ambulance a encore essuyé une nouvelle rafale de mitrailleuse. L'ambulancier, Rahim Abbas, a reçu une balle dans le pied. Dans un effort désespéré, le chauffeur blessé a encore pu faire faire demi-tour au véhicule et, comme par miracle, regagner l'hôpital. Des trois blessés graves qui se trouvaient à l'arrière, deux sont sans doute décédés. Avec notre aide, le chauffeur et l'ambulancier, maintenant, veulent exiger des dommages et intérêts aux Etats-Unis pour les marques physiques qu'ils ont subies. Le directeur de l'hôpital, le Dr Walid Abdul Majid, entend également se rendre au tribunal et se constituer partie civile pour les dégâts matériels subis par son ambulance. Le mitraillage d'une ambulance constitue une grave violation des articles 12 et 21 du 1er Protocole des Conventions de Genève concernant les droits en temps de guerre. Chaque fois que je dois discuter avec des militaires américains, je leur fous cette histoire scandaleuse sur le nez.»

La journée de travail du Medical Team n'était pas encore terminée. «Avec une ambulance transportant un blessé, nous avons enfin pu atteindre l'hôpital Nafez», poursuit Geert. «Nous y avons encore trouvé un seul médecin, qui avait tout un tas de blessés sous sa garde. Travail impossible, l'anarchie complète. Les médecins n'osent plus se rendre à leur travail, l'atmosphère est partout tendue et chaotique. Colette voulait absolument rester afin d'assister ce pauvre gars de médecin, mais c'était bien trop dangereux: un tas de jeunes mecs se baladaient dans le secteur en agitant des kalachnikovs. Nous avons failli ne plus pouvoir rentrer à notre hôtel, les GI ne voulaient pas nous laisser passer. A 500 mètres de leurs chars, nous avons arrêté la bagnole et je suis allé palabrer vêtu de ma blouse blanche de médecin. Ca nous a fait perdre une heure et demie, tout ça!»

A propos de l'atmosphère à Bagdad, après la disparition manifeste du régime de Saddam Hussein, les médecins ont encore pu apprendre deux ou trois choses. Geert: «La nuit dernière, j'ai bavardé avec plusieurs Irakiens, des gens ordinaires, à l'hôtel, et on est loin d'avoir un seul son de cloche. Hier, lorsque les militaires américains ont fait irruption dans l'hôtel, leur premier ordre a été de faire disparaître tous les symboles et portraits de Saddam. A de nombreuses personnes, cela confrère un double sentiment. A la plupart, ça ne donne pas envie du tout de faire la fête. Quelqu'un l'a d'ailleurs dit carrément: «Je suis content que le tyran s'en est allé, mais j'ai surtout peur. Nous nous retrouvons maintenant dans une pièce toute sombre, nous nous trouvons en eau trouble.» Un membre du personnel de l'hôtel déclarait: «Ils vont nous traiter comme des bêtes. Ils vont tout juste nous donner assez à bouffer pour ne pas crever de faim mais, du progrès? Il n'y en aura pas!» Notre ami Gazwan était plus cynique encore: «Le ‘dictateur‘ ne nous a donné qu'une conduite d'eau, l'électricité, le téléphone. Le ‘libérateur', lui, est venu foutre tout ça en l'air. Mais enfin, il va sûrement nous refiler un GSM, des bouteilles d'eau, et nous pourrons gentiment faire la file et dire ‘thank you, Sir'…»